Des minerais, mais pas de devises : la colère d’un président trahi par les siens.

Lors d’une rencontre tendue mais révélatrice avec les opérateurs économiques du secteur minier, le président burundais Évariste Ndayishimiye a laissé éclater sa colère. Au cœur de son mécontentement : le paradoxe criant d’un pays riche en minerais… mais pauvre en devises. Le chef de l’État dénonce une économie minière qui, au lieu de servir l’intérêt national, s’alimente de pratiques frauduleuses, d’ignorance des lois en vigueur et de complicités douteuses.

Le Burundi, un pays riche en minerais stratégiques

Le Burundi dispose d’un potentiel minier considérable, encore sous-exploité. Parmi les ressources clés figurent :

  • Le coltan (colombite-tantalite), utilisé dans l’électronique (smartphones, condensateurs)
  • La cassitérite, minerai d’étain
  • Le wolframite, minerai de tungstène
  • L’or, présent dans plusieurs provinces du nord et de l’ouest
  • Le nickel, avec le gisement de Musongati, l’un des plus importants d’Afrique
  • Les terres rares, notamment à Gakara, contenant du néodyme, praséodyme, lanthane, etc.
  • Le cuivre, le cobalt, le manganèse, le phosphate, le calcaire et la tourbe complètent cette richesse géologique.

Malheureusement, plusieurs de ces minerais, notamment le coltan, la cassitérite, le wolframite et dans certains cas l’or, sont au cœur d’un trafic transfrontalier vers le Rwanda. Ces minerais quittent le Burundi sans déclaration, échappent aux taxes, et sont ensuite intégrés dans des circuits commerciaux internationaux depuis Kigali, où ils sont parfois blanchis comme « produits rwandais ».

Le pays a des minerais, mais reste pauvre

Face à une salle d’opérateurs qu’il accuse sans détour de faire fortune sur le dos de l’État, le président Evariste Ndayishimiye n’a pas mâché ses mots :

« Vous vendez l’or, le coltan, la cassitérite… Mais où est l’argent ? Il reste dans des comptes à l’étranger. Vous appauvrissez le pays alors que vous devriez être les piliers de son développement. »

Selon lui, les pratiques frauduleuses et la contrebande, notamment via le Rwanda, privent le pays de revenus cruciaux en devises étrangères. Alors que les minerais devraient financer le développement, ils nourrissent des comptes à l’étranger et échappent au budget national.

Lors de cette rencontre, le président a tenu à rappeler un principe fondamental : « La terre burundaise appartient à la Nation. »

Par cette phrase, il a voulu réaffirmer que les ressources minières ne sont pas la propriété de ceux qui les exploitent, mais un patrimoine commun, appartenant à tous les Burundais. Il a ainsi rappelé que les opérateurs économiques ne sont que des gestionnaires temporaires de biens nationaux, qui doivent rendre compte de leur utilisation et veiller à ce qu’elle bénéficie à l’ensemble du peuple burundais.

Ce message est aussi une dénonciation du comportement de certains exploitants, qui s’approprient ces richesses comme un butin personnel, les vendent au plus offrant et conservent les recettes dans des comptes étrangers. En rappelant la souveraineté de l’État sur le sous-sol, le président appelle à une gestion juste, transparente et équitable des ressources naturelles.

Une ignorance alarmante du Code minier

Autre sujet de vive frustration : l’ignorance du Code minier burundais par ceux-là mêmes qui exploitent les ressources du pays.

« Vous exploitez les mines sans même savoir ce que dit la loi. Qui ici a le Code minier avec lui ? Très peu ont levé la main… », a-t-il regretté.

Le Code minier, révisé en 2023, est pourtant clair : obligation de rapatrier les devises issues de l’exportation, taxes sur les ventes, transparence des contrats, et implication de l’État dans les projets. L’ignorance ou le mépris de ces règles alimente l’économie parallèle que le président veut démanteler.

Vers une nouvelle ère de rigueur et de sanctions ?

Ce discours frontal annonce-t-il une nouvelle ère ? Plusieurs observateurs estiment que le président Ndayishimiye veut reprendre en main un secteur stratégique mais gangrené par les abus.

Déjà en 2021, il avait suspendu plusieurs conventions minières. En 2023, il a fait adopter un nouveau Code minier plus strict, avec des sanctions en cas de fraude, de non-rapatriement des devises, ou de non-respect de l’environnement.

Un appel au patriotisme économique

Le président Évariste Ndayishimiye ne s’est pas contenté de dénoncer la fraude. Il a aussi lancé un appel vibrant à la conscience nationale, exhortant les opérateurs miniers à jouer leur rôle de bâtisseurs de la nation.

« Ceux qui exploitent les richesses de ce pays doivent en être fiers et redevables. Vous avez le devoir de contribuer à la construction d’un Burundi prospère, pas à l’appauvrissement collectif. »

Cet appel au patriotisme économique est un signal fort : il ne s’agit plus seulement de respecter la loi, mais de mettre les ressources naturelles du Burundi au service du bien commun.

Le secteur minier, s’il est bien géré, peut transformer des vies. Il peut :

  • Financer la construction d’écoles, d’hôpitaux et d’infrastructures rurales.
  • Créer des emplois stables pour les jeunes Burundais.
  • Stimuler le développement de filières locales : transport, logistique, traitement des minerais, commerce, etc.
  • Réduire la dépendance aux aides extérieures en générant des recettes fiscales solides et durables.

Mais cela ne peut se produire que si chaque acteur du secteur joue le jeu de la transparence, de la légalité et de l’engagement patriotique.

Le président a ainsi appelé à un changement de mentalité : exploiter une mine n’est pas seulement un privilège économique, c’est aussi une responsabilité morale envers la nation.

Un secteur clé pour sortir le Burundi de la pauvreté

Le secteur minier n’est pas un détail secondaire de l’économie burundaise. Il est un levier stratégique, un outil de souveraineté économique, et une opportunité unique de transformation nationale.

Avec des ressources naturelles telles que le nickel, l’or, le coltan, les terres rares, le Burundi possède un potentiel envié à l’échelle régionale. Pourtant, jusqu’à présent, ce potentiel a souvent été accaparé, dilapidé ou simplement ignoré.

Le président Ndayishimiye semble vouloir changer cette trajectoire, en plaçant les mines au centre de la bataille pour le développement. Il veut assainir le secteur, responsabiliser les acteurs, et rétablir la justice économique dans l’exploitation des richesses nationales.

« Il n’est pas normal que le Burundi, assis sur des milliards, reste à genoux », semble-t-il dire en filigrane.

Sa croisade contre la fraude, la contrebande et la mauvaise gouvernance minière n’est donc pas seulement une affaire de recettes publiques. Elle touche au cœur du contrat social entre l’État, les opérateurs économiques et le peuple.

Car dans un pays où la majorité de la population vit dans la précarité, chaque gramme d’or, chaque kilo de coltan vendu au noir est une école non construite, un hôpital non équipé, une route non bitumée.

Le défi est immense. Mais si cette guerre contre l’économie souterraine est réellement menée avec rigueur, justice et transparence, alors le secteur minier peut devenir un pilier de la renaissance socio-économique du Burundi.

Par Bazikwankana Edmond