Les poursuites lancées par la Cour pénale internationale contre le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, se sont heurtées à la vulnérabilité des témoins, dont beaucoup se sont rétractés ces derniers mois, posant des questions sur le mode de fonctionnement de la CPI. Le bureau de la procureure de la CPI Fatou Bensouda, a, à plusieurs reprises, dénoncé des intimidations présumées de témoins dans cette affaire ainsi que dans le procès du vice-président kényan, William Ruto, qui s’est finalement ouvert le 10 septembre 2013. Ces deux hauts responsables politiques sont accusés de crimes contre l’humanité pour leur rôle supposé dans les graves violences post-électorales de 2007-2008, les pires de l’histoire post-coloniale du Kenya. Ils nient toute responsabilité. Dès février 2013, l’accusation avait souligné être confrontée à « des défis sécuritaires inédits et à un niveau sans précédent d’interférence avec les témoins ». Des accusations systématiquement rejetées par la défense. L’accession à la présidence d’Uhuru Kenyatta – issu de la très influente famille du premier président du Kenya – et de William Ruto à la vice-présidence, début mars, avait encore accru la pression et retardé les procès. Le 11 mars, Fatou Bensouda avait annoncé l’abandon des poursuites contre le co-accusé de M. Kenyatta, le haut fonctionnaire Francis Muthaura, une première depuis la création de la CPI en 2002. La raison ? La rétractation d’un témoin clé, mais aussi le décès d’autres personnes appelées à déposer et le manque de collaboration des autorités kényanes, avait dénoncé Mme Bensouda. Depuis le début de l’année dernière, le bureau de la procureure a enregistré défection sur défection: au moins sept dans le dossier Kenyatta, selon le décompte de l’organisation non gouvernementale International Justice monitor (IJM). Et un tiers des témoins prévus dans le procès Ruto se seraient désistés, selon une source occidentale. Certains ont refusé de témoigner en invoquant des craintes pour leur sécurité. D’autres ont retiré leurs accusations, les retournant même parfois contre le bureau du procureur, qui s’est vu reprocher de les avoir contraints à un faux témoignage. « Les témoins de l’accusation font état de pressions de la part d’officiels (du gouvernement kényan) visant à influencer leur témoignage », avait déploré Fatou Bensouda en mai. En août 2013, la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Walter Barasa, ancien journaliste kényan de 41 ans, qu’elle soupçonne d’avoir soudoyé ou tenté de corrompre des témoins de l’accusation cités dans le procès de M. Ruto. – Des leçons à tirer – L’identité des témoins de l’accusation est théoriquement gardée secrète, ces derniers n’étant désignés que par des numéros. Elle est toutefois transmise aux avocats de la défense, pour leur permettre de préparer leur réponse aux accusations. Un système qui a des failles. Une femme présentée comme le « témoin P0536 » et qui avait témoigné mi-septembre 2013 dans le procès de M. Ruto avait ainsi vu son identité dévoilée sur les réseaux sociaux. « Maintenant qu’un témoin a été identifié, il va être difficile d’assurer aux autres qu’eux-mêmes et leurs familles sont en sécurité », avait alors déploré la Commission kényane des droits de l’homme. Richard Dicker, directeur du programme justice de Human Rights Watch, souligne que, si le dossier Kenyatta s’effondre à la CPI, des leçons devront en être tirées. Il faut d’une part « améliorer la protection des témoins dans les cas où de hauts responsbles gouvernementaux sont accusés », a-t-il dit à l’AFP. D »autre part, « il faut aussi mener des enquêtes plus approfondies et solides qui se basent sur différentes sources au delà des témoignages », dont des expertises de médecine légale, a-t-il ajouté.