Tiré à quatre épingles, Serge-Claver Nzisabira finit sa toilette sur le palier du minuscule logement de Bujumbura qu’il habite avec quatre autres étudiants. A l’intérieur, l’un des colocataires, en pleine crise de paludisme, est encore alité sur l’un des deux petits matelas que tous partagent.
Comme la majorité des Burundais, le jeune homme de 25 ans et ses camarades jonglent pour survivre dans un pays parmi les plus densément peuplés et les plus pauvres d’Afrique, où les problèmes économiques, surtout à l’approche d’élections générales tendues, deviennent explosifs.
Le rudimentaire deux-pièces, situé dans un quartier périphérique de la capitale burundaise, est tout ce que les cinq étudiants peuvent se permettre.
Ils ne vivent que de la bourse du gouvernement — 30.000 francs burundais par mois (environ 17 euros), l’équivalent du loyer –, qui tombe souvent en retard.
Comme beaucoup d’étudiants, Serge-Claver Nzisabira, originaire de la commune de Nyanzalac, dans la province méridionale de Makemba, vient d’une famille rurale pauvre. Et dans la capitale, le jeune homme, qui se contente d’un repas pas jour, a de plus en plus en plus de mal à faire face à la flambée des prix.
«En 2012, quand je suis arrivé ici, la vie était un peu plus abordable», dit le jeune homme, qui étudie l’anglais à l’Université du Burundi. Le kilo de riz, poursuit-il, a augmenté de 50% en trois ans, passant de 1.000 à 1.500 francs (57 à 86 centimes d’euros).
Il y a quelques semaines, les étudiants étaient en grève, pour protester contre un énième retard de leur bourse.
Ces grèves chroniques sont surveillées de près par le pouvoir: quand ils cessent d’aller en cours, les étudiants ont tendance à manifester et quand, comme maintenant, le sentiment de frustration est généralisé parmi la population, leur capacité d’entraînement est réelle.
Les étudiants «ne sont pas les seuls à être pauvres, tout le monde peut les suivre», résume Gilbert Niyongabo, professeur d’économie à l’Université du Burundi.
Corruption endémique –
En février, le dernier mouvement de protestation des étudiants a coïncidé avec un appel à la grève générale d’un collectif contre la vie chère, qui milite notamment pour une répercussion à la pompe de la baisse des cours mondiaux du pétrole.
Cette grève générale, moyennement suivie, n’en a pas moins servi d’avertissement au pouvoir avant les législatives de mai et la présidentielle de juin à haut risque, alors que les tensions sont fortes à la perspective d’une nouvelle candidature du chef de l’État Pierre Nkurunziza.
«La situation devient explosive parce que les problèmes économiques sont là (…) mais les autorités semblent ne pas vouloir traiter ces problèmes, pas même engager un dialogue», déplore Faustin Ndikumana, l’un des responsables du collectif.
Le Burundi, peuplé de 10 millions d’habitants et au revenu national brut d’à peine 260 dollars par tête, manque cruellement de sources de revenus.
Le petit pays rural d’Afrique des Grands Lacs, dont la production agricole ne suffit pas aux besoins d’une population à forte croissance, vit sous perfusion de l’aide internationale et cumule les contre-performances économiques.
En 2006, dernière année disponible, près de 67% de la population vivait sous le seuil de pauvreté. En 2012, le taux de malnutrition infantile dépassait les 46%. L’inflation, en baisse après avoir dépassé les 18% en 2012, mange toujours la croissance (4,4% en 2014, pour une hausse du PIB de 4,7%).
A cela s’ajoute une corruption endémique — le pays est 159e sur 175e dans l’index 2014 de l’ONG anticorruption Transparency international — dénoncée par les élites urbaines comme les milieux ruraux et qui, déplorent les économistes, se traduit par l’attribution opaque à des sociétés peu compétentes de contrats d’infrastructures pourtant essentiels au développement du pays.
Serge-Claver Nzisabira assure cependant que les étudiants ne cherchent pas la confrontation avec les autorités.
«Vraiment, la grève, c’est la dernière décision que nous prenons quand notre bourse arrive en retard», dit le jeune homme. D’autant que, menées comme elles le sont à répétition, elles contraignent souvent les étudiants à boucler leurs cursus en cinq ans au lieu de trois.
Cela ne l’empêche pas d’espérer qu’avec les élections, viendront des «dirigeants qui résoudront les problèmes des étudiants».