Elle aura été la grande absente de cette audience historique : mardi, alors que les juges de la Cour pénale internationale (CPI) se prononçaient en faveur de l’acquittement de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et de son coaccusé, Charles Blé Goudé, ex-leader des Jeunes Patriotes, la procureure Fatou Bensouda était invisible. Lors de cette séance pourtant décisive, elle a laissé son substitut, le Canadien Eric MacDonald, essuyer l’humiliation de la plus grande défaite jamais enregistrée par le bureau du procureur à La Haye.
Après sept ans de détention pour Laurent Gbagbo à la prison de Scheveningen, dont trois ans de procès, le seul ancien chef d’Etat détenu par la CPI est désormais innocenté et bientôt libre. A sa prise de fonction en 2012, Fatou Bensouda avait hérité du dossier initié par son prédécesseur, le terne Luis Moreno-Ocampo. Un cadeau empoisonné. Dès le départ, la procédure était émaillée d’erreurs et soupçonnée d’interférences politiques. Transféré à La Haye en novembre 2011 à la demande des vainqueurs de la sanglante crise postélectorale de 2010-2011 qui a fait au moins 3 000 morts, Laurent Gbagbo était poursuivi pour crimes contre l’humanité, accusé d’avoir élaboré «un plan commun» qui aurait ciblé les partisans de son adversaire, Alassane Ouattara. Celui-ci sera intronisé président, avec la bénédiction de Paris, à l’issue de la crise.
Cafouillage.
Mais en sept ans d’enquête et de procès, aucune des accusations n’a pu être démontrée. En revanche, les révélations récentes de Mediapart sur les échanges de mails et de confidences entre Moreno-Ocampo et des responsables français tendent à confirmer les soupçons d’une détention à caractère bien plus politique que judiciaire. Sans remettre en cause la stratégie de son prédécesseur, Fatou Bensouda a dû revoir sa copie en 2013, le dossier étant alors beaucoup trop «basé sur des ouï-dire»,selon les juges. Après avoir diffusé une vidéo sur de prétendues violences, qui se sont en réalité déroulées au Kenya, le bureau du procureur renoncera également, au dernier moment, à faire comparaître 56 témoins sur 138 initialement prévus, renforçant l’impression d’un hallucinant cafouillage.
Ce n’est pas la première fois que se révèlent ainsi les failles de l’accusation à la CPI, souvent perçue en Afrique comme une institution qui ne s’attaque qu’aux Africains. La libération de Gbagbo intervient cinq ans après le non-lieu accordé au Kényan Uhuru Kenyatta et sept mois après l’acquittement en appel du Congolais Jean-Pierre Bemba. En réalité, la décision des juges mardi montre aussi que la justice fonctionne bien et que faute de preuves, un accusé est innocenté. C’est d’autant moins une évidence que dans le cas de Laurent Gbagbo, sa libération prochaine peut effectivement bouleverser le jeu politique en Côte-d’Ivoire. «Les juges ont prononcé un acquittement, pas un non-lieu. Ils ne disent pas que les faits n’ont pas existé, qu’il n’y a pas de crimes commis et pas de coupables», note, depuis Abidjan, Franck Hermann Ekra qui fut l’adjoint du président de la commission «Réconciliation et Vérité ivoirienne». «La difficulté du procureur, c’est qu’il s’est laissé instrumentaliser par l’Etat ivoirien. Lequel a envoyé Gbagbo à la CPI, espérant s’en débarrasser, puis a refusé d’envoyer d’autres prévenus éventuels», poursuit-il..
«Victime».
«La justice a été enfin rendue, désormais il faut s’atteler à une vraie réconciliation», constate pour sa part Bernard Houdin, un proche conseiller de Gbagbo présent à La Haye mardi. Or dix ans après le drame, la réconciliation peine à prendre forme en Côte-d’Ivoire, «où le seul récit admis a longtemps été celui du camp Ouattara qui s’est arrogé le statut exclusif de victime. Désormais, la libération de Gbagbo va permettre d’entendre d’autres versions, ce qui favorisera la réconciliation», estime encore Franck Hermann Ekra, qui ajoute : «La vraie victime, ce n’est ni Ouattara, ni Gbagbo, c’est le peuple ivoirien.»
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Maria Malagardis – Libé