C’est un revers cinglant pour le Royaume-Uni. Mercredi, il a été sommé par une majorité de pays à l’Assemblée générale de l’ONU de rétrocéder sous six mois à l’île Maurice l’archipel des Chagos qui abrite une base britannico-américaine stratégique.
Initiée par Maurice, une résolution en ce sens, non contraignante mais à forte valeur politique, a été adoptée par 116 pays, six s’exprimant contre, dont les États-Unis et 56 États choisissant l’abstention. Dans leur avis, les juges de la plus haute juridiction des Nations unies ont estimé que le Royaume-Uni avait «illicitement» séparé l’archipel des Chagos de l’île Maurice. «Le colonialisme ne peut plus être toléré», a réagi le premier ministre mauricien Pravind Jugnauth.
2.000 Chagossiens forcés de quitter leur archipel
Le conflit entre les deux pays remonte à l’année 1965, quand Londres achète cette même année pour trois millions de livres aux institutions semi-autonomes de Maurice l’archipel des Chagos. Cette acquisition a pour but d’y installer une base militaire commune avec les États-Unis sur l’île principale de Diego Garcia. En 1966, le Royaume-Uni signe un bail de 50 ans avec les Américains les autorisant à utiliser Diego Garcia à des fins militaires. Malgré l’indépendance de l’île Maurice deux ans plus tard, l’archipel reste sous le contrôle des Britanniques qui, entre 1968 et 1973, expulsent progressivement deux milliers de Chagossiens. Ceux qui partent à Maurice en voyage ou pour des soins médicaux se voient interdire de rentrer chez eux, puis les autres sont expulsés sans ménagement vers Maurice ou les Seychelles entre 1971 et 1973. Depuis, arguant des raisons de sécurité, les Britanniques interdisent toute visite aux Chagos sans autorisation spéciale, rendant impossible un retour des Chagossiens. Ils sont aujourd’hui, avec leurs descendants, près de 10.000, répartis à Maurice, aux Seychelles et au Royaume-Uni.
Une base militaire au cœur du conflit
Pour tenter de récupérer sa souveraineté sur l’archipel, Maurice multiplie depuis près de cinq décennies les recours allant jusqu’à saisir la Cour internationale de justice. Le 25 février 2019, se rangeant du côté de Maurice, celle-ci avait demandé à la Grande-Bretagne de mettre fin à son administration sur les Chagos dans un avis consultatif rejeté par Londres. «Le temps était arrivé pour le démantèlement de la dernière colonie britannique en Afrique», dénonçait le premier ministre mauricien, Pravind Jugnauth. Il avait néanmoins souligné dans le même temps qu’il ne réclamait pas le démantèlement de la base de Diego Garcia, au cœur du conflit.
Car pour justifier le maintien de son contrôle, le Royaume-Uni a toujours insisté sur le rôle défensif de cette base qui permet de défendre le monde contre «les menaces terroristes, le crime organisé et la piraterie», comme il l’expliquait en 2017. Deux ans plus tard, l’ambassadrice britannique à l’ONU Karen Pierce a elle aussi souligné le «rôle vital» de la base militaire pour la sécurité de la région, «dont Maurice», estimant que ce dossier était un problème bilatéral. Mais la base de Diego Garcia a surtout constitué un enjeu capital pour le Royaume-Uni et les États-Unis. La base s’est révélée d’une importance primordiale pour les deux pays pendant la guerre froide mais aussi dans les deux guerres menées par les États-Unis en Irak (1990-1991 et 2003-2006) et dans les bombardements américains en Afghanistan en 2001. En 2016, le Royaume-Uni a prolongé jusqu’en 2036 un contrat sur son utilisation avec les États-Unis.
Le Figaro