Abordons ce sujet en passant en revue quelques leçons à tirer sur le rôle joué par les média pendant les élections et autres crises politiques, que ce soit en Occident ou en Afrique. Ceci pour nous rappeler que le Burundi n’est pas un cas isolé, si on se donne la peine de regarder au-delà de nos frontières.
1.Leçons
•Danger de l’analyse prédictive: Elle peut nous induire en erreur car elle influence nos choix et nos pensées en laissant peu de place à la réflexion personnelle. La tendance générale sera de croire le journal télévisé, le reporter vedette, un “expert” ou un institut de sondage. Mais en réalité, ceux qui sont perçus comme ayant le plus d’influence médiatique lors de périodes électorales ou de crise politique ne sont pas nécessairement les mieux placés pour analyser et comprendre la véritable volonté de la majorité. Prenons l’exemple des récentes élections aux États-Unis: la candidate démocrate avait plus de soutien médiatique que le magnat de l’immobilier; 200 journaux ont pris position pour elle contre 6 seulement pour son adversaire. Mais cela n’a pas empêché Donald Trump de gagner, à la surprise générale.
•Ceci montre qu’il y’a une catégorie d’électeurs partisans de Donald Trump qui n’a pas été prise en compte dans les sondages et analyses que les media ont fait circuler en boucle dans le monde entier. Ces dernières et les partisans de Hillary Clinton n’ont vu que ce qu’ils voulaient voir et occulté complètement le nombre potentiellement élevé des supporters du candidat républicain capables de le mener à la Maison Blanche, d’où la surprise lors de sa victoire, il y’a deux jours. On observe donc une élite totalement déconnectée du reste de la population ou un clivage entre les populations urbaines et rurales qui se retrouve également au Burundi. La grande majorité de la population burundaise se trouve dans les zones rurales. Le Burundi compte 18 provinces et 119 communes, chacune avec sa spécificité. On ne peut en aucun cas les considérer de la même manière, ni prétendre être le mieux placé pour être leur porte-parole. Apprenons donc à connaître notre pays et les différents problèmes que rencontrent les citoyens.
•Cette tendance des media à porter aux nues certains acteurs politiques et de la société civile au détriment d’autres, a également été constatée au Burundi. Selon l’obédience politique du medium, les adversaires ont été diabolisés, en se focalisant sur une histoire et un récit unique sur le Burundi (il suffit de se rendre sur Google pour voir que la majorité des articles portant sur les élections/la crise de 2015 par exemple ne sont souvent qu’un simple copier-coller). On pourrait en dire de même des élections de 1993, même si les réseaux sociaux n’existaient pas à l’époque.
•Par conséquent, l’idéalisation des uns et la diabolisation des autres crée des divisions. Il y’a un “Nous” et un “Eux”, que ce soit dans notre pays ou ailleurs; ce qui va totalement à l’encontre de cette démocratie et ce changement pour lesquels certains prétendent se battre. On tombe dans un piège où on s’identifie uniquement à ceux qui pensent comme nous et on s’enferme dans une bulle nous empêchant de comprendre et d’accepter les autres parce qu’on se croit plus juste et raisonnable que ceux d’en face.
2. Comment le Burundi se fraie t-il un chemin?
•Primo, le plus important est avant tout de se pencher sur l’unité des Burundais. Nous n’arriverons jamais à construire un pays stable et prospère si nous restons divisés. Eradiquons l’extrémisme et travaillons à promouvoir la culture de la tolérance politique. Les gens qui ne partagent pas votre point de vue ne sont pas nécessairement vos ennemis. Hillary Clinton l’a bien dit dans son discours malgré sa défaite : “Donald Trump is going to be our president. We owe him an open mind and the chance to lead.” (Donald Trump sera notre président. Nous lui devons un esprit ouvert et l’opportunité de faire ses preuves en tant que dirigeant).
•Secundo, luttons pour inclure tous les Burundais dans les décisions portant sur leur destinée. Aucun citoyen de notre pays ne devrait se sentir exclu. L’exclusion a été au cœur de la plupart, sinon de tous les problèmes socio-économiques que connaît notre pays depuis l’indépendance. Nous aimons tous ce pays et nous lui appartenons tous, sans exception. Il n’y a pas de citoyen plus important que l’autre;
•Tertio, nous avons besoin d’une transformation socio-économique. Notre dépendance à l’égard de l’aide et de quelques produits de base ne crée pas de richesse. Nous avons besoin d’efficacité dans tout ce que nous faisons, de diversifier notre économie et de dépendre moins du café et de quelques autres produits d’exportation. Nous devons créer des richesses et veiller à ce que les ressources soient partagées équitablement. Je crois qu’une discipline budgétaire, la lutte contre la corruption, la diversification de notre économie et un investissement dans les infrastructures vont créer des emplois et combler le fossé entre les secteurs primaires, secondaires et tertiaires.
•Enfin, nous devons renforcer notre système judiciaire. L’impunité est au cœur de nombreux problèmes auxquels nous sommes confrontés et cela ne date pas d’hier. Une justice partisane qui donne l’impression aux citoyens que le système est contre eux, restera toujours suspecte à leurs yeux.
Conclusion: Burundi, discutons avec nos idées et non avec des insultes, faisons entendre nos voix par des valeurs positives porteuses d’avenir et non par des armes. Que chacun apporte sa pierre à l’édifice. Tous les burundais, de quelque horizon que ce soit, ont le devoir et le privilège de servir leur pays, chacun à son niveau. Je garde l’espoir que les burundais seront capables d’aller au-delà de leurs différences politiques et ethniques, de leurs peurs profondes et d’œuvrer ensemble à la construction d’un pays dont nous serons TOUS fiers.
Par Philippe Gateretse