La question de l’ancien chef d’Etat burundais, feu Melchior Ndadaye, démocratiquement élu le 1er juin 1993 et assassiné le 21 octobre de la même année dans un camp militaire de Bujumbura au cours d’une tentative de coup d’Etat militaire d’un groupe de militaires insurgés, est « très complexe », a estimé jeudi à Bujumbura au cours d’une interview accordée à Xinhua Jean-Louis Nahimana, président de la Commission vérité réconciliation du Burundi (CVR-Burundi).
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Vingt-quatre ans après son assassinat, la polémique sur ce dossier oppose toujours deux opinions dominantes burundaises, à savoir celle proche de l’épouse du président assassiné réclamant que cette affaire soit « d’abord complètement vidé au niveau judiciaire » pour dégager les responsabilités des commanditaires de ce crime, et celle qui voudrait que ce dossier soit uniquement versé aux travaux de la CVR burundaise.

Selon M. Nahimana, on avait introduit dans la justice le dossier du président Ndadaye avec un jugement au niveau de la Cour suprême en 1999, soit six ans après son assassinat. La justice a tranché, mais la famille du président Ndadaye a fait appel si bien que ce dossier reste aujourd’hui encore pendant au niveau de la Cour de cassation. « Si mes informations sont bonnes, il paraît que le dossier piétine bientôt 18 ans, mais je ne connais les raisons qui sont derrière », a-t-il affirmé.

La CVR a pour mission d’enquêter sur toutes les violations des droits humains perpétrées au Burundi sur une période de 46 ans, c’est-à-dire depuis le 1er juillet 1962 (date de l’indépendance) jusqu’au 4 décembre 2008, date supposée être la fin de la belligérance armée au Burundi.

L’assassinat du président Ndadaye fait aussi partie de ces violations des droits humains déclenchées au Burundi en 1993, a expliqué M. Nahimana, avant de rappeler que cet assassinat a entraîné un « bain de sang presque généralisé » dans tout le pays, qui a emporté la vie des centaines de milliers de Burundais.

« Donc, on ne peut pas traiter les violations des droits humains de la population burundaise et faire fi du dossier du président Ndadaye », a-t-il indiqué, soulignant que la CVR n’est pas un mécanisme judiciaire. « Le cas du président Ndadaye ne sort de cette histoire que nous voulons connaître et pérenniser dans l’intérêt supérieur des générations actuelles et futures », a-t-il renchéri.

M. Nahimana a estimé qu’à ce niveau, il n’existe aucune incompatibilité entre le travail de la CVR et celui de la justice. A ses yeux, même aujourd’hui, les portes de la justice restent ouvertes pour des cas personnels ou individuels.

« Pour le moment, ce qui nous intéresse à la CVR, c’est de savoir ce qui s’est passé réellement sans toutefois piétiner sur le terrain de la justice », a-t-il insisté.

Il a noté que vider le contentieux judiciaire sur l’affaire de l’assassinat du président Ndadaye pourrait donner un coup d’accélérateur à la réalisation de la mission assignée à la CVR dans la mesure que le travail de celle-ci consiste à « revisiter même certains archives » pouvant aider à renseigner sur ce qui s’est passé réellement dans le pays au cours des diverses crises burundaises.

Il a saisi l’occasion pour porter à la connaissance de l’opinion qu’en ce moment, la CVR burundaise dispose des équipes de chercheurs occupés à faire des recherches au niveau du ministère de la Justice.

Pour lui, il y a des recoupements entre le travail de la CVR et celui de la justice dans la mesure où le travail effectué par la justice, vient compléter les investigations en train d’être menées par la CVR.

« J’en profite pour souligner qu’au niveau de la CVR, ce qui nous intéresse n’est pas seulement le procès Ndadaye, car même avant la crise de 1993, il y a eu d’autres crises antérieures, d’autres procès qui n’ont pas satisfait les familles. Mais la CVR va aussi se pencher sur le dossier pour voir si réellement ce procès a été fait en bonne due forme », a-t-il indiqué par ailleurs.

De même, a-t-il ajouté, la CVR va travailler également sur le dossier de la tentative de coup d’Etat de 1969 avec des procès considérés par certains Burundais comme des « parodies judiciaires ».

Là aussi, a-t-il ajouté, la CVR va s’y pencher avec un recul, pour analyser si ces procès ont été menées en toute probité et en faisant dire le droit.

« Même si le procès du président Ndadaye avait été tranché avant la mise en place de la CVR burundaise, nous avons la latitude de revisiter tous ces procès pour voir comment les choses se sont passées, non seulement pour l’intérêt de la justice, mais aussi l’intérêt de l’histoire du Burundi », a-t-il tranché.

M. Nahimana en a profité pour s’inscrire en faux contre une certaine opinion qui voudrait faire diversion en ce qui concerne le traitement de l’affaire Ndadaye.

« Je pense que la Cour de cassation doit d’abord faire son travail. C’est en effet à elle d’expliquer aux Burundais pourquoi ce dossier-là traîne les pieds et d’expliquer où se trouve le blocage. Car, il faut garder à l’esprit que le dossier du président Ndadaye pose problème même avant la mise en place de la CVR qui n’est arrivée qu’en 2014, alors que l’assassinat du président burundais remonte à 1993 », a-t-il fait remarquer.

Xinhua | 04.11.2017 10h45