1. En date du 27 octobre 2017, le Burundi est devenu le premier État partie au Statut de la Cour pénale internationale (CPI) à formaliser son retrait. Il convient de rappeler que le Bureau de la Procureure (BDP) de la Cour avait déjà amorcé un examen préliminaire de la situation du Burundi. L’examen préliminaire consiste pour la Procureure, à analyser les informations et autres renseignements qui ont été portés à son attention dans le but de déterminer s’il existe des motifs raisonnables qui fonderaient l’ouverture d’une enquête criminelle par rapport aux allégations de crimes de la compétence de la cour.
2. Avec le retrait devenu effectif, le sort de l’examen préliminaire n’est pas juridiquement clair ni prévisible en dépit de l’affirmation du porte-parole de la CPI. Se fondant sur l’article 127(2) in fine du Statut de la CPI, M. Fadi El Abdallah a affirmé que le retrait du Burundi n’affecte pas la compétence de la Cour par rapport aux crimes allégés avoir été commis pendant qu’il était encore un État partie. Mais, il n’est pas clair que le droit autorise une telle interprétation de cette disposition comme plusieurs commentateurs le confirment.
3. Cependant, là n’est pas l’objet de ce bref commentaire. Ce dernier vise plutôt à explorer les options alternatives à la CPI qui se voit dépouillée de sa compétence sur les crimes graves commis au Burundi, en raison du retrait de cet État. En effet, certains semblaient présenter la CPI comme une panacée; ce qui n’est pas le cas. La triste vérité que l’on doit révéler aux victimes et aux Burundais en général est que, même si la CPI serait restée compétente pour le Burundi, l’expérience démontre qu’elle ne prendrait, au grand maximum, que 3 à 5 affaires seulement. En plus, rien ne garantit que les grands “suspects”, selon l’opinion publique, soient parmi eux! Alors, en quoi est-ce que poursuivre trois ou cinq individus aurait-elle contribué à endiguer le mal burundais incarné par l’impunité des crimes graves?
4. D’où alors la nécessité d’amorcer une discussion franche entre Burundais sur les voies alternatives. Je suis conscient que celle-ci a déjà eu lieu dans le passé avec les consultations populaires sur les mécanismes de justice transitionnelle. Néanmoins, j’estime qu’elle a besoin d’être relancée, au regard de cette soif inassouvie de justice que l’on perçoit dans les discours des uns et des autres.
5. Les options alternatives seraient d’une part l’appareil judiciaire du Burundi et, d’autre part, un tribunal hybride spécial pour le Burundi. D’entrée de jeu, je dois signaler que ces mécanismes seraient durables et équitables étant donné que leur compétence ne serait ni temporairement ni matériellement limitée comme l’était celle de la CPI. Ce qui présente un avantage comparatif évident dans ce sens qu’ils seraient adaptés pour prendre en charge toutes les victimes, sans considération d’époque ni d’épisode.
6. Les contraintes d’espace m’obligent à traiter de ces mécanismes dans deux publications séparées. La présente portera donc sur le rôle que l’appareil judiciaire burundais peut et en fait doit jouer en vue d’éradiquer l’impunité, de rendre justice et de valoriser la dignité et l’humanité des victimes burundaises des tragédies d’hier, d’aujourd’hui et du futur. Il ne s’agit donc pas pour les tribunaux burundais de combler le vide laissé par la CPI devenue incompétente à la suite du retrait, mais plutôt d’occuper réellement la place qui est la leur. En réalité, les tribunaux nationaux font partie du réseau de justice pénale dont ils constituent le principal pilier pour la répression des crimes graves de droit international. Les différents instruments juridiques prévoient leur compétence prioritaire dans cette tâche.
7. Ainsi, on peut affirmer que le défaut de compétence de la CPI par rapport au Burundi interpelle fortement l’appareil judiciaire burundais. Il le met devant ses responsabilités à faire quelque chose. Néanmoins, dans l’état actuel des choses, les attentes sont mesurées car l’appareil judiciaire buterait à plusieurs obstacles dans l’accomplissement de sa mission: l’énormité et la complexité des crimes à réprimer, le manque de moyens logistiques et de compétences techniques spécifiques pour mener des enquêtes, surtout celles relatives aux épisodes trop vieux, l’absence de volonté politique, l’inexpérience des magistrats dans le traitement des dossiers d’une telle ampleur, la crise politique, le défaut d’indépendance, etc.
8. Pour ce faire, trois conditions doivent, à mon sens être remplies, si on veut préparer le système judiciaire à cette nouvelle mission:
i) La résolution de la crise politique actuelle : Les crimes et autres violations graves des droits de l’Homme, quelle qu’en soit la qualification, ont été commis sur fond de problèmes politiques. Or, en cas de crise politique, il y a nécessité de solutions politiques pour y mettre fin. Les tentatives de judiciarisation des questions politiques n’aboutissent pas nécessairement. Il est grand temps que la médiation de Museveni-Mkapa et les différents autres émissaires de la communauté internationale puissent conclure le processus. La résolution de la crise permettra un apaisement des esprits, le retour des réfugiés, la protection des témoins, etc. tout en suscitant la volonté politique indispensable pour que le système judiciaire soit effectif et efficace.
ii) Une assistance judiciaire: Contrairement aux années d’avant 1990, le monde dispose aujourd’hui de ressources humaines importantes et outillées en matière de justice pénale internationale. Ainsi, des juges, procureurs et policiers-enquêteurs internationaux et/ou africains ayant une expérience dans ce domaine assisteraient et renforceraient les capacités des juges et procureurs nationaux.
iii) La création d’une unité spécialisée dans les enquêtes et poursuites des crimes internationaux: une telle unité serait appropriée pour la spécialisation des juges, procureurs et policiers qui, de ce fait, acquerraient des connaissances, compétences et habilités exigées par cette nouvelle mission de traitement des dossiers relatifs aux crimes internationaux.
9. C’est à ce prix que l’on pourrait espérer des résultats. Même avec ça, il y a des dossiers qui paraîtront certes difficiles pour les magistrats burundais. Stratégiquement, ce n’est pas là où il faut commencer. Il faudrait débuter par ceux qui apparaîtraient faciles afin de construire le chantier petit-à-petit, mais de bout en bout. Ceci leur permettra d’ailleurs de se familiariser progressivement avec l’application interne des normes internationales. En réalité, dans la sous-région des Grands-Lacs, il n’y a que le Burundi qui est resté inactif. La République démocratique du Congo s’en tire bien jusqu’à présent. Avant elle, le Rwanda s’était acquitté de son obligation de réprimer les crimes graves, quoi que partiellement.
10. On sait que l’appareil judiciaire ne peut pas faire des progrès sans un fort soutien financier. Il sied de rappeler que durant la « transition » et après, les efforts de reconstruction de la paix soutenus par la communauté internationale ont été focalisés sur le renforcement des capacités de la police et de l’armée.
11. En conclusion, le retrait du Burundi de la CPI au motif officiel que cette juridiction internationale est un outil d’impérialisme et de néocolonialisme contrôlé par des puissances occidentales devrait constituer une opportunité pour le pays d’être du bon côté de l’histoire. Le monde ne devrait pas uniquement retenir que le Burundi a été le premier État à quitter la CPI mais aussi qu’il s’est acquitté par après de ses obligations internationales, en l’occurrence l’obligation d’enquêter, de poursuivre et de juger les crimes contre l’humanité, le génocide et les crimes de guerre dont plus d’un a des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été commis au Burundi. Ce faisant, l’État démontrerait qu’il contribue à la mise en œuvre du projet de justice pénale internationale, au lieu d’être suspecté qu’il en a compromis la réalisation en quittant la CPI.
Par Pacifique Manirakiza
Prof. Université d’Ottawa/Faculté de droit