En réaction à un billet qui encensait l’état de l’Hôpital militaire de Kamenge tout en critiquant les hôpitaux Roi Khaled et Prince Régent, une lectrice de Yaga, Niyongere, infirmière dans l’une de ces institutions, nous a écrit pour éclairer la situation sur les raisons de l’état sinistre de ces deux établissements sanitaires.
En tant qu’infirmière à l’hôpital Prince Régent Charles, je me demande souvent ce qui manque à notre hôpital et au centre hospitalo-universitaire de Kamenge pour qu’ils soient aussi salubres que l’Hôpital militaire de Kamenge. Et pour moi, la première raison est le manque de leadership.
Nos médecins directeurs sont des chefs au lieu d’être des leaders. Ils manquent aussi d’innovation. Des idées rénovatrices pour changer la routine des choses, à la manière de l’Hôpital Militaire si on s’en tient aux grands changements qui s’opèrent chez eux. Comment un médecin directeur peut ne pas s’inquiéter avec un tas d’immondices dans son hôpital alors que l’insalubrité est par ailleurs source d’infections dans un milieu hospitalier ?
La seconde raison est l’instabilité du pouvoir au sein de l’hôpital. Comment compter sur un bilan positif en matière de planification, exécution et suivi des projets dans un hôpital où on change le médecin directeur comme on change de gants? Par exemple, après le décret n°100 /167 du 20/7/2016 nommant le docteur Christine Nina Niyonsavye directeur de l’Hôpital Prince Régent Charles, elle a été remplacée en moins d’un an par le docteur Inès Roselyne Nduwimana par le décret n°100/120 du 13/6/2017. Un tel défi organisationnel explique l’échec des stratégies planifiées à cet hôpital, l’hygiène inclue. Par contre, l’Hôpital Militaire n’a qu’un seul médecin directeur depuis 2011, le docteur Marc Nimburanira, et qui présente un bilan formidable.
La troisième raison est la nature des malades. La plupart des malades qui fréquentent les hôpitaux Prince Régent et Roi Khaled sont des personnes vulnérables, parce que moins chers. Ces gens reçoivent de la nourriture et des habits de la part des bienfaiteurs. Ils ont aussi besoin d’un espace pour alors se préparer à manger. Des espaces ont été aménagés alors dans les deux hôpitaux, entraînant ainsi un surplus d’immondices. Mais cela ne se fait pas à l’hôpital militaire. Pourquoi ? Parce que l’hôpital militaire, plus cher, n’a pas ce genre de malades en grande quantité, comme me l’a confirmé un collègue infirmier à cet hôpital, sous couvert d’anonymat. Pour cela, le contrôle de l’usage des poubelles, la gestion des restes des aliments, l’usage des toilettes, le nettoyage des ustensiles de cuisine, … ne sont plus un grand défi. Cela explique aussi en partie pourquoi c’est facile d’organiser une telle propreté à l’Hôpital militaire contrairement aux deux autres hôpitaux.
En dernier lieu, il y a les créances de l’État. Nombreux sont les patients qui se font soigner sur les comptes de l’État (les enfants de moins de cinq ans, les femmes enceintes, les prisonniers, …) sans que celui-ci ne s’empresse de payer. Ces créances pèsent lourd sur le fonctionnement des hôpitaux. Ces derniers n’arrivent plus à honorer leurs engagements et sont presque en cessation d’activités, l’hygiène et l’entretien y compris. Par contre, l’Hôpital militaire est financé par des bailleurs internationaux dans les programmes du ministère de la défense en maintien de la paix à l’étranger et peut donc compter sur une manne extérieure. Par exemple pour l’hôpital Roi Khaled, en fin 2012, on comptabilisait un gouffre de deux milliards et demi (2.458.991 484Fbu) d’arriérés en subsides, et plus d’un milliard (1 363 762 851Fbu) de créances des différents ministères en février 2013. En 2014, pour l’hôpital Prince Régent Charles, ces créances étaient évaluées « à près d’un milliard de francs burundais » (460 000 euros).
Qu’en est-il en 2018 avec la crise financière actuelle que connaît le pays ? Pour dire que ″impinga ikiri ndende″ (le chemin est encore long) pour que nos hôpitaux publics soient propres.