Interview exclusive de S.M. MWAMBUTSA IV BANGIRICENGE, ancien Roi du Burundi le 10 Juillet 1972
Si la paix ne pourra régner avant longtemps au Burundi, le silence est retombé sur ce petit pays d’Afrique Centrale ensanglanté par les événements dont nous avons largement rendu compte (Voir Remarques Africaines n° 400 et 401).
Aujourd’hui nous croyons cependant utile de verser au dossier de ce drame africain le témoignage de celui qui pendant plusieurs dizaines d’années a tenu la barre de ce royaume séculaire. D’autant plus que le Mwami en nous parlant des événements qui se sont passés hier rejoint les causes de la tragédie d’aujourd’hui en soulignant le rôle d’acteurs qui n’ont pas changé. Voici donc, à titre documentaire, une interview exclusive du Mwami Mwambutsa, ancien roi du Burundi, qui actuellement vit en Suisse.
Q. – Pourquoi Léopold Biha a-t-il été nommé Premier Ministre en septembre 1965 alors qu’il n’était pas membre de l’UPRONA vainqueur ?
R. – Pour bien comprendre les raisons de mon choix à la suite des élections législatives que j’avais ordonnées en avril 1965. il est nécessaire de faire une brève rétrospective des événements et de l’Histoire, du Burundi.
Le régime monarchique du Burundi, un des plus anciens, a toujours vécu en parfaite symbiose avec le peuple. Lorsque la Belgique, et avant elle l’Allemagne, arrivèrent dans le pays, elles trouvèrent sur place les assises d’une administration solidement ancrée sous l’égide de chefs à prédominance Tutsi. Au lieu de combattre cette hégémonie, les organes de la Tutelle et le Clergé encouragèrent cette situation qui leur convenait fort bien.
Parmi les nombreuses déclarations de l’ère coloniale, je cite entre-autres la déclaration du Gouvernement belge en 1938 : «Loin d’imposer à ces populations des solutions européennes, nous entendons favoriser les , adaptations originales, répondant aux caractères propres et aux traditions qui leur sont chères. Cette conception est conforme aux voeux auxquels nous avons souscrit dans la Charte des Nations, d aider les peuples dans le libre développement de leurs institutions. »
Pour moi, il n’y a toujours eu qu’un seul peuple composé de Barundis à parts égales. Je n’ai jamais toléré la moindre discrimination entre Tutsi, Hutu, Twa ou Muganwa.
La meilleure preuve de ma largesse d’esprit réside dans le fait que pour la première fois dans l’histoire du Burundi. Mon fils regretté le Prince Rwagasore a pu épouser, mon assentiment, une jeune fille Hutu.
A l’approche de l’indépendance, le parti UPRONA créé par le Prince Rwagasore avait cristallisé autour de son nom et de sa devise « DIEU, ROI ET PATRIE », la presque totalité du pays au service de la Patrie sans discrimination entre Hutus et Tutsis.
Malheureusement à la suite du lâche assassinat dont il fut victime, personne d’autre n’ayant ni son autorité, ni sa popularité, ni son envergure pour maintenir l’unité du parti, une lutte ouverte fut engagée pour assumer la présidence entre Muhirwa (Tutsi) et Mirerekano (Hutu).
A partir de ce moment le mythe de l’UPRONA avait vécu en tant que parti unique.
Les dissensions allèrent crescendo entre les deux fractions appelées «Clan Casablanca» réunissant les Tutsis extrémistes traumatisés par les événements du Ruanda et décidés à défendre avec la dernière énergie leur hégémonie séculaire, et « le clan Monrovia groupant les Hutus désireux de se secouer du joug des Tutsis, ainsi que des Tutsi modérés conscients de l’aspiration légitime pour la promotion inéluctable de l’ethnie majoritaire.
Pour prendre la relève après l’indépendance du pays, assumer les lourdes responsabilités qui m’étaient échues et conjurer les difficultés. je ne disposais que de structures absolument insuffisantes et inadaptées. On avait doté le pays d’une Constitution vétuste belge – dépassée même en Belgique – qui ne répondait ni à la vocation africaine traditionnelle du pouvoir séculaire des Bamis,
ni à l’inéluctable évolution progressiste et sociale de mon peuple. Je devais régner, mais non gouverner. Le seul pouvoir qui m’était conféré été pour déjouer les intrigues et les grenouillages c’était le droit de nommer et de démettre le chef du gouvernement.
Il me fallait donc avec les faibles moyens de bord dont je disposais adopter une politique de juste milieu. La difficulté était de savoir où il se situait.
J’ai d’abord fait confiance à Muhirwa que je croyais le plus qualifié en raison de sa proche parenté avec le Prince Rwagasore. Il s’est avéré un sectaire Tutsi extrêmement dangereux
J’ai fait appel ensuite à NGENDANDUMWE, un Hutu extrêmement capable et respecté. Ses réactions en sens contraire ayant dépassé les limites, j’ai dû intervenir à nouveau pour empêcher un soulèvement des Tutsis d’autant plus redoutable qu’ils détenaient les leviers de commande au sein de l’armée.
J’ai choisi alors un Tutsi modéré d’une extrême probité en la personne de NYAMOYA, qui servit bien malgré lui en raison des circonstances de l’époque, de paravent aux ambitions démesurées du « groupe Casablanca » dirigé par Muhirwa.
C’est sous son Ministère qu’eut lieu le procès de l’assassinat de mon frère le Prince Kamatari qui servit de prétexte pour monter savamment une accusation à caractère politique contre certaines personalités Hutus (dont l’ex-Ministre des Travaux Publics et le sous-chef de la gendarmerie Mahembre). Malgré la peine immense ressentie par ce nouveau deuil. j’ai donné des instructions pour que le procès se déroule dans une atmosphère de sérénité et d’impartialité judiciaires en chargeant même le conseiller légal du Palais. Maître Simonian d’assumer la défense des principaux accusés. Le procès s’est terminé par un acquittement retentissant fin décembre 1964.
Je ne pouvais plus, malgré toute la sympathie personnelle éprouvée pour Nyamoya, ignorer la « vox populi » – qui pouvait librement s’exprimer sous mon règne.
Je rappelle NGENDANDUMWE – Quinze jours après avoir formé son Gouvernement, il était lâchement abattu à son tour par un tueur à gages.
L’enquête judiciaire téléguidée par les extrémistes Tutsi n’a pas permis de mettre la main sur les véritables auteurs du crime.
Je ne pouvais admettre que des Hutus soient toujours poursuivis avec acharnement et passion, et que par contre grâce à la complaisance des autorités judiciaires, les Tutsi soient assurés de leur impunité.
J’étais fermement résolu à combattre ce lamentable état de choses.
J’ai donc appelé à la succession du regretté NGENDANDUMWE un autre Hutu, M. Bamina, un compagnon de la première heure de mon fils Rwagasore au sein de l’UPRONA.
Après avoir dissous la JNR (Jeunesse Nationale Rwagasore) à la dévotion du groupe Casablanca, j’ai, de commun accord avec Gouvernement Bamina, ordonné de nouvelles élections législatives en avril 1965 sur base d’une loi en tous points impartiale élaborée -par lune commission ad hoc composée de membres choisis en fonction de leur compétence et objectivité.
Les élections qui furent menées comme il fallait s’ y attendre en fonction des ethnies, consacrèrent la victoire des Hutus au sein du parti UPRONA.
Il est évident, bien que tant le Groupe Monronvia que celui de Casablanca se réclamaient tous deux de l’UPRONA – que la scission au sein du parti était irrémédiablement consommée.
Les deux ailes du parti ne parvinrent pas à me soumettre un candidat commun. C’est pourquoi après mûre réflexion et de longues hésitations, j’ai mon choix sur Léopold Biha, connu pour sa modération et demeuré en raison de ses fonctions de secrétaire privé du Palais – hors du circuit politique, en lui donnant des instructions formelles de respecter le verdict électoral.
Pour la première fois dans l’histoire du Burundi, l’ethnie HUTU était majoritaire au Parlement, au gouvernement et même aux services administratifs du Palais.
Il est vraiment regrettable que l’exaspération d’une poigné de Hutus et l’incompréhensible attentat contre le Palais et mon Premier ministre aient précipité les évènements pour compromettre le processus normal de la promotion HUTU , et permis au extrémistes TUTSIS de refaire surface sous le prétexte fallacieux de la défense de la monarchie, alors qu’ils oeuvraient en réalité pour imposer leur hégémonie dans un bain de sang.
Les quatre courtes années de règne assumées depuis le départ des autorités belges jusqu’au coup d’Etat de novembre 1966 instaurant une République au service de quelques usurpateurs. prouvent que j’ai agi au mieux des intérêts de mon peuple en n’ayant d’autre souci que celui d’assurer le bien-être, la paix et le bonheur de tous les Barundis sans distinction.
Q. – A la suite du coup d’État d’octobre 1965, des massacres ont eu lieu à Muramvya – pourquoi ?
R. – Les nouvelles étaient très brouillées au lendemain de 1’attaque du palais.
Les Hutus de Muramvya en particulier, qui me sont traditionnellement attachés – c’est parmi eux que se trouvent les gardiens séculaires des tambours royaux qui se sont révoltés à l’annonce de l’attentat contre ma personnes qu’ils ont attribué au TUTSIS.
Il y a eu des affrontements entre les deux clans. Lorsque la situation fut reprise en mains, mon appel au calme a été entendu par le peuple.
Ce n’est qu’après mon départ en Europe que les passions ont atteint leur paroxysme et les massacres de représailles furent déclenchés par l’armée dirigée par M. MICOMBERO avec la connivence du Gouverneur de la région.
Tout cela en m’on absence, à mon insu et contre ma volonté.
Q. – Est-il exact que le capitaine Micombero a sauvé le trône dans la nuit du 19 octobre 1965 ou au contraire est-il demeuré introuvable comme l’affirme Jean Ziegler dans « jeune Atrique » du 3 juin 1972 ? Est-il exact que l’Ambassadeur de Belgique Henniquiau est demeuré sourd à votre appel alors que le colonel belge Verwayen a consenti à vous aider ?
R. – En effet lors de l’attaque, malgré tous mes efforts je n’ai pu toucher le capitaine Micombero qui était à l’époque mon Secrétaire – d’État à la Défense. Pour finir c’est le colonel Verwayen, qui, répondant à mon appel téléphonique, a dépêché des militaires pour soutenir la faction de gendarmes demeurés fidèles. Lorsque Micombero est arrivé il ne s’est pas présenté à moi, préférant rester hors de l’enceinte du palais. Le lendemain l’assaut final contre les rebelles a été mené par les commandos.
Quant à l’Ambassadeur de Belgique, je n’ai absolument rien à lui reprocher, sinon que tout en étant sans doute un excellent militaire, il n’avait pas la souplesse et la discrétion d’un diplomate de carrière. Par esprit de corps, il a toujours soutenu avec sympathie MICOMBERO qu’il considérait comme son dauphin. Leurs contacts journaliers au cercle hippique, ajoutes aux apéritifs habituels du dimanche à l’Ambassade prêtaient à des équivoques qu’il eut été préférable d’éviter.
C’est ce qui explique que malgré mes efforts déployés en Belgique et l’intérêt manifesté par M. Spaak. Ministre des Affaires Étrangères à l’époque, je n’ai pu obtenir les appuis nécessaires à la restructuration de l’armée sur opposition de l’Ambassadeur Henniquiau qui craignait de désobliger son protégé. Sa confiance a été cruellement bafouée. L’avènement de Micombero à la Présidence de la République n’a pas empêché par la suite qu’il soit considéré «Persona non grata» par le Gouvernement du Burundi.
Qu’il s’en console néanmoins, Micombero n’ en est plus à une trahison près.
Après avoir solennellement reconnu dans sa déclaration à la presse du 30 juillet 1966 » que la majorité du peuple demeure fidèle à la Monarchie», et renouvelé son serment de fidélité au Prince Charles. il n’en a pas moins trahi le peuple et le régime royal en instaurant la République quelques mois plus tard.
Après avoir formellement promis au Président Amin de l’Ouganda que la sécurité du Prince Charles serait garantie s’il rentrait au pays. il l’a fait arrêter le jour même de son arrivée pour le faire lâchement assassiner un mois plus tard.
Q. – Aviez-vous des raisons de vous méfier, dès ce moment-là du Capitaine Micombero ou au contraire était-il dévoué au trône ?’
R. – je n’ai eu aucune méfiance au début.
Après mon arrivée à Genève, lorsque j’ai constaté à plusieurs reprises que Micombero et Arthémon Simbananiye, tous deux relevant de mon autorité directe en tant que respectivement Secrétaires d’Etat à la Défense et à la justice – contrevenaient ouvertement à mes ordres en poursuivant sans relâche les arrestations arbitraires, les condamnations et exécutions sommaires alors que j’avais demandé à prendre connaissance de tous les dossiers judiciaires, notamment de façon expresse celui de l’ex-Premier Ministre Bamina pour exercer mes droits de grâce, j’ai commencé à douter de leur sincérité.
Je les ai tous deux convoqués à Genève pour demander les explications que requéraient leur attitude.
Micombero n’est pas venu arguant que la situation intérieure du pays ne lui permettait pas de se déplacer à l’étranger. Quant à Arthémon Simbananiye les justifications données tant au Bureau International du Travail de Genève, qu’à moi-même concernant les exécutions des syndicalistes chrétiens à dominance Hutu étaient trop grossières pour convaincre qui que ce soit.
Je donnai un ordre de révocation de Simbananiye qui ne fut jamais exécuté.
C’était un défi sans précédent à mon égard.
Je ne pouvais accepter que d’aussi inqualifiables poursuites éliminations et exécutions soient perpétrées en mon nom.
J’étais fermement décidé à mon retour de mettre un terme à ces abus. Encore fallait-il que je trouve tout l’appui et le soutien nécessaires pour mener ma tâche à bien face à cette dangereuse coalition qui n’a semé que trop de souffrances, brutalités, tortures, mutilations, massacres et deuils depuis sa prise de pouvoir.
Hélas, cette aide que j’attendais avec impatience m’a fait défaut.
Q. – Pourquoi, après la tentative de coup d’Etat d’octobre 1965 dont vous étiez sorti vainqueur, avez-vous abandonné votre pays pour ne plus jamais y revenir, au lieu de rester sur place et de restructurer le pouvoir royal ?
R. – C’est une grave erreur de croire qu’après l’échec du coup d’Etat, j’avais la situation bien en mains.
J’ai essayé de créer, sur l’avis de deux conseillers Européens dont je suis prêt à invoquer le témoignage si besoin, des tribunaux d’exception – pour juger les insurgés tout en leur accordant toutes les garanties d’une défense parfaite.
Je me suis heurté à l’opposition farouche de Micombero devant mes témoins, déclarant qu’il avait eu six officiers massacrés par les militaires Hutus et que l’armée piaffait d’impatience pour que les rebelles soient passes immédiatement par les armes, faute de quoi il ne répondrait par des conséquences fâcheuses pouvant en découler.
Je ne pouvais ignorer cette menace à peine voilée. Il me fallait donc parer au plus pressé en cherchant d’urgence genre une aide appréciable auprès des pays amis… D’où mon départ précipité.
Q. – Alors que Bamina, Hutu, était Premier Ministre, et vous même à Genève comment est-il possible que vous ayez laissé perpétrer ces massacres de Hutus en novembre 1965 ?
R. – J’ai déjà répondu à cette question.
L’exécution de Bamina, comme les massacres des Hutus par la même bande qui s’est actuellement emparée du pouvoir pour donner libre cours à l’escalade de génocide ont été perpétrés à mon insu et en mon absence du Burundi.
Q. – Au moment où le Prince Charles est monté sur le trône, il y a été poussé par Micombero. Mais pensez vous que celui-ci était poussé par un groupe de pression, peut-être le même qui vous avait incité à quitter Bujumbura, le même encore qui devait pousser Micombero à détrôner Ntare V. Le même aussi qui entoure peut-être Micombero actuellement?
R. – Il est évident que mon fils Charles que j’avais envoyé en mission en attendant la fin de ma convalescence – suite à une intervention chirurgicale – fut happé dès son arrivée, grisé par les basses flagorneries des extrémistes Tutsis qui craignaient, à juste titre. mon retour qui se serait soldé par l’interdiction de la J.N.R., la révocation de Micombero et Simbananiye, le remaniement ministériel en s’appuyant davantage sur l’élite Hutu et les Tutsis modérés.
Les intrigants lui firent miroiter les avantages de la prise de pouvoir en mes lieux et place.
Mon retour était annoncé pour le 25 juillet 1966, le 8 juillet le coup d’État était consommé.
Le Prince Charles avait mordu à l’appât. – Ce n’était pas une faute mais un défaut de jeunesse compréhensible à 19 ans.
La plus grave erreur qu’il ait commise, poussé par son entourage, c’était la suspension de la Constitution, surtout l’instauration de la J.N.R. que j’avais interdite et qui vient justement de se mettre en vedette à l’occasion du génocide de l’ethnie Hutu en dépassant singulièrement toutes les bornes de l’horreur, du cynisme, de la plus révoltante cruauté.
J’ai mis en vain mon fils n oeuvres des usurpateurs et rapporté en son temps par ment:
« Vous avez été abusé par quelques politiciens intrigants et extrémistes pour tromper votre jeunesse et profiter de votre inexpérience. Cet acte constitue un geste de rébellion ouverte contre mon autorité. je refuse de souscrire à une usurpation de pouvoirs tendant à une politique extrémiste quelques jours avant mon arrivée. je vous donne ordre de libérer les prisonniers victimes d’arrestations arbitraires au service de l’ambition et de la politique génocide d’un petit groupe dangereux que vous m’avez signalé et dont vous êtes le jouet. Vous êtes invité également à dissoudre la J.N.R. qui crée une situation d’insécurité dans le Pays. Je vous promets le pardon et l’oubli si vous avez la loyauté de diffuser la présente instruction. »
Ainsi qu’il fallait s’y attendre ce message prophétique n’a jamais été diffusé à la population, et pour causé.
Pour saper mon autorité, combattre ma popularité il fallait être extrêmement prudent et procéder par étape.
Ne pouvant m’attaquer de front, il fallait spéculer sur la naïveté du jeune Prince pour qu’il se prête au rôle de tremplin.
Trois mois plus tard, la République était proclamée.
J’avais pardonné de grand cœur l’étourderie de mon Fils qui m’avait récemment fait sa soumission dans la plus pure tradition murundi.
Il ne me reste aujourd’hui que le deuil pénible de mes seuls fils, morts tous deux au service du Pays, victimes d’odieux assassinats.
Que leurs âmes reposent en paix.
Q. – Des influences étrangères ont-elles agi sur la politique de votre pays en 1965 et 1966 ? Ont-elles tenté de faire pression sur vous ? Et actuellement ?
R. – Non pas plus en 1965 ou actuellement. Il n’y a eu aucune intervention, ni pression étrangère exercée sur ma personne.
Ces pressions se sont manifestées au sein des groupes politiques, chinoises pour la plupart et le clan Casablanca de l’UPRONA, Belges et Américaines par le canal des syndicats chrétiens (à prédominance Hutu).
Q. – Que pensez-vous de la situation Hutu-Tutsi d’aujourd’hui? Trouvez-vous une solution à cette rivalité ?
R. – Le génocide massif des Hutus a engendré trop de haines et trop approfondi le fossé entre les deux ethnies pour espérer un remède immédiat à la situation catastrophique du Burundi.
Ce qui est surtout préoccupant – la colère populaire étant aveugle, – c’est le fait que l’antagonisme Hutu Tutsi a atteint une acuité jamais connue. sans discrimination entre la majorité modérée des Tutsis et la minorité des Bahima du Bururi (fief Micombero) ayant accaparé le pouvoir à leur profit exclusif.
Il ne faut pas perdre de vue que les leaders Tutsis du clan Monronvia ont payé également leur tribut à la vindicte des extrémistes. Rejetés du Gouvernement, poursuivis pour prétendue haute trahison ou encore été simplement massacrés, tels l’ancien président de la Chambre des députés Thaddé Siryuyumunsi, des anciens ministres Amédée Kabugubugu et Masumbuko Pie.
Mais c’est surtout l’ethnie HUTU que le génocide a visé sans retenue. Tous les ministres, hauts fonctionnaires: directeurs, professeurs, employé, tous ceux sachant lire et écrire, jusqu’aux étudiants et élèves de 14 ans ont été embarqués et impitoyablement exterminés, bien que certains d’entre-eux étaient des Upronistes de lire- premier plan et de l’aile Casablanca tels que, entre autres, l’ancien Vice-Premier ministre Mpozenzi , et celui des travaux publics Pascal Bankanuriye.
La politique de cette poignée d’oppresseurs consiste à décapiter l’élite Hutu pour renforcer leur pouvoir pour les années à venir.
Néanmoins c’est une grossière erreur de croire qu’il suffit d’accaparer le pouvoir et de conditionner une J.N.R. en plaçant quelques fanatiques dangereux à leur tête pour s’imposer envers et contre tous.
Le militantisme au régime ne peut être une sorte de rente viagère.
Je n’entends pas prêcher pour ma paroisse et je n’ai nullement l’intention d’entrer dans l’arène politique si Je ne suis pas sollicité par la véritable volonté populaire -représentée par les 90 % de paysans trimant sur leurs collines, demeurés toujours indéfectiblement attachés à ma personne en dépit de la propagande insidieuse tentée en vain par les prospecteurs politiques de la clique des usurpateurs adeptes de la méthode de la carotte et du bâton, promettant beaucoup, opprimant davantage.
Les souffrances et les deuils que nous endurons ensemble scellent à jamais l’indéfectible lien qui m’unit aux Barundis.
Ce n’est que dans l’affection et la volonté populaire librement exprimées que je puiserai ma force, ma toi, ma ‘détermination.
L’Évêque de Bujumbura, Monseigneur Michel Ntuyahaga a eu le courage de reconnaître du haut de sa chaire, lors de la première messe officielle pour la République le 17 décembre 1966 : « Malgré les erreurs inhérentes à tout travail des hommes la monarchie a. d’une façon générale, rendu -beaucoup de services au Burundi. Voilà pourquoi sentimentalement et sincèrement les Burundais rendent hommage à la monarchie et lui restent attachés. »
Les Barundis savent très bien que je répondrai toujours présent à leur appel et que je ne me déroberai jamais à mes devoirs.
Remarques Africaines N° 403, 10 Juillet1972
Propos recueillis par Jean WOLF et E.-X. Xavier UGEUX