Transport aérien : l’Afrique, la grande bataille de demain

Transport aérien : l’Afrique, la grande bataille de demain
(Le Point 16/07/14)

Malgré une date assez mal située, à la veille du pont du 14 Juillet, le Paris Air Forum, organisé par La Tribune avec l’aide d’Aéroports de Paris qui fête son centenaire, a réuni un beau plateau avec une kyrielle de P-DG du transport aérien, de patrons de l’industrie aéronautique, mais aussi de responsables de l’administration. Parmi la douzaine de sujets traités : quelle est la part de l’Afrique dans le transport aérien mondial ? L’occasion pour Driss Benhima, P-DG de Royal Air Maroc, et Bernard Gustin, P-DG de SN Brussels, de défendre leurs points de vue sur le transport aérien en Afrique.
L’Afrique, un marché prometteur

Le marché du continent africain est en passe de devenir l’un des principaux au monde avec plus d’un milliard d’habitants, dont un tiers va appartenir à la classe moyenne, celle qui voyage. Le trafic aérien en Afrique est en hausse de 5,2 % par an alors que des croissances les plus faibles sont relevées en Amérique du Nord (+ 2,3 %) et en Europe (+ 3,8 %). Mais l’activité se décompose en trois marchés, très inégaux. Les dessertes domestiques avec une martingale à trouver doivent combiner un réseau efficace avec des subventions. Elles seules peuvent parfois pallier l’absence de réseau ferré et des routes incertaines, voire dangereuses. Les liaisons intra africaines sont mal desservies, peu fiables et très chères. Un Niamey-Abidjan coûte autant qu’un Niamey-Paris. De nouveaux acteurs apparaissent, soutenus par Ethiopian Airlines ou Kenya Airways. Mais les compagnies nationales de petite taille comme Air Sénégal International ou Mauritania Airlines ont été un échec. Enfin, la desserte de l’Afrique avec le reste du monde passe surtout par les grands hubs européens (Paris, Bruxelles, Londres, Madrid, Francfort, Zurich, etc.) ou par Royal Air Maroc très bien placée avec son hub de Casablanca.

SN Brussels : un déploiement peu évident

Le secret de la productivité de la compagnie chérifienne réside, selon son P-DG, dans sa situation géographique qui lui permet d’assurer des vols long-courriers avec des appareils moyen-courriers qui volent jusqu’à onze à douze heures par jour (contre moins de dix heures habituellement). Pour Bernard Gustin, l’approche est un peu différente. SN Brussels, émanation de Sabena disparue en 2001, maintenant possédée à 45 % par Lufthansa, a conservé le réseau Afrique de la compagnie belge qui constitue aujourd’hui 85 % de son activité long-courrier et 40 % du chiffre d’affaires annuel de 1,2 milliard d’euros. La compagnie belge possède bien une filiale en République démocratique du Congo, Korongo Airlines avec le groupe George Forrest International. Mais tous les transporteurs de RDC sont sur la liste noire européenne et la sécurité juridique n’est pas non plus assurée aux investisseurs. Les règles internationales de la concurrence ne sont pas toujours appliquées localement et SN Brussels a dû diminuer de 47 % son activité à Dakar quand le Sénégal a tenté de lancer sa compagnie nationale.
Royal Air Maroc : oui, au ciel ouvert

« La libéralisation avec des règles de concurrence équitable nous convient parfaitement et 44 compagnies européennes desservent le Maroc », affirme Driss Benhima. « Cette doctrine nous la proposons aux autres pays africains », ajoute-t-il, s’interrogeant sur la viabilité de petites compagnies nationales africaines qui doivent faire face à des coûts deux fois supérieurs à ceux de l’Europe, avec les monopoles de l’assistance aéroportuaire, du carburant et le montant des redevances d’aéroport. Concrètement, seules des compagnies communautaires comptant une vingtaine d’avions peuvent atteindre la taille suffisante pour émerger. Et elles ne doivent pas rêver aux dessertes intercontinentales avant quinze ans. RAM souhaite apporter son soutien opérationnel à de telles structures pouvant portant les pavillons nationaux de plusieurs États.
RAM: une structure en constante évolution

Dans l’immédiat, Royal Air Maroc aimerait bien que le ciel ouvert, celui qui permet de créer des dessertes sans la négociation diplomatique de droits de trafic, s’applique au Maghreb. Il existe entre le Maroc et la Tunisie, mais reste à ouvrir vers l’Algérie et la Mauritanie. La flotte moyen-courrier de RAM va augmenter vers une centaine d’unités pour, au Nord, densifier l’offre vers l’Europe et, au Sud, desservir les petits pays africains (Tchad, Gambie, Guinée-Bissau), ceux qui sont les plus enclavés. RAM peut se permettre alors de proposer une offre quotidienne, essentielle pour le marché des hommes d’affaires, avec ses appareils de capacité réduite. Alors que les compagnies européennes comme SN Brussels, Air France-KLM, British Airways-Iberia doivent aligner les long-courriers de plus grande capacité limités par la demande à deux ou trois vols hebdomadaires.

Thierry Vigoureux