Burundi : Quand le patriotisme économique est sacrifié sur l’autel des intérêts privés

Opinion, Politique, Socio-économie

Alors que le Burundi regorge de ressources naturelles et que les produits pétroliers sont stratégiques pour l’économie nationale, le chef de l’État burundais, Évariste Ndayishimiye, se retrouve de plus en plus seul sur le front de la lutte contre les pratiques économiques frauduleuses et antipatriotiques. Dans ses récentes déclarations, le président a sévèrement mis en cause les opérateurs économiques du secteur minier, la SOPEBU (Société Pétrolière du Burundi), et même la Banque centrale, la BRB. Il les accuse d’avoir créé des systèmes parallèles, alimentant des marchés noirs qui étouffent l’économie nationale et mettent à mal le patriotisme économique.

Des opérateurs miniers peu soucieux de l’intérêt national

Le secteur minier burundais, riche en or, coltan, cassitérite, wolframite, nickel et terres rares, devrait être un moteur clé du développement. Pourtant, selon le président, il est devenu un terrain d’enrichissement individuel au détriment du peuple burundais.

Des cas de fraude, de contrebande transfrontalière (notamment via le Rwanda), et de non-rapatriement des devises ont été régulièrement signalés. Pire encore, de nombreux exploitants ne connaissent même pas le Code minier, preuve selon le président de leur mépris des lois nationales. Dans une rencontre houleuse avec les opérateurs miniers en mars 2025, il a publiquement dénoncé une économie souterraine qui prive l’État de ressources vitales.

« Les minerais sont extraits, vendus, mais l’argent ne revient pas au pays. Vous enrichissez des comptes à l’étranger pendant que le peuple s’appauvrit ! », a-t-il martelé.

SOPEBU : un marché pétrolier capturé ?

La création de la Société Pétrolière du Burundi (SOPEBU) en février 2024 était censée renforcer le contrôle de l’État sur les importations et la distribution de carburant. Mais aujourd’hui, cette entreprise publique est au cœur de vives critiques. Le président Ndayishimiye a récemment accusé la SOPEBU d’avoir délibérément instauré un système de rareté artificielle, créant un marché noir du pétrole où les prix explosent, et où les citoyens payent le prix fort.

« On crée des pénuries pour vendre au marché noir et encaisser des bénéfices illicites. Cela aussi, c’est de la trahison ! », a-t-il déclaré lors d’une visite au dépôt de Gitega.

Selon des observateurs, la gestion opaque de la SOPEBU favorise un réseau de complicités internes et de privilèges accordés à certains distributeurs bien connectés politiquement. Là encore, le patriotisme économique est relégué au second plan.

BRB : la Banque centrale au banc des accusés

Autre institution dans le collimateur du chef de l’État : la Banque de la République du Burundi (BRB). Celle-ci est accusée d’avoir mis en place, de façon délibérée, un marché noir des devises, privant les petits commerçants et importateurs d’accès à des taux équitables.

« Comment pouvez-vous, en tant que Banque centrale, encourager un système où ceux qui ont des devises les vendent sous la table ? C’est vous qui déstabilisez notre économie ! », s’est emporté le président.

Les taux de change au marché officiel et ceux du marché noir présentent un écart parfois supérieur à 30 %, ce qui favorise les circuits parallèles, la fuite des devises et la spéculation. Une partie de la BRB semble avoir perdu le contrôle du système qu’elle est censée réguler.

Un président seul contre tous ?

Ce qui ressort de ces attaques répétées, c’est le sentiment que le président Ndayishimiye est aujourd’hui le seul acteur institutionnel à monter au front contre les abus économiques. Ni le gouvernement, ni les institutions de contrôle, ni les partenaires publics ne semblent relayer son combat avec la même intensité.

Plus inquiétant encore : les ministres directement concernés par ces dérives économiques, celui en charge des Finances, celui des Mines et celui du Commerce brillent par leur silence et leur inaction. Ont-ils peur ? Sont-ils complices ? Ou craignent-ils de devenir les prochains « fusibles » à sauter dans un système devenu explosif ?

« Sans vouloir entretenir la polémique, il est clair que ces ministres sont en train d’exposer le président. Ce sont eux qui devraient aller au-devant des opérateurs antipatriotiques, les rappeler à l’ordre, appliquer les lois et assainir leurs secteurs respectifs. »

Le président a été clair : ceux qui sabotent l’économie ne viennent pas tous de l’extérieur. Certains se trouvent dans les bureaux ministériels, les conseils d’administration, et au sein des régies étatiques. Ce constat alimente un malaise profond : le président semble manifestement abandonné par son propre gouvernement.

Une telle inaction est non seulement condamnable, mais elle jette un flou inquiétant sur la loyauté et l’engagement de ceux censés être les bras exécutifs de la politique présidentielle. Aujourd’hui, les patriotes burundais ont le sentiment que le président Ndayishimiye est le seul acteur institutionnel à monter au front contre les abus économiques. Ni le gouvernement, ni les institutions de contrôle, ni les partenaires publics ne semblent relayer son combat avec la même intensité.

« Ceux qui trahissent la Nation ne sont pas les ennemis de l’extérieur, ce sont ceux qui sont avec nous, dans les bureaux, les directions, les conseils d’administration. »

Cette phrase résume le malaise : le chef de l’État se sent isolé, voire contrecarré par ceux qu’il a lui-même nommés. Le patriotisme économique, qui devrait être un projet d’ensemble, s’est transformé en croisade solitaire.

Un appel à une révolution institutionnelle

Le président ne manque pas de mots pour galvaniser la population, mais les actes doivent suivre au niveau institutionnel. Pour que la lutte contre la corruption et les marchés noirs aboutisse, il est nécessaire que :

  • Des audits publics soient menés sur la gestion de la SOPEBU et de la BRB ;
  • Les responsables identifiés soient sanctionnés publiquement ;
  • Un véritable contrôle parlementaire soit exercé ;
  • Les institutions techniques retrouvent leur crédibilité.

Sans cela, le discours du président risque de devenir une voix isolée dans un appareil d’État qui regarde ailleurs.

Le patriotisme économique, enjeu vital pour le Burundi

Le patriotisme économique n’est pas un slogan : c’est une condition de survie pour un pays comme le Burundi, enclavé, fragile, mais riche en potentiel. Si les ressources minières, les devises, les produits pétroliers et la régulation économique sont capturés par des intérêts privés, alors c’est l’avenir de la Nation qui est mis en danger.

Le président Ndayishimiye a jeté les bases d’une reconquête éthique et économique. Reste à savoir s’il sera entendu, soutenu et suivi. Car un seul homme, aussi déterminé soit-il, ne peut réparer seul un système défaillant. Il faut que l’ensemble des institutions, du gouvernement et des citoyens répondent à l’appel.

Par Bazikwankana Edmond