ACTE XII : Le tempo de la justice : la patience stratégique face à l’empire mafieux SUGURU

Société

EDITORIAL. Par Jean Jolès Rurikunzira

On l’écrivait dans ACTE XI : « l’hydre aux mille têtes vacille enfin ‒ c’est du moins l’espoir de la majorité silencieuse. Après l’OBR, voici l’ADB ». Les autorités, dans une silencieuse et méthodique purge, démontent pièce par pièce l’édifice tentaculaire d’Olivier SUGURU. Le « parlementaire-entrepreneur », ce Midas suspect qui changeait l’or public en poussière, voit ses sanctuaires lui échapper. L’heure n’est plus aux révélations, mais à l’action. Et le pouvoir, à l’image d’un jardinier patient, extirpe une à une les mauvaises herbes avant qu’elles n’étouffent le jardin de la nation. Exclusif : le décryptage de cette chute annoncée.

In media res, au cœur de l’actualité brûlante, la question fuse, lancinante, dans le courrier de nos lecteurs et sur les lèvres d’un diplomate européen : « Le Président burundais, si soucieux du bien commun, est-il au courant de l’ampleur du modus operandi SUGURU ? » La suspicion est légitime. Comment croire, face à un tel curriculum vitae de prédations – Parlement, CFCIB, SAVONOR, ADB, OBR et un portefeuille d’influences aussi épais qu’obscur – que l’œil de l’État ait pu rester fermé ? Le citoyen, écrasé par le poids de ces cumuls délétères, pourrait céder au découragement. Erreur. Car ce qui semble être de l’inaction est, à y regarder de plus près, la marque d’une stratégie délibérée.

Notre investigation, nourrie par les témoignages d’analystes avertis, dessine un tout autre tableau. Celui d’un pouvoir qui avance, gradatim, pas à pas, mais avec la détermination implacable de celui qui nettoie les écuries d’Augias. Un ancien Premier ministre, naguère tout-puissant et devenu intouchable, l’a appris à ses dépens. Le Président Evariste NDAYISHIMIYE, dans sa sagesse, observe, laisse la corde assez longue pour que le pendu se construise lui-même sa potence. C’est la justice immanente qui se met en place. Le récent évincement d’Olivier SUGURU de la présidence du Conseil d’Administration de l’Agence pour le Développement du Burundi (ADB), après celui de l’OBR, n’est pas un hasard. C’est un signe avant-coureur, un præmonitus, un coup de semonce dans le brouillard qui entoure ses affaires.

SUGURU, archétype de « l’élite délinquante » décrite par Lascoumes et Nagels dans leur essai fondateur, a bâti son empire sur la confusion des genres et le détournement d’autorité. Il incarne cette « criminalité en col blanc » qui, sous le masque de la respectabilité, « sape les fondements de la confiance publique ». Parlementaire, il devait légiférer pour le bien commun. Président de la Chambre Fédérale de Commerce et de l’Industrie du Burundi, il devait servir l’entreprise. Administrateur d’établissements publics, il devait en être le gardien. En lieu et place, il a tissé une toile d’araignée où chaque fonction sert les intérêts de l’autre, dans un hold-up systémique sur les ressources nationales. Les centaines de milliards détournés à la REGIDESO, les crédits colossaux sans garantie à la BANCOBU… La liste est un roman-fleuve de la prédation.

Notre source, qui requit l’anonymat par crainte légitime des représailles de cet « indéboulonnable », livre une analyse glaçante : « SUGURU a été averti. Mais il n’a pas compris le message. Il croit pouvoir, par sa malice proverbiale, circonvenir la Première famille, se montrer en saint laïc lors de cérémonies officielles, ou acheter les silences par des dons et cotisations politiques clinquants. Ses stratégies sont éventées. » L’homme multiplie les apparitions, tente de soigner son image, mais c’est un patient en phase terminale qui se farderait les joues. Le Premier ministre lui-même a tiré la sonnette d’alarme : « Les richesses nationales ne doivent pas rester entre les mains d’un petit groupe. » La sentence est tombée, claire comme l’eau de source.

Le leadership du Président NDAYISHIMIYE emprunte ici à une métaphysique de la justice. « Tout pouvoir vient de Dieu » (Romains 13 :1), et celui qui l’exerce en est le dépositaire, non le propriétaire. Pourquoi l’Éternel a-t-Il laissé à Satan, le grand corrupteur, un temps pour sévir ? Pour que le mal s’expose, se condamne lui-même, et que le jugement, lorsqu’il survient, soit sans appel. L’administration burundaise, sous cette impulsion, agit désormais en Deus ex machina. Elle a laissé à SUGURU l’espace pour se repentir, pour rendre les 120 milliards, pour exhorter son associé à restituer le butin de la REGIDESO, pour démissionner de l’Hémicycle de Kigobe. En vain. « Car il est temps que le jugement commence par la maison de Dieu » (1 Pierre 4 :17). Et la maison SUGURU tremble sur ses bases.

Le proverbe kirundi le dit avec une sagesse millénaire : « Imigere ibiri ntitereka » (on ne peut courir après deux lièvres à la fois). SUGURU a voulu courir après tous les lièvres du pouvoir, de l’argent et de l’influence. Il a défié les lois de la nature et de la République. Sa chute, désormais, n’est plus une hypothèse, mais une équation en cours de résolution. Les autorités, en l’évinçant systématiquement de ses sanctuaires, suivent un chemin lumineux et droit : celui du redressement moral et économique de la nation.

L’appel est donc lancé, non pas comme un cri de colère, mais comme un rappel à l’ordre solennel. Aux autorités : poursuivez, ultra, sur cette voie salvatrice. Le peuple, qui a porté ce pouvoir, voit et comprend. Il attend la suite logique : que la justice des hommes, dans son tempo imperturbable, accomplisse son œuvre jusqu’à son terme. À Olivier SUGURU, il ne reste qu’un conseil, gratis pro Deo : celui de la reddition honorable. Qu’il rende à César ce qui est à César, et qu’il se retire avant que la tunique de Nessus qu’il a lui-même tissée ne le consume définitivement.

L’acte XII de cette tragédie burundaise se clôt sur la chute du rideau. L’acte XIII, nous le pressentons, se jouera sur une autre scène : celle des tribunaux. Sic transit gloria mundi.

« Les systèmes mafieux ne tombent pas par hasard. Ils tombent le jour où l’État choisit enfin d’être plus fort que les réseaux. »

Par Jean Jolès Rurikunzira