Cinq (5) milliards évaporés au marché central : le scandale qui écrabouille la confiance publique.

Socio-économie

C’est une affaire qui sent le soufre, la ferraille et l’argent frais. Cinq milliards de francs burundais – une somme pharaonique – se sont volatilisés dans les décombres calcinés de l’ancien marché central de Bujumbura, réduits en cendres par un incendie en 2013, mais ressuscités en or par une opération aux allures de grand escamotage. Entre un jeune entrepreneur aux ambitions démesurées, un ancien ministre aux responsabilités lourdes, et une société kényane discrète, le puzzle financier se dessine, mais l’essentiel manque : la vérité. Qui rendra des comptes ? L’enquête commence ici.

C’est un dossier qui aurait pu rester enfoui sous les gravats et l’indifférence, si la parole présidentielle n’avait fait office de détonateur. Lors d’une conférence de presse tenue à Ntare House, le Président de la République a lâché une révélation aussi sèche qu’explosive : Fablice Manirakiza, ce jeune Burundais revenu d’Australie présenté comme le sauveur privé du marché central, ne serait en réalité qu’un « commissionnaire ». Un mot. Rien qu’un mot. Mais il a suffi à faire trembler les fondations d’un projet présenté comme le symbole de la renaissance économique de la capitale.

Derrière ce terme anodin se cache une réalité vertigineuse : 5 milliards de FBU – oui, vous lisez bien, cinq milliards – issus de la vente de la charpente métallique calcinée du marché, se seraient évaporés dans la nature. Une société kényane, selon nos sources bien informées, aurait acheté cette ferraille à ce prix mirobolant. Mais où est passé l’argent ? La question brûle les lèvres de tous ceux qui voient dans ce chiffre non pas une abstraction comptable, mais la somme nécessaire pour payer 412 docteurs pendant un an, ou 1300 enseignants mensuellement. Pendant que l’école et l’hôpital manquent de tout, l’argent public, ou du moins celui qui devait revenir à la collectivité, semble avoir pris le chemin des poches privées.

L’ascension médiatique d’un « self-made man » trop parfait

Tout a commencé comme un conte moderne. Fablice Manirakiza, souriant, ambitieux, se présente sur les plateaux de télévision comme l’homme providentiel. Il promet de transformer l’ancien champ de ruines en un mall moderne étincelant, et ce, en moins de cinq ans. Il clame disposer des fonds nécessaires. Le Président, séduit par cette audace, donne son feu vert. Les services de l’État sont mobilisés. En un temps record, les croquis sont dessinés, le périmètre est clôturé. L’ancien ministre des Infrastructures, le Capitaine Dukundane, multiplie les apparitions publiques à ses côtés, lui apportant une caution officielle des plus rassurantes.

Pendant ce temps, une autre transaction, moins visible, se noue dans l’ombre : la vente des débris métalliques. Un acheteur kényan entre en scène. 5 milliards de FBU changent de mains. Parallèlement, Fablice lève, auprès d’investisseurs séduits par son bagout et ses relations, une somme équivalente – 5 milliards de FBU et des dollars – déposée sur un compte à la BANCOBU au nom de « One Africa Investment Fund ».

Le trou noir financier et les questions qui fâchent

Mais voilà où le bât blesse. Fablice affirme avoir dépensé 2 milliards de FBU pour… nettoyer les lieux. Deux milliards pour enlever des ordures ? Dans un marché détruit par le feu en 2013 et qui ne présentait aucune urgence sécuritaire ou sanitaire justifiant une procédure accélérée ? L’autorité en charge des marchés publics et l’Inspection générale de l’État ont ici un devoir impérieux : vérifier la réalité de ces travaux et la régularité criante de cette attribution. Le principe est simple : l’argent public ne se dépense pas sans contrôle, sans appel d’offres, sans transparence. Sinon, nous sombrons dans la « bananier economics », où tout est permis à ceux qui sont bien introduits.

Et les 5 milliards de la ferraille ? La Banque de la République du Burundi (BRB), impliquée à l’époque dans le processus, détient peut-être une partie de la clé de l’énigme. Mais le cœur du secret réside entre les mains de deux hommes : Dukundane et Manirakiza. Leur point commun ? Aucun des deux n’est membre du CNDD-FDD, le parti au pouvoir. Ils sont arrivés avec des promesses, un vernis de modernité, et ont été crus sur parole. Aujourd’hui, le doute s’est transformé en suspicion généralisée.

 

 

 

 

Ancien Ministre le Capitaine Dukundane

 

 

 

 

Le modèle : un escroc international en modèle ?

Qui est vraiment Fablice Manirakiza ? Son histoire mérite d’être décortiquée. Présenté comme un « self-made man » ayant réussi en Australie, nos investigations révèlent qu’il y a laissé une femme et quatre enfants. De retour au Burundi, il se fait connaître via un projet immobilier au quartier Mirroir à Buterere, présenté comme sien alors que le bien appartenait en réalité à la Banque de l’Habitat du Burundi (BHB). Sa stratégie ? Se photographier avec des personnalités de haut rang pour construire une image de crédibilité et attirer les capitaux. Une méthode qui n’est pas sans rappeler les pratiques de Frank McCourt et ses montages immobiliers opaques. Des noms qui font froid dans le dos et qui nous alertent : le mirage peut précéder la chute.

Notre plaidoyer : la lumière, toute la lumière

Ce dossier n’est pas qu’une affaire financière. C’est une atteinte à la confiance des citoyens, un crachat à la face des Burundais qui peinent à joindre les deux bouts. Nous en appelons solennellement :

  1. À la Justice et à l’Inspection générale de l’État : Ouvrez d’urgence une enquête approfondie, forensique, sur la destination des 5 milliards de la ferraille et la justification des 2 milliards de « nettoyage ». Les comptes doivent être audités, les contrats passés au crible.
  2. Au Parlement : Mettez sur pied une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur les responsabilités politiques et administratives dans cette affaire.
  3. Aux institutions financières (BRB, BANCOBU) : Rendez publics les flux financiers liés à cette opération. La transparence bancaire doit primer sur le secret des affaires lorsqu’il s’agit de fonds liés à un bien public.
  4. À la presse et à la société civile : Maintenons la pression. Ne laissons pas cette affaire s’engloutir dans l’oubli. Chaque milliard détourné est un hôpital qui ne se construit pas, une école qui se délabre.

L’ancien marché central de Bujumbura est plus qu’un terrain ; c’est le symbole de ce que le Burundi veut devenir. Il ne peut pas être le théâtre de combines et de magie financière. Les ordures ont peut-être été enlevées, mais l’odeur du scandale, elle, persiste. Il est temps de laver plus que les pavés. Il est temps de laver l’honneur de la chose publique.

Cette affaire est à suivre. Et nous la suivrons, jusqu’à ce que la vérité éclate, aussi crue que la lumière sur les ruines du marché.

 

Par Rukundo Alfred de Musset