Ni noirs, ni blancs, les enfants métis durant la colonisation belge

Ni noirs, ni blancs, les enfants métis durant la colonisation belge
BUJUMBURA News le 5 août 2014

C’est un chapitre de l’Histoire de la colonisation assez méconnu. Celui des enfants métis nés pendant la colonisation. Des enfants nés d’une relation entre un père belge et une mère congolaise, rwandaise ou encore burundaise. Assumani Budagwa les raconte dans un livre qui vient de paraître: Noirs, blancs, métis: La Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi (1908-1960).

« J’ai 62 ans. Et ce n’est qu’en 2009 que j’ai découvert qui j’étais vraiment. Je suis retourné sur la colline où je suis né, au Rwanda. Et là, des vieux m’ont raconté mon histoire. Mon père était un entrepreneur belge. Il vivait au Rwanda avec son épouse, une Française, avec qui il avait déjà un enfant. Puis mon père a rencontré ma mère, une Rwandaise. Je pense qu’elle travaillait pour lui. Ensemble, ils ont eu trois enfants. Je suis le cadet. Mon père est mort, peu de temps après ma naissance, et du coup, sa première épouse a repris le pouvoir dans la maison et nous a mis maman et moi dehors ». Jeannot Cardinal, les cheveux bouclés, poivre et sel, a donc dû attendre plus de 50 ans pour savoir quelles étaient ses racines. Plus de 50 ans pour comprendre pour quelles raisons, sa peau était plus foncée que celle des autres, en Belgique. Plus claire que ceux qui l’entouraient, en Afrique. Son histoire, aussi singulière soit-elle, a la même trame que plusieurs milliers de métis, nés pendant la colonisation dans la région des Grands Lacs.

Les enfants métis comme un danger

Il n’y a pas de chiffres précis. Mais le chiffre de 20.000 enfants a été évoqué. Le phénomène prenait incontestablement de l’ampleur, à tel point que les autorités coloniales puis le gouvernement belge ont commencé à se pencher sur la question. On appelait alors ces enfants, des enfants mulâtres. Le terme vient de mulet, un croisement entre un âne et une jument. Cela donne une idée de la manière dont on les considérait. Ces enfants attisent la curiosité des puissances coloniales, comme a pu le constater Assumani Budagwa. Il enquête sur le sujet depuis plus de 20 ans. Et vient de consacrer un livre à ce sujet: « Dès la fin du 19ème siècle, plusieurs puissances coloniales prennent conscience du phénomène de métissage. Et elles s’organisent en congrès pour essayer de comprendre l’ampleur du phénomène et aussi pour commencer à étudier l’enfant né de l’union ou de ces mélanges de races. On les étudie presque comme on étudie les insectes : l’habitat, les types de maladies, le type d’alimentation qui leur convient etc… Et donc très vite, la plupart des puissances coloniales considèrent le métissage comme étant une menace aux intérêts coloniaux. Plus particulièrement, les métis sont considérés comme des dangers parce qu’il y a une ascendance européenne et une goutte de sang blanc. Cumulant disait-on, les tares des deux races, ils pouvaient être les ferments de révolte. Cette obsession qui considère les métis comme un danger provient essentiellement du Canada, notamment de Manutauba où un métis appelé David Riel a été un leader de mouvements de contestation des métis. Et depuis lors, on a commencé à considérer que tout enfant métis était porteur de ces germes de révolte ».

La ségrégation des enfants métis

Il y avait donc cette méfiance. Les Belges décident alors de trouver une place à ces enfants pour qu’ils ne nuisent pas en quelque sorte à l’intérêt de la colonie ni au « prestige racial ». Ils décident donc de séparer ces enfants de leurs familles d’origine, la plupart vivaient avec leurs mères africaines, et de les rassembler dans des colonies scolaires créées spécialement pour les métis. Assumani Budagwa raconte : « des archives et des témoignages que j’ai consultés, il apparaît plusieurs manières de procéder. Il y a des endroits où ça a été brutal, où l’administration a envoyé des policiers dire : vous ramassez tous les métis que vous retrouvez et vous les ramenez au premier poste de mission. Il y a aussi des parents, des pères le plus souvent, qui, sentant que leur mission se terminait, ne souhaitant pas ramener leurs enfants en Europe, ont conduit eux-mêmes leurs enfants dans des centres d’accueil. On pense même parfois que leurs employeurs les y encourageaient. Il y a aussi de manière très sournoise des délégations qui étaient envoyées auprès des mamans pour leur dire : l’état voudrait récupérer les enfants des Bazungus, les enfants des Européens, pour leur donner une éducation et donc ne vous opposez pas à ce que votre enfant soit acheminé à tel ou tel endroit. Il y a aussi des cas où ce sont les missionnaires, avec la crédibilité qu’ils avaient, qui sont allés trouver notamment les mamans pour leur dire : on peut s’occuper de votre enfant, lui donner une bonne éducation dans un internat. Et les mamans ont cru de bonne foi que leurs enfants étaient pris en charge par le clan européen, le clan blanc de leur papa ».

L’institut des enfants métis de Save

Jeannot Cardinal a donc grandi au milieu de centaines d’autres enfants métis, à l’institut de Save, près de Butare, au Rwanda. Ce sont les Sœurs Blanches d’Afrique qui faisaient fonctionner le lieu.  » Dans les documents que j’ai retrouvés il y a 5 ans, il y a deux documents que maman a signé de son pouce, parce qu’elle ne savait ni lire ni écrire. Le premier disait qu’elle était d’accord que je fasse des études en Belgique. Le deuxième, que je pouvais être adopté en Belgique. J’imagine qu’elle ne savait pas ce qu’elle signait ». L’institut de Save a en fait une histoire particulière. A la veille de l’indépendance, les enfants qui y résidaient ont été expulsés vers la Belgique, souvent sans que leurs mères ne soient prévenues.  » Je me rappelle que les Sœurs Blanches nous ont dit : maintenant, vous allez partir au pays des pommes et des poires. Moi, je ne savais pas ce que ça voulait dire « .

En Belgique, certains de ces enfants ont été adoptés ou ont grandi dans différents centres et orphelinats. Jeannot dit avoir eu de la chance, il a été adopté par une famille et a vécu du côté d’Ypres. Même si sa différence était parfois difficile à porter : « J’étais une attraction touristique, il n’y avait pas encore beaucoup d’étrangers en Belgique. J’étais le seul qui avait une couleur ».

Pour ces enfants métis, aujourd’hui adultes, cette histoire est encore douloureuse. Pour Jeannot aussi :  » Ce manque d’identité, ce manque de maman, c’est quelque chose que tu as pour ta vie. Si tu n’as pas d’identité, c’est difficile. Qui suis-je ? Qui est ton père ? Tu te sens seul au monde. Maintenant j’en sais un peu plus et ça m’a apaisé « .

A.W.