Non, mais ces « avions de Gitega » énervent ! (Iwacu 12/8/2014)

Deux hélicoptères en construction au centre du pays qui soulèvent beaucoup d’enthousiasme … Une triste réalité derrière : le Burundi regorge de créativité en manque d’encadrement.

Cela n’arrive pas souvent, de passer une nuit blanche avant de pondre un papier. Cette fois-ci, ça y est. Ils vont me tondre dru, m’envoyer piloter le premier prototype en état de voler en guise de punition, m’afficher sur la place publique pour avoir mis en doute le souffle de génie qui monte des postes de soudure de Gitega.

En cause : le profil du second aéronef en construction dans Gitega, dans une salle pleine de ferraille du quartier Musinzira. Cela ressemble à un œuf.
Qu’ils nous permettent de douter des calculs sur l’aérodynamisme de la structure, sur le maniement des équations établissant le juste milieu entre les forces de portance, de traînée, de traction et du poids nécessaires au vol de tout aéronef. Pour ce qui est des pneus, récupérés sur des brouettes made in China, fermons les yeux.
Et prions qu’aucune personne ne monte à bord de cette machine.

Surtout pas son concepteur, René Baribonekeza, père de quatre enfants. Que René reste au sol avec nous. Il nous est trop cher. Tout comme Gustave Niyibizi, l’autre concepteur du premier prototype d’un « avion de Gitega. »
Il avait défrayé la chronique il y a quatre mois, ce père de trois enfants membre du Centre d’essai aéronautique de Gitega (CEAG).
A l’époque, certains avaient ri d’incrédulité, d’autres parlé d’escroquerie, de folie. Puis il y eut l’escouade de poing, vigoureux, menaçant, le « ils » que je crains depuis le début de l’article. Au nom du génie du peuple burundais, fort connu depuis les temps reculés des Bami et des Bashingantahe, au nom du devoir de célébrer la soif des aspirations hautes dans un océan de médiocrité, ils justifièrent, défendirent becs et ongles Gustave et son équipe.
Le 1er juillet approchant, il fallait se taire pour qu’on célèbre l’Indépendance dans l’unité et la fraternité nationales.

Maintenant que c’est passé, disons-nous la vérité. C’est une farce, cette histoire d’avion de Gitega. Avouons-le, mettons ce chauvinisme un peu gauche de côté. Reconnaissons qu’un instituteur de Gitega, aussi féru de mécanique qu’il soit, ne peut nous donner un hélicoptère … avant un bon bout de temps. Une dizaine d’années au bas mot : le premier avion 100% africain a pris trois ans à plus de 60 ingénieurs dûment qualifiés …
Évitons qu’on ricane dans le futur comme cela se fait de temps en temps en regardant cette fusée zaïroise sous Mobutu.

Si Gitega veut réellement se doter d’un avion « maison », que tous ces soudeurs, mécaniciens, manieurs de tôles et autres souffleurs de la place acceptent de marcher jusqu’à Tankoma. Là, il y’a l’Université Polytechnique de Gitega, à la belle devise « Savoir, Créativité, Développement.» Que le CEAG s’intègre comme un pôle de recherche dans l’UPG, pour qu’il reçoive le soutien des ingénieurs en aviation reconnus dûment.

Alors là, on saura que c’est du sérieux. Sinon, ce qui se passe n’est rien d’autre que de la ronflerie. On veut impressionner l’opinion, comme le font certains citadins quand ils arrivent sur la colline d’origine et qu’ils commencent à manier appareil-photo-dernier-cri-intégré-dans-un-terminal-téléphonique-3G devant des habitants hébétés.

Le développement, c’est l’intelligence. Et face aux immenses défis auxquels fait face la société burundaise, il s’agit d’user rationnellement de maigres énergies en présence. Au lieu de passer des années à bousiller des tonnes de tôles, des mégawatts d’une électricité-luxe, des nuits blanches en pensant comment fondre des pales avec une bonne inclinaison, que ces bonnes volontés de Gitega s’investissent à produire des machines pour irriguer en ces périodes où la pluie tombe à tort et à travers, fabriquent des tricycles pour les nombreux handicapés qui jonchent nos rues sur des moignons, nous aident à installer des mini-centrales électriques un peu partout dans le pays (René Baribonkeza veut d’ailleurs le faire, bravo !).
Et dans dix ans, la population qui aura diversement bénéficié de la technologie made in Gitega sera capable, à travers les impôts, de payer argent comptant l’achat de deux avions fonctionnels.

Sinon, à l’état actuel, les avions de Gitega ne servent qu’à nourrir strictement les egos de certains. Et Dieu seul sait s’il y en a parfois, dans ce merveilleux pays.