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Le gouvernement du Canada et le gouvernement élu du Québec se rallieront au consensus qui se dessine derrière la rivale de Michaëlle Jean, la ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, au Sommet de la Francophonie.
Un texte de Fannie Olivier
« Pour ce qui est du poste de secrétaire général, le Canada est prêt à se rallier au consensus, comme le veut la façon de faire en Francophonie », a indiqué Jeremy Ghio, l’attaché de presse de la ministre canadienne de la Francophonie, dans une déclaration transmise par courriel.
Selon ce qu’ont indiqué des sources proches du dossier à Radio-Canada, cela signifie concrètement qu’Ottawa retire son appui à Michaëlle Jean.
Ces sources soutiennent que le Canada a fait son analyse de la situation et a conclu que Mme Jean n’était pas en mesure de rallier suffisamment de membres.
« On ne voit pas comment elle pourra gagner. On voit se dessiner une confrontation », explique l’une de nos sources.
Québec en phase avec Ottawa
Le premier ministre désigné du Québec, François Legault, fait écho à la décision canadienne. « Je vous annonce que le gouvernement élu de la CAQ n’appuiera pas Mme Jean pour sa réélection à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie [OIF]. Nous nous joindrons au consensus africain qui est plein de potentiel. Il est maintenant temps de laisser place à un nouveau style de gestion », a écrit le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) sur Twitter.
Ce positionnement fait en sorte de laisser le champ libre à l’adversaire de Michaëlle Jean, Louise Mushikiwabo, qui avait déjà eu l’appui de la France et de l’Union africaine. Traditionnellement, le secrétaire général a été désigné par un consensus des membres, et non par un vote.
La ministre Mushikiwabo a d’ailleurs elle-même réagi sur Twitter à la sortie de François Legault sur le réseau social. « Le soutien de la CAQ à la candidature africaine est hautement apprécié; il est l’illustration de la solidarité positive dans l’espace francophone! », a-t-elle écrit.
La Rwandaise Louise Mushikiwabo est pressentie comme prochaine secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie.
La ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, en août 2018 Photo : AFP/Getty Images/JACQUES NKINZINGABO
Une autre source proche de la campagne affirme que Michaëlle Jean a été prévenue par le Canada que ses chances de l’emporter étaient extrêmement minces. Un représentant canadien lui a dressé un portrait « très clair » de la situation, a indiqué cette source.
Le Canada craint que la question de la sélection du poste de secrétaire général occupe une trop grande place au Sommet de la Francophonie, qui s’ouvre jeudi à Erevan, en Arménie. Des sources bien informées confirment que le Canada souhaite mettre les intérêts de la Francophonie avant les intérêts personnels de Michaëlle Jean.
« Nous voulons que le Sommet soit l’occasion de discuter des priorités des chefs d’État et de gouvernement pour les prochaines années », écrit d’ailleurs Jeremy Ghio.
Dans sa déclaration, l’attaché de presse de la ministre Joly salue par ailleurs « le travail de Mme Jean à la tête de la Francophonie, notamment en ce qui a trait à l’éducation des filles et l’émancipation des femmes ».
Les dépenses de Michaëlle Jean ont passablement terni sa réputation au pays au cours des derniers mois. Elle a été notamment critiquée pour la rénovation de son appartement de fonction à Paris et les dépassements de coûts d’une croisière destinée à une centaine de jeunes.
Michaëlle Jean entend se battre jusqu’au bout. Dans un courriel envoyé en matinée, son porte-parole Bertin Leblanc signale qu’elle était impatiente de présenter son bilan aux chefs d’État et de gouvernement qui affluent cette semaine en Arménie, et qu’elle va se battre pour rester à la tête de l’organisation.
Une défaite annoncée
Le Canada a pris acte que la Rwandaise Louise Mushikiwabo « avait non seulement l’appui de la France, mais des 29 pays africains qui composent la majorité au sein de l’OIF », explique Jocelyn Coulon, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.
En annonçant qu’il retirait son appui, il [le premier ministre Justin Trudeau ] a voulu éviter d’autres dégâts parce qu’on s’en allait vers une crise.
Jocelyn Coulon, chercheur, Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal
Influences politiques
Contrairement aux questions budgétaires et aux problèmes de gestion de l’organisation, qui ont été mis en avant par les médias, la véritable raison de ce manque d’appui relève plutôt de la politique, indique M. Coulon en entrevue à 24/60. À partir du moment où le choix de la France s’est porté sur une autre candidate, les jeux étaient faits.
« La France est la puissance dominante au sein de l’OIF. Et lorsqu’une grande puissance veut quelque chose dans une organisation, c’est rare qu’elle ne l’obtienne pas », ajoute-t-il.
Du fait qu’elle paie plus de la moitié de la facture du budget, la France jouit d’« une influence énorme » au sein de l’OIF. De plus, insiste Jocelyn Coulon, « la France a une politique africaine, le Canada n’a pas de politique africaine ». Le chercheur souligne que l’actuel gouvernement à Ottawa, comme celui des conservateurs qui l’a précédé, ne s’intéresse pas à l’Afrique.
C’est pourtant un continent d’avenir, qu’il faut prendre en considération, « même diplomatiquement. L’Afrique, c’est 54 pays à l’assemblée générale des Nations unies ».
« M. Trudeau est allé en Afrique en 2016, quelques heures au Liberia, deux jours à Madagascar, pour le Sommet de la Francophonie, et c’est tout. Pour quelqu’un qui veut avoir un siège au Conseil de sécurité dans deux ans, ce n’est pas être très actif », constate M. Coulon.
En retirant son appui à Michaëlle Jean et en ouvrant la voie à la Rwandaise Mushikiwabo, cela pourrait-il servir le Canada à l’ONU?
Le Canada réfléchit à ce qui va arriver dans deux ans et il espère que les pays africains vont se souvenir de ce beau geste, parce que les Africains voulaient avoir ce poste de secrétaire général.
Jocelyn Coulon, chercheur, Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal