Le tourisme au Burundi est-il malade de ses gestionnaires ? Par Daniel Kabuto

Quand on demande à certains Burundais ce qu’il faut voir au Burundi, il n’est pas surprenant d’entendre : « Il n’y a rien à voir au Burundi ! Le pays va de mal en pis ! Avez-vous écouté la RPA ? C’est la jungle, ce pays ! Même les chimpanzés ont été offerts au Kenya ! Y-a-t-il encore des singes dans la réserve de Kigwena ? Pays de la source du Nil ? Juste une petite pyramide et un filet d’eau à Rutovu ! »

Et pourtant ! Le Burundi regorge d’atouts touristiques. Une petite pyramide ? Et combien d’année de recherches pour aboutir à cette vérité : « la source la plus méridionale du Nil se trouve au Burundi, à Rutovu ». Du côté de Nyanza-lac, il y a un petit monument de la rencontre de Speke et Burton. Du côté de Kabezi, il y a la pierre de Livingston. Ces explorateurs occidentaux n’étaient pas des aventuriers et encore mois des fous. Ils étaient émerveillés par la beauté de l’Afrique et les splendeurs du Burundi en particulier.

C’est un pays de mille et une collines. Une merveille qui a fait dire que le Burundi est la « Suisse d’Afrique » ! Ce ne sont pas les paysans de Makebuko où l’association AGAKURA peut booster l’économie de la localité grâce à l’écotourisme qui vont me démentir. Loin de moi l’idée de chercher à rivaliser avec le chanteur Steven SOGO : « Oui, il est beau mon pays, Burundi ! Il est beau ! »

A l’occasion de la célébration du centenaire du début de la Première Guerre Mondiale (1914-1918), il importe de souligner que le Burundi a aussi et cela dans une certaine mesure été le théâtre d’affrontements entre Belges et Allemands. C’est que la Belgique gérait alors le Congo comme territoire du roi des Belges et qu’ils devaient chasser les Allemands du Burundi et du Rwanda et pourquoi de tous les pays d’Afrique de l’Est !

L’étincelle qui a provoqué la guerre survint le 28 juin 1914, lorsqu’un jeune nationaliste serbe de Bosnie (Gavrilo Princip) assassina l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône austro-hongrois, et son épouse. Les exigences de vengeance de l’Autriche-Hongrie (fortement encouragée par l’Allemagne) à l’encontre du Royaume de Serbie menèrent à l’activation d’une série d’alliances qui obligèrent plusieurs puissances européennes à s’engager sur la voie de la guerre. Il faut rappeler que plusieurs de ces nations étaient à la tête d’empires s’étendant sur plusieurs continents. Ce qui explique la portée mondiale du conflit. Cette guerre fut surtout le fait de deux grandes alliances : la Triple-Entente et la Triple Alliance ou la Triplice. La Triple-Entente était composée de la France, du Royaume-Uni, de la Russie, et des empires qu’elles contrôlaient en tant que grandes puissances coloniales. Plusieurs États se joignirent à cette coalition, dont la Belgique, envahie par l’Allemagne, qui fit appel à la France et au Royaume-Uni garantes de son indépendance.

C’est une occasion de s’arrêter sur le contexte du traité de Kiganda, les réalisations des Allemands au Burundi mais aussi de comprendre l’origine du site touristique appelé « la faille des Allemands ». Cette commémoration pouvait-elle passer inaperçue au Burundi ? Que rapporte ce genre d’événements à d’autres démocraties en Europe ?

Enfin une diplomatie plus inspirée…

A la faveur de la semaine diplomatique, le Ministère des Relations Extérieures et de la Coopération Internationale a organisé fin juin 2014, un périple pour les diplomates résidents et non résidents vers le cimetière des victimes de la première guerre mondiale côté allemand à Cibitoke, puis vers le barrage de Rwegura, l’usine de thé de Rwegura. L’escale fut la résidence du Prince Charles BARANYANKA à Kayanza. Ce fut une découverte très enrichissante sur l’histoire du Burundi, sur la faune et la flore de même que les défis liés aux changements climatiques. Du côté de Mabayi, les diplomates ont eu l’occasion d’assister à l’extraction de l’or.

Après Kayanza, les diplomates ont visité le centre d’apprentissage des langues à Ruganza (passage obligé de tous les missionnaires qui venaient évangéliser dans la sous-région). A ce même lieu, il y a le cimetière des victimes de la première guerre mondiale côté belge. Puis le cortège s’est rendu à Bukeye, à Muramvya pour admirer le climat et les fruits et légumes de Bugarama avant de faire une autre escale au belvédère immortalisé par le résident Paul Harroy. Au retour, les diplomates étaient aux anges ! « Quel merveilleux pays ! Allons faire honneur à la gastronomie burundaise avec le fameux Mukeke, Kuhé ou Ndagala ! Moi, j’adore les fruits de ce pays : ils sont exquis ! » Et patati et patata….

Pour la semaine de la Diaspora fin juillet 2014, le Ministère des Relations Extérieures et de la Coopération Internationale a offert à plus d’une centaine de Burundais de l’étranger l’excursion vers la réserve naturelle de la Kibira côté Teza. La beauté des plantations de thé et le panorama magnifique sur la crête du Congo-Nil ; la montée à l’ombre des arbres multiséculaires et le clapotis d’eau filtrée naturellement, le chant des oiseaux, cette randonnée est un régal !

D’autres événements organisés cette année prouvent que le Burundi peut connaître un grand essor du tourisme. On peut citer le festival annuel du film et de l’audiovisuel (FESTICAB), la semaine de la mode (Bujumbura Fashion Week), l’événement Happy Bujumbura, les compétitions d’athlétisme, le tournoi de tennis et de basketball, l’événement Primusic, les multiples concerts de musique en live abusivement qualifiés de karaokés etc. Il s’agit des efforts souvent des particuliers pour créer de l’ambiance et savourer les dividendes de la paix.

Hélas, les sites touristiques laissent à désirer…

Quand vous visitez la réserve naturelle de la Kibira, il n’y a pas de place aménagée pour le repos lors de la montée ou de la descente. Les bouteilles d’eau minérale et autres objets dont les touristes peuvent se débarrasser finissent alors dans la nature faute de poubelles ! Même la piste d’accès est mal entretenue !

En discutant avec quelque responsable de tour opérateur burundais, il m’a fait part de son indignation de voir qu’il n’existe pas de toilettes au niveau des chutes de Karera et encore moins un parking. Aucune pancarte n’indique ce lieu merveilleux. Et pourtant la commune et l’INCEN font payer les droits d’entrée ! Et de se demander pourquoi ces droits ne sont pas perçus uniquement par l’INCEN avec un pourcentage à verser à la Commune !

Sur ce site tant vanté à la ville et au monde, aucun investissement pour y trouver par exemple le spectacle d’une troupe de danses de la région ! Aucun investissement pour avoir des vestiaires, un petit restaurant ou un endroit aménagé pour le pique-nique !

Ces mêmes handicaps sont signalés du côté des eaux thermales de Mugara. Les reproches faites à la réserve naturelle de Kibira reviennent dans les bouches de ceux qui se rendent à Kigwena et à Vyanda. Du côté des eaux thermales de Ruhwa, c’est un site à l’abandon. Et pourtant, le poste frontalier unique n’empêche pas la valorisation de ces eaux aux valeurs thérapeutiques reconnues dans le monde entier !

Que dire du parc de la Ruvubu ? Les buffles seraient en surpopulation et ravagent souvent les plantations des populations riveraines. Mais alors, quel marketing pour ce parc qui regorge d’animaux et d’oiseaux ? Quid des investissements à rechercher pour le lac aux oiseaux du côté de Kirundo ? Pourquoi toujours des budgets mirobolants pour la participation à des foires à Berlin, Londres, Moscou ou Pékin alors que le minimum pour rendre les sites attractifs n’est pas fait ?

En publiant cette tribune, je voulais ouvrir un débat. Car je suis convaincu que les plages de Bujumbura, de Rumonge ou Nyanza lac peuvent rivaliser avec celles de Mombasa ou Zanzibar. Il n’est pas question de se réjouir des attaques terroristes qui font chuter le nombre de touristes qui se rendaient à Mombasa mais il faut remarquer que certains touristes ne veulent pas quitter la sous-région et qu’ils explorent d’autres destinations. Ce n’est pas en leur disant que le Burundi est beau, qu’il est totalement en paix depuis pratiquement 2007, qu’aucun touriste ou expatrié n’a été victime d’insécurité ou d’acte de vandalisme qu’ils vont venir. Il faut travailler dur et élever nos produits touristiques aux standards internationaux.

Quid de l’INCEN et de l’ONT ?

Pour que le secteur du tourisme se développe, il faut une bonne organisation, une vision et des moyens conséquents. L’institut national de l’environnement et de la conservation de la nature (INCEN) gère les sites touristiques. Il perçoit les rentrées et contrôle les guides et les gardiens des parcs et réserves. Mais les communes également font parfois payer les touristes comme sur les chutes de Karera. Est-ce une particularité burundaise ?

Et l’Office National du Tourisme (O.N.T) dans tout ça ? Cet organe public a comme bible de référence : la stratégie nationale du tourisme. En pratique, c’est l’interlocuteur des partenaires pour tout ce qui touche le secteur du tourisme. Mais peut-il investir dans l’amélioration des sites touristiques pour en faire des produits alors qu’il ne contrôle rien des rentrées ? Est-ce l’une des raisons qui font que le secteur du tourisme ne décolle que timidement ? Et quid des chevauchements entre cet établissement et l’INCEN ? Quelles solutions peut-on tirer de l’expérience rwandaise ou kenyane ? Quelle protection pour les tours opérateurs burundais par rapport à ceux de la sous-région ou des avantages à accorder pour la vente des droits d’entrée dans les parcs et réserves naturelles ?

Vers un aggiornamento ?

Il ne faut pas se leurrer : le monde rivalise de génie pour tirer profit des atouts naturels ou artificiels de chaque contrée. Comme disait Victor Hugo : « Le sot est un imbécile dont on voit l’orgueil à travers les trous de son intelligence ».

Quand il faut réfléchir pour le Burundi, on se retrouve toujours à recommander quelque aggiornamento. Oui, il faut sortir d’un carcan. A mon avis, l’INCEN peut s’occuper de l’environnement et de la conservation de la nature et travailler avec des organismes intéressés par ces questions vitales. Mais la gestion des sites touristiques du Burundi réclame une réforme dans les meilleurs délais. Il faut transformer ces sites en produits touristiques, développer un marketing performant et vendre enfin la destination « Burundi » dans le monde entier, en misant sur le tourisme de niches et celui intégré.

L’option du visa touristique unique est à accueillir à bras ouverts. Il faut clamer haut et fort que le pays est en paix. Une paix irréversible. Puis il faut s’attaquer aux prix des billets d’avion, au lieu d’attendre que l’arrivée massive des touristes entraîne une baisse substantielle desdits billets ! Nous avons de grands défis à relever, mais comme dit un sage chinois « tout grand voyage commence par le premier pas ». Et s’il est vrai que tout ce qui a été fait jusqu’ici n’a pas été que de faux pas, il y a tout de même anguille sous la roche.

 

Daniel KABUTO, écrivain.