Cpi : entre controverse et impunité, l’Afrique a-t-elle le choix? (Afrique Inside 09/10/14)

Mercredi 8 octobre, le président kenyan Uhuru Kenyatta est devenu le premier chef de l’état à comparaître devant la Cour pénale internationale. Un africain de plus devant la juridiction de la Haye, pas un chef de guerre, ni un président déchu, non un président en exercice cette fois. L’Union africaine pourrait sortir à nouveau de ses gonds malgré l’absence d’une justice continentale efficiente.

Uhuru Kenyatta est poursuivi par la Cour Pénale Internationale pour son rôle présumé dans des violences en 2007 et 2008 au Kenya qui ont fait 1.000 morts et 600.000 déplacés. Il n’est le seul visé au plus haut niveau de l’état, le vice-président kenyan William Ruto est également poursuivi par la CPI, son jugement a débuté le 10 septembre dernier. Le président kenyan poursuivi pour crimes contre l’humanité inaugure-t-il une nouvelle série de comparution devant la CPI, celle des chefs d’état africains controversés? Avant lui aucun président en exercice n’a été jugé à la Haye. Son homologue soudanais Omar El Béchir sous le coup d’un mandat d’arrêt pour crimes de guerre est ainsi recherché par la justice internationale et prend soin de limiter ses déplacements. L’ancien président Laurent Gbagbo a été transféré à la Haye au terme d’un conflit post-électorale en Côte d’Ivoire. Le cas d’Uhuru Kenyatta est un peu différend puisque ce dernier s’est rendu à la convocation de la CPI, précisant toutefois que ce n’était pas en sa qualité de président du Kenya. Une distinction importante pour la jurisprudence. En effet, M. Kenyatta affirme que ses fonctions ou ses devoirs de président ne justifient pas sa présence au tribunal. Le dirigeant kenyan a comparu une fois devant la CPI avant son élection jamais depuis son accession à la magistrature suprême en mars 2013. Son procès initialement prévu en septembre 2013 a été reporté à plusieurs reprises faute de preuves suffisantes. Ce n’est pas une première, les carences du dossier Gbagbo ont déjà embarrassé la CPI, plus précisément la Procureure générale Fatou Bensouda forcée de trouver la parade. Mme Bensouda d’origine gambienne accuse Nairobi de ne pas coopérer en refusant de transmettre des éléments importants pour l’instruction. Elle affirme que de nombreux témoins victimes d’intimidation se sont rétractés. A Addis-Abeba, la justice de la Haye agace au plus haut niveau, sa crédibilité est remise en cause.

Une Cour africaine en gestation, auto-immunité des chefs d’état et de gouvernement

L’Union africaine n’apprécie guère de voir les présidents africains dans le viseur de la justice internationale. L’affaire Uhuru Kenyatta est perçue comme un pied de nez à la souveraineté des pays africains. Jusqu’alors, l’UA s’est tenue à l’écart malgré des procédures visant exclusivement le continent africain. Depuis 2003, les instructions ouvertes concernent huit pays d’Afrique. Si l’agacement est certain dans les rangs de l’UA, le malaise l’est tout autant à La Haye. Pour calmer le jeu et faire taire les critiques à son égard, la juridiction a nommé la gambienne Fatou Bensouda au poste de procureure générale. Un échec, le président kenyan dénonce une « chasse raciale » tandis que d’autres, l’Ougandais Yoweri Museveni ou le Rwandais Paul Kagame soulignent son afrocentrisme. Les accusations visant le président kenyan ont mis le feu aux poudres. Il y a un an, l’institution panafricaine a exigé la suspension de son procès en vertu de « l’article 16 » du traité de Rome fondateur de la CPI. Cet article permet au Conseil de sécurité d’ajourner des poursuites, pour un an renouvelable. Plusieurs membres ont menacé de se retirer mais l’immobilisme de l’UA a fini par l’emporter. On imagine mal certains pays africains claquer la porte…Et cela alors que le continent ne dispose guère d’une véritable justice panafricaine. L’Afrique est-elle capable de juger ses dirigeants accusés des pires crimes? Non de l’avis de nombreuses organisations africaines de défense des droits de l’homme. Par crainte de voire l’impunité régner en maître, les défenseurs de la CPI soulignent son pouvoir dissuasif en attendant une juridiction adéquate à laquelle il est de plus en plus difficile de croire. Pour preuve, une Cour pénale africaine est bien en cours de création. Il s’agit de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme mais lors du dernier sommet de l’UA à Malabo, les pays membres ont décidé que les chefs d’Etats et de gouvernements en exercice ne pourront pas être poursuivis par la « dite » Cour. Cette auto-immunité assure « de facto » de beaux jours à la CPI.