La Haye:fin du procès de Gbagbo? Tensions judiciaires et recomposition politique en Côte d’Ivoire

Le 12 novembre marquera-t-il la fin de l’interminable procès fait à Laurent Gbagbo à la Cour Pénale internationale ? Ce serait peut-être aller vite en besogne, comme l’espèrent pourtant les milliers de ses partisans qui manifesteront ce jour-là à La Haye, comme ils le font depuis la date fatidique du 11 avril 2011, lorsque leur héros a été renversé par les forces françaises au profit de M. Ouattara.

 DES DOUTES SUR LE PROCÈS DE LAURENT GBAGBO

Pourtant, l’hypothèse de la fin du procès et d’une libération dans les semaines à venir de M. Gbagbo tient la route. Il y a pour l’appuyer de fortes présomptions à la fois juridiques et politiques : tout simplement parce que le dossier est vide. Mais aussi internationales : le président Trump, après son conseiller John Bolton, vient de se livrer à une vigoureuse critique de cette institution – dont on rappelle que non seulement les Usa, mais aussi la Russie et la Chine se sont toujours refusé d’y adhérer.

Les trois grandes puissances, hostiles à des degrés divers à tout multilatéralisme et instances supranationales, ont de fait passé une alliance implicite avec nombre de pays du Tiers monde, singulièrement africains, qui voient dans la CPI un instrument de « néocolonialisme judiciaire ». Ces derniers s’en sont parfois retirés, comme le Kenya, d’autres qui se veulent les leaders d’une « Afrique digne » – comme l’Afrique du Sud ou le Rwanda – sont extrêmement critiques envers une institution qui ne mène pratiquement des procès qu’envers des ressortissants africains, qui ne plaisent pas, ou plus, aux puissances européennes dominantes.

Car c’est là où le bât blesse, et la Cour pénale « indépendante » est de fait très liée à la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne dont elle exécute si ce n’est forcément des ordres, du moins des suggestions très suivies, dans un sens ou un autre. Les financements, la proximité, les relais politiques et judiciaires expliquent cette dépendance, à tel point que la journaliste Stéphanie Maupas l’a justement nommée le « joker des puissants » – comprendre des dirigeants des États européens.

Si l’on peut juger, malgré le secret des tractations, de ces influences successives, c’est à la fois à cause des relations politiques changeantes, des investigations journalistiques successives et des témoignages multipliés que les pressions extérieures ont changé de cap du procès ivoirien.

Jouent aussi des événements récents et majeurs, comme la libération récente du leader congolais Jean Pierre Bemba, juste avant des élections présidentielles dont il est pour le moment encore exclu, bien qu’acquitté dans son procès à la Haye.
En juin dernier, la décision inattendue de la chambre d’appel de la CPI dans le procès Bemba, qui pour une foi a dit le droit, est apparue comme un désaveu cinglant de l’amateurisme et des partis pris du bureau du procureur (pourtant censé requérir à charge et à décharge), représenté par la juriste gambienne Fatou Bensouda – ex ministre de la « justice » du dictateur déchu Yaya Jammeh.

Certes, la décision de la Cour pour le cas Gbagbo peut être plus tardive, en décembre, ou quelques mois plus tard, pour aboutir à un résultat identique : la libération des deux prévenus (l’ex-ministre Blé Goudé est avec Laurent Gbagbo) – et peut-être en attendant leur assignation à résidence, loin de la geôle de Scheweningen, à La Haye.

Pour autant la thèse d’une incarcération jusqu’en 2020, date des prochaines élections présidentielles n’est pas à exclure : c’est bien évidemment ce que souhaite le régime Ouattara et certains de ses alliés français, pour éliminer le président Gbagbo de la course. Pourtant tout a bien changé, et à Paris, et à Abidjan. Emmanuel Macron n’a pas le passé françafricain d’un Sarkozy, ni même d’un Hollande : il semble que sur les instances de son « Conseil pour l’Afrique », de fortes pressions de l’Élysée auraient été faites sur Ouattara pour qu’il libère récemment les 300 derniers prisonniers politiques, dont Simone Gbagbo.

Cette dernière a repris toute sa place dans le jeu politique ivoirien, prenant à contre-)pied le régime avec un discours de pardon et de réconciliation qui la place au centre d’une recomposition politique accélérée. Voire d’une candidature possible à la présidentielle, en cas d’empêchement de Laurent Gbagbo. Le décès d’un grand fidèle, Abdouramane Sangaré, qui tenait l’appareil du FPI en l’absence du couple Gbagbo, pourrait la voir prendre les rênes de ce grand parti, bien que d’autres candidatures soient possible : une lutte de succession feutrée s’engage en effet, sur base de personnes, d’idéologies et de renouvellement des générations.

Bien sûr Paris cherche comme toujours à avoir plusieurs rivaux sous sa coupe, dans une « transition » réglée qui préserverait ses intérêts, et mise concurremment sur Henri Konan Bédié et même Guillaume Soro .

Si Laurent Gbagbo était libéré rapidement, les procédures de la CPI et la situation que susciterait son éventuel retour aboutiraient certainement à un séjour dans un pays tiers, ne serait ce que pour négocier le retour au pays natal, et assurer sa sécurité.

Entre fidélité et nostalgie, l’opinion ivoirienne se prend ces temps-ci à rêver de réconciliation et de justice – le discours actuel de Simone Gbagbo à Abidjan. Un scénario à la Mandela.

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Marianne