Qu’est-ce que l’ingoma, classé au patrimoine immatériel de l’Unesco ?

Les Burundais ont gagné la bataille de l’ingoma. Depuis la fin de 2014, leur célèbre danse rituelle est inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco. À eux de faire respecter la tradition.

Après quatre ans d’un intense combat diplomatique mené par le ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, la danse rituelle au tambour royal du Burundi a été inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco le 27 novembre 2014. Une immense fierté pour le pays, même si, en pratique, la préservation de ce patrimoine se révèle difficile.

Car le gouvernement souhaite non seulement promouvoir l’instrument à l’intérieur du pays et à l’étranger, mais aussi protéger son identité et son caractère sacré. Une dimension qu’il avait quelque peu perdue au fil du temps, notamment auprès de la jeunesse. À l’origine, l’ingoma – qui signifie à la fois « tambour » et « royaume » en kirundi -, symbole du pouvoir et de l’unité de la nation, n’était battu que par les tambourinaires ritualistes, à la cour royale ou à celles des princes.

« On le battait le matin pour réglementer les activités de la journée et montrer que le roi était bien réveillé et au travail. Même chose le soir, pour sonner la fin de la journée, l’arrêt des activités champêtres et le début de la soirée », précise l’étiquette de la dynastie Ganwa. Le tambour résonnait également pour annoncer un événement, comme le sacre ou les funérailles d’un souverain et, à la fin de chaque année, pour les cérémonies de l’umuganuro, la fête des semailles du sorgho, qui marquaient le début de la campagne agricole.

Invités de marque

Depuis l’avènement de la République, l’ingoma n’est plus royal, mais reste sacré, tout comme les rituels qui lui sont liés. À la fois respecté et populaire, l’instrument n’est censé battre que pour la nation, notamment lors des célébrations de l’indépendance ou pour accueillir des invités de marque. Pourtant, depuis quelque temps, des groupes vendent leurs services pour agrémenter mariages ou fêtes de famille.

Au grand dam des tambourinaires. Pour ces derniers, l’apprentissage de l’instrument et de la danse doit évidemment être encouragé, en particulier auprès des jeunes. En revanche, les représentations officielles des tambourinaires doivent être redéfinies et justifiées uniquement par des événements d’importance pour la nation ou les communautés locales.

Le gouvernement s’attelle donc à mieux faire respecter les règlements qui encadrent l’utilisation de l’instrument, aussi bien au Burundi qu’à l’étranger. Ainsi, la sortie des tambours hors du pays reste soumise à une autorisation officielle. Et plus question de laisser jouer n’importe quel groupe, à tout bout de champ, n’importe où. Seuls les orchestres reconnus ont droit de battre tambour lors des cérémonies nationales ou pour de grands événements.

Enfin, même si la société burundaise accorde désormais des responsabilités aux femmes, la fonction de tambourinaire reste l’apanage des hommes.

Héritage

Pour veiller sur le patrimoine et perpétuer la tradition ingoma, l’État renforce par ailleurs ses actions de restauration et de protection des sites historiques, à commencer par le sanctuaire des tambours sacrés de Gishora.

Situé dans la première cour du domaine royal, au sommet de la colline de Gishora, près de Gitega (à 100 km de Bujumbura), ce sanctuaire est placé sous la tutelle du ministère de la Culture et géré par les batimbos, descendants des familles ritualistes de la région, qui non seulement jouent, mais fabriquent les instruments.

Antime Baranshakaje, gardien du sanctuaire (et de ses deux derniers tambours royaux), se félicite de la reconnaissance de la tradition ingoma par l’Unesco et des décisions prises par le gouvernement. « C’est le couronnement de toute une vie », s’émeut le vieux tambourinaire. À plus de 80 ans, il est chargé de transmettre l’héritage aux jeunes générations et de « veiller à ce que les tambours retrouvent leur noblesse d’antan ».

Depuis quelques mois, celle-ci lui semble à nouveau perceptible. L’État envisage même de protéger l’umuvugangoma (Cordia africana), l’arbre utilisé traditionnellement pour la fabrication des fûts de tambour, et qui les fait bourdonner de façon si particulière. De jeunes plants ont récemment été découverts à Bujumbura et le gouvernement voudrait engager des programmes de recherche pour assurer la pérennité de cette essence. Et, avec elle, le savoir-faire et l’art des tambourinaires.

Code et cadences

La tradition ingoma obéit à des rythmes et à des gestes très codifiés. Le tambour ne peut être battu – ni même touché – que par des hommes, avec deux baguettes (imirisho en kirundi). Chaque groupe compte au moins 9 à 11 tambourinaires, toujours en nombre impair, dont un enfant ou un adolescent, afin de perpétuer le savoir ingoma. Ils jouent pieds nus et disposés en arc de cercle autour d’un tambour central (inkiránya), qui donne la cadence. La danse rituelle au tambour royal (umurisho w’íngoma), à laquelle peuvent participer des femmes, associe le battement des tambours à de la poésie héroïque, des chants traditionnels et des chorégraphies, individuelles ou collectives, utilisant des gestes précis et des figures parfois acrobatiques. Les tambours rejoignent et quittent le lieu de la danse sur la tête des percussionnistes, posés sur un coussin. Une fois le spectacle commencé, certains sont battus sur un rythme continu, tandis que les autres suivent la cadence ordonnée par le tambour central, duquel s’approchent ensuite alternativement les tambourinaires, seuls ou par groupe de deux ou trois, pour exécuter leur danse au rythme du groupe. Ces chorégraphies spectaculaires et pleines de rigueur, le son puissant et le rythme impétueux des percussions (qui sont censés réveiller les esprits des ancêtres et chasser les esprits maléfiques) soudent la communauté. La danse rituelle au tambour royal se pratique aujourd’hui dans toutes les communes du pays, dans les écoles et les établissements d’enseignement supérieur. Les groupes célèbres se rencontrent surtout dans le centre du pays, en particulier près des sanctuaires de Gishora, Mugera, Higiro et Makébuko. L’État organise régulièrement des concours de danse, pendant lesquels sont sélectionnés les meilleurs groupes de tambourinaires, ceux qui participent aux célébrations et manifestations culturelles organisées dans le pays et sont envoyés aux quatre coins du monde pour le représenter.

Par Cécile Manciaux