L’échec du putsch du 13 mai a complexifié et régionalisé la crise burundaise par Roland Rugero

Dans les nombreuses analyses que je lis sur le Burundi, peu s’attachent à comprendre la portée du coup d’État avorté du 13 mai dernier, la plupart tentant simplement de dresser les probables raisons de son échec. Cette analyse que je propose a été publiée pour la première fois sous le titre « Understanding the Crisis in Burundi » .

Même si la couverture médiatique a accordé une attention soutenue au troisième mandat, cet aspect de la crise burundaise, facilement visible/explicable et donc « vendable » au grand public cache des enjeux et des positionnements beaucoup plus profonds. Certes, la profonde divergence liée à l’interprétation de la Constitution quant à un nouveau mandat de Pierre Nkurunziza a un rôle important dans l’actuelle crise burundaise. Mais les questions qui restent essentielles concernent l’emprise de Nkurunziza sur le Cndd-Fdd, et, partant, les termes du développement socio-économique du Burundi.

Le putsch manqué du 13 mai dernier a été un tournant qui peut nous aider à comprendre les dynamiques actuelles. La pauvreté du leadership de Nkurunziza sur les 10 dernières années et une fausse lecture des rapports de force de la politique burundaise ont fait penser qu’on pouvait se passer de lui, facilement d’ailleurs. Et, [du départ] d’un Pierre, faire deux coups : renforcer le credo américain (et plus spécialement de l’administration démocrate Obama) en ‪‎Afrique‬ du « deux mandats au maximum » tout en faisant la promotion de l’émergence d’une autre pratique de la politique au Burundi, avec des dirigeants dits « visionnaires » comme le deuxième vice-président Gervais Rufyikiri.

Pourtant, loin de faire avancer la cause que les putschistes disaient défendre, l’échec du coup d’État du 13 mai dernier a renforcé le camp présidentiel qu’on disait/dit toujours affaibli et lâché par les siens et aura servi de prétexte à un regain de confiance dans l’appareil militaire.

Pour comprendre la portée de ce coup d’Etat, plusieurs pistes : il y a eu d’abord le retour secret de Nkurunziza au Burundi, après la suspension immédiate de sa participation au premier Sommet des Chefs de l’État de la région consacré à la crise burundaise. Une opération conjointement gérée par les services secrets tanzaniens et burundais, alors qu’à Bujumbura, les rues de la capitale résonnaient encore des cris de joie à l’annonce du putsch du Général Godefroid Niyombare. N’eut été cette complicité diplomatiquement symbolique dans une situation si déterminante pour le pouvoir de Bujumbura, les choses se seraient certainement déroulées différemment.
De fait, il a fallu un peu moins de 36 heures pour que les États-Unis signalent qu’ils reconnaissaient toujours le président Nkurunziza comme le président en exercice du Burundi, signant ipso facto la fin de la tentative du coup d’État.

Deuxième fait non négligeable : alors que des hauts officiers de l’Armée et de la Police burundaises impliqués dans le putsch parcouraient les radios de la capitale pour annoncer la destitution du gouvernement Nkurunziza et tentaient de rallier les commandants d’unités et camps militaires pour prendre d’assaut l’aéroport et la Radio Télévision Nationale, un mouvement inverse s’observait au nord de Bujumbura, à Kamenge.
Tous les hauts-officiers de l’armée issus de l’ancien mouvement rebelle Cndd-Fdd, qu’ils soient pour ou contre un nouveau mandat de Nkurunziza, convergeaient vers le bar dit « Iwabo w’Abantu » (littéralement « La Place des Humains »), propriété du Général Adolphe Nshimirimana.
Héros de la naissance de la résistance populaire armée des Hutu, à Kamenge justement, aux lendemains de l’assassinat du premier Président démocratiquement élu du Burundi en 1993, « Adolphe » symbolise presque de façon mystique la lutte armée au sein du Cndd-Fdd, et même au-delà.

Les habitants des environs de son bar racontent donc comment ils ont vu débarquer une pléthore d’anciens seigneurs du maquis. Les mines graves, ceux qui ont été intégrés dans les forces de sécurité ou pas, se retrouvaient pour une réunion de crise. Quelques heures après l’annonce du putsch, l’ordre était donné à partir d’Iwabo w’Abantu de retirer tous les policiers de Bujumbura, pour laisser entrer dans la capitale les éléments de l’armée fidèles à Nkurunziza. Les combats de ces derniers contre les troupes derrière Niyombare feront plus de 70 morts, essentiellement au sein des putschistes (en manque d’appuis logistiques), et permettront au pouvoir de garder le contrôle des points stratégiques (Aéroport, RTNB, Banque centrale, Palais présidentiel, etc). « Nous étions prêts à couper la capitale en deux pour garder le contrôle du pays », résumera anonymement un des officiers ayant participé à la réunion d’Iwabo n’Abantu de ce 13 mai.

Ainsi, ce coup d’État mettait aux prises deux écoles idéologiques concurrentes au sein du Cndd-Fdd :
> d’un côté, les « progressistes » incarnés par le Général Godefroid Niyombare, à la tête du putsch et premier Chef d’État-Major hutu dans l’histoire du pays. Pour eux, la crise actuelle se résume à une faute de Nkurunziza : vouloir chercher à tout prix un troisième mandat contraire à l’Accord de Paix d’Arusha et à la Constitution burundaise, et qui n’est pas soutenu par l’Occident contribuant à hauteur de plus de 50% au budget de l’Etat burundais

> de l’autre, les « conservateurs » derrière le Général Adolphe Nshimirimana, pour lesquels la dimension de la crise actuelle va bien au-delà d’une simple différence de lecture de la Constitution et qui jouissent du soutien discrets de la Chine et de la Russie. Les raisons qu’ils énumèrent sont nombreux : le fait que tous les frondeurs du Cndd-Fdd et, plus largement, le mouvement anti-troisième mandat entretiennent des liens étroits avec Kigali décrit comme une pupille de l’administration américaine dans la région, la forte implication dans les pressions diplomatiques exercées contre Bujumbura de figures politiques historiquement hostiles au Cndd-Fdd comme le député européen Louis Michel, ou encore l’ambassadeur des USA aux Nations Unies, Samantha Power, « co-fondatrice de la Radio Publique Africaine en 2000 avec le journaliste Alexis Sinduhije, devenu plus tard tribun de l’opposition radicale » …

Le Cndd-Fdd étant un parti avec un passé militaire très présent et un processus de légitimité politique basé sur le soutien agrégé des anciens chefs de guerre (celui qui est soutenu par les plus influents des généraux l’emporte électoralement au sein du parti), Nkurunziza est sorti vainqueur de la crise au sein du parti.

Et l’erreur que font les lecteurs de l’actualité burundaise, c’est de penser que les départs des personnalités du Cndd-Fdd comme le deuxième vice-président Gervais Rufyikiri ou le président de l’Assemblée Nationale (soutenus par l’aile des « progressistes », tous deux de double nationalité, burundaise et belge) affectent le parti. Tant que la majorité de ceux qui ont fait la lutte armée, dont la plupart sont inconnus des médias d’ailleurs, sont derrière Nkurunziza, tout le parti, et au-delà, l’appareil militaire burundais le soutiendra.
A la lumière des rebellions naissantes comme la dernière sur la frontière burundo-rwandaise, envisager une « guerre-éclair » pour déloger le pouvoir de Bujumbura et chasser Nkurunziza est donc utopique, considérant l’acte manqué que fut le putsch.

Il existe un dernier élément qui renforce la dimension extra-constitutionnelle de la crise que traverse le Burundi. Les accusations répétées, parfois jusqu’à la caricature, de massacres commis ou à venir par des Imbonerakure – le mouvement de jeunes du Cndd-Fdd – renforcent au sein des Hutu, qu’ils soutiennent Nkurunziza ou pas, qu’il y a une entreprise de vouloir coller coûte que coûte au contexte politique burundais actuel une actualité rwandaise vieille de 21 ans. Pour, en fait, légitimer l’intervention militaire du Rwanda au Burundi, au nom de la « responsabilité de protéger », un principe néo-libéral appliqué par l’Occident (États-Unis et Europe) notamment en Libye et contre l’avis de la Russie et de la Chine (encore une fois).
Les appétits de la Chine pour l’Afrique vont en augmentant. Et l’Afrique de l’Est en est un point essentiel. ©Infographie Bloomberg Finance

Les appétits de la Chine pour l’Afrique vont en augmentant. Et l’Afrique de l’Est en est un point essentiel. ©Infographie Bloomberg Finance

Tout un environnement qui a fait évoluer la lecture de la Tanzanie et de l’Afrique du Sud de la crise burundaise : d’abord strictement légaliste, ces deux puissances politiques régionales ont adopté depuis le putsch raté des lectures plutôt géopolitiques de leur implication dans ce qui se passe au Burundi.

Or, tout « mauvais leader » qu’il est pour les capitales occidentales, Nkurunziza entretient des liens de confiance étroits avec la Chine et la Russie, fondés notamment sur la ligne de « préservation de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale » qui s’entend de la Crimée à Taiwan en passant aux Iles Senkaku. En outre, il y a la construction d’un chemin de fer reliant à terme Dar-es-Salaam (Tanzanie) à Gitega (Burundi) et l’Est de la RDC, qui place le potentiel économique du sous-sol burundais (dont ses importants gisements de nickel) et le Burundi en position géostratégique de porte sur la RDC et transit vers l’Océan Indien via notamment le port de Bagamoyo. Le tout sous les aspirations sécuritaires et expansionnistes de la Chine dont la portée embrase toute la côte indienne du continent africain (de la Mozambique à la Tanzanie, au Kenya, au Soudan, Djibouti et même l’Éthiopie).

Au final, l’échec du putsch du 13 mai dernier a définitivement replacé la crise burundaise au centre des luttes géopolitiques d’influence sur la région entre l’Occident et l’axe Russie-Chine. En effet, lorsque la Russie n’hésite pas à brandir son droit de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU sur une résolution concernant le Burundi, on a le droit de comprendre que c’est plus qu’un problème d’interprétation d’un texte juridique qui est en jeu.

Toujours dans un esprit d’analyse, que seules la Russie et la Chine prennent le soin d’être présentes lors de la proclamation des résultats des élections communales et législatives du 29 juin dernier décriées par les États-Unis et l’Union Européenne, mais avalisées par les missions diplomatiques du Kenya, de l’Ouganda, de la Tanzanie et de l’Afrique du Sud; est assez révélateur.