“ Liberté, souveraineté nationale et dignité humaine- rempart contre le despotisme et la guerre”.

Dans la crise actuelle au Burundi, il serait mal placé de voir tout en blanc et en noir, le blanc représentant l’opposition et la communauté internationale, le noir représentant le pouvoir ou un homme, à savoir l’actuel président Pierre Nkurunziza.

Un prêtre burundais interrogé par Reporters du Groupe Corris et de Mr Edgar C. Mbanza à Bujumbura le 04 juillet 2015 a bien résumé la situation : « Tout le monde a tort dans cette histoire. Opposition, parti au pouvoir, société civile et communauté internationale ont une attitude ambiguë ». Ce point de vue est relayé par le « Burundi Forum » qui dans son édition “Spéciales élections 2015” demande aux Burundais d’éviter de tomber dans le piège de la manipulation: “La population doit accroître la vigilance pour barrer la route aux fauteurs de troubles. Bien sûr, ce n’est pas aux Burundais qu’il faut apprendre les effets de la guerre, encore moins à asseoir la paix, et ce n’est pas les fauteurs de troubles qui l’ignorent » (17 mars 2015).
La communication que j’ai préparée pour le présent colloque a un triple objectif : démonter les mécanismes de la manipulation mis en branle par les puissants de ce monde et les medias dominants, expliquer la responsabilité des uns et des autres dans l’actuelle crise ; montrer comment la liberté, la souveraineté nationale et la dignité humaine sont systématiquement et délibérément bafouées.
Ma lecture est que, pour bien comprendre ce qui se passe au Burundi et pouvoir faire la part des choses ou se faire une idée plus ou mieux correcte de la situation, il faut considérer tout au moins 5 points que voici.
1. Les Etats-Unis ont leur propre agenda en Afrique des Grands Lacs. Ils ont choisi les Tutsis comme leurs « gendarmes » et leurs alliés occidentaux leur emboîtent les pas. Cette donnée est à prendre en considération dans l’analyse de la question ethnique et politique actuelle au Burundi.
2. Les rivalités habituelles entre l’Occident autour des Etats-Unis d’un côté, la Russie et la Chine de l’autre côté sont à l’œuvre comme on en voit dans d’autres grandes crises du monde, notamment en Syrie, et en Ukraine. Le premier camp appuie l’opposition, le second le gouvernement. Les différentes réactions analysées dans le texte complet (section 3) en font foi.
3. La réalisation du projet hégémonique hima-tutsi en cours dans la région étant déjà une réalité en Ouganda, au Rwanda et en RDC , le Burundi est aujourd’hui la cible. C’est ce qui fait agiter Yoweri Kaguta Museveni et Paul Kagame qui estiment que le contrôle du pays commence à les échapper. D’ailleurs il a été dit clairement que le but de la médiation de Museveni était d’empêcher le président Pierre Nkurunziza de se présenter aux élections. Parallèlement, le spectre du génocide des Tutsis est utilisé une arme favorite. Ce projet explique le clivage SADC/South African Development Conference-CIRGL/Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs et fragilise l’EAC/Eastern Africa Community de sorte qu’il est difficile pour les Etats de la région d’avoir une position commune quant à la manière de gérer cette crise, chaque pays tirant la couverture de son côté. L’Ouganda et le Rwanda sont derrière l’opposition, la Tanzanie et l’Afrique du Sud derrière le gouvernement. Autant dire que les intérêts des pays africains de la région sont aussi en collision dans l’actuelle crise au Burundi.
4. Les problèmes ethniques ont refait surface suite aux élections de 2015. La candidature du président Pierre Nkurunziza à sa réélection n’est pas, à mon avis, la cause de la crise comme on l’entend dans les discours officiels, les médias dominants et leurs relais africains, mais plutôt un prétexte trouvé par certains Burundais et leurs parrains occidentaux (américains, belges et français principalement) qui n’ont accepté l’accord d’Arusha (2000) qu’au bout de lèvres pour remettre en cause l’ordre politique qu’il a accouché et qui repose sur les quotas ethniques. Le refus de l’Opposition d’aller aux élections et les pressions extérieures pour le dialogue devant aboutir à la formation d’un gouvernement de transition (sans Pierre Nkurunziza a-t-on appris du ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders) s’inscrit, comme on l’a vu en Lybie et en Syrie, dans la logique du changement de régime. Cette stratégie ayant échoué, les partisans de cette option affûtent les armes pour renverser le gouvernement du Burundi. Evidemment si certains opposants, ces « enfants gâtés » (mots d’Albert Sindiyo, ambassadeur burundais à l’ONU) font beaucoup de bruits et de tapages, c’est parce qu’ils savent qu’ils sont appuyés par les Américains, les Belges, les Français, et les gouvernements ougandais et rwandais. Face à cette menace, le gouvernement de Pierre Nkurunziza se débat comme un poisson dans l’eau pour trouver des appuis ici et là. Entre les deux camps, le terrain d’entente est désormais très étroit et l’appel de l’ONU (ce bras ominprésent des Etats-Unis) pour le dialogue tombe dans les oreilles des sourds tant ses réelles motivations suscitent appréhension et grande méfiance dans le camp présidentiel.
5. Les ambitions personnelles et les rivalités interpersonnelles au sein du leadership burundais constituent un autre ingrédient. D’abord, elles ont conduit à l’éclatement des grandes formations politiques en diverses factions rivales : UPRONA, FRODEBU, CNDD, FNL. Ensuite, ce fractionnement des partis politiques a entraîné des déchirements des leaders qui, au départ étaient ensemble ((ex. Radjabu vs Nyangoma, Nkurunziza vs Nyangoma, Nkurunziaa vs Radjabu de l’ancin CNDD). Aujourd’hui, ces deux ennemis jurés (Nyangoma et Radjabu) se trouvent par le concours de circonstance dans un même camp, l’opposition anti-Nkurunziza. Enfin, la dernière donne est le réveil du clan Buyoya ou clan Bururi (Bururi est la province d’origine de Michel Micombero, Jean-Baptiste Bagaza et Pierre Buyoya qui ont dirigé le pays entre 1966 et 2000), ont perpétré les génocides récurrents des Hutu, celui de 1972 et celui qui a accompagné l’assassinat du président élu, Melchior Ndadaye le 21 octobre 1993 étant le plus ancré dans les annales du Burundi et le mental des Hutu). Dans ces clivages politico-ethniques, le clivage UPRONA-CNDD-FDD est le plus important car c‘est le clan Buyoya (il a déjà fait deux coups d’état : 1987, 1996) qui, même sans être au front des medias, pilote l’opposition et cherche à reprendre le pouvoir au profit des Tutsi, surtout de Bururi. Dans ce projet, les Hutus dits de l’oppositions (Niyombare, Nyangoma, Radjabu et consorts) sont des wagons ou servent de marche- pied sur lequel le clan Buyoya entend s’appuyer pour reconquérir le pouvoir. On l’a vu au Rwanda et en RDC. Ceci n’a donc rien de nouveau. C’est là le dessous des cartes dans la saga « anti-troisième mandat de Pierre Nkurunziza ».

Conclusion

Comme J. Peter Pham le souligne, il est clair que la question de la candidature du président Pierre Nkurunziza a sa propre succession doit faire l’objet de discussion parmi les juristes et les politicologues Même à ce niveau, il n’y a pas de consensus. Il suffit de comparer la position de Sten Van de Ghinste (Position 1) et celle de AgNews/ Africa Génération News (Position 2). Elles sont diamétralement opposées.
Position 1 : «One provision of the Arusha Agreement stated that the president ‘shall be elected for a term of five years, renewable only once’ and unambiguously added that ‘No one may serve more than two presidential terms’. Another provision stated that ‘the president shall be elected by direct universal suffrage’ but that ‘the first post-transition president shall be elected by the national assembly and the senate’. In 2004, when the transitional legislature adopted the draft 2005 constitution, an unintended ambiguity slipped into the text. As a result, article 96 of the constitution states the president is directly elected for a term of five years, renewable only once. Article 302, however, states that ‘exceptionally’ the first post-transition president shall by indirectly elected by the national assembly and the senate” (“Briefing: Burundi’s Electoral Crisis – Back to Power-Sharing politics as usual?”).

Positon 2 : « Par ailleurs, l’article 7, alinéa 3 du Protocole II de l’Accord d’Arusha de 2000 laisse planer un doute sérieux sur le fondement même du mandat présidentiel. N’ayant pas précisé s’il s’agit d’un mandat issu des élections tenues au suffrage universel direct ou indirect, le seul texte qui peut lever ce doute est bel et bien la Constitution burundaise promulguée le 14 mars 2005, en son article 96 »….. La constitution burundaise prévoit une élection présidentielle limitée exclusivement à 2 mandats obtenus par voie de scrutins tenus au suffrage universel direct. Si Nkurunziza sollicite un deuxième mandat en 2015 compte tenu de son élection en 2010 qui seule respectait le suffrage universel direct ; d’un point de vue juridique, il aura raison. Il a légalement le droit de se représenter » (« Burundi: Le Président Nkurunziza peut briguer un autre mandat en 2015 »).

Fallait-il pour cette divergence des vues provoquer une crise d’une telle ampleur et dont les conséquences sont imprévisibles? Qui a intérêt à ce qu’on en arrive là ? Certainement ceux qui veulent utiliser le chaos pour atteindre leurs objectifs. Le livre de Patrick Mbeko et d’ Honoré Ngbanda-Nzambo, « Stratégie du chaos et du mensonge: Poker menteur en Afrique des Grands Lacs », Editions de l’Erablière, 03 novembre 2014) et l’article de Mbelu Babanya Kabudi, « La RDC face à la stratégie du chaos. Louise Mushikiwabo était en Israël » (Bruxelles, août 2014) sont des réflexions utiles à ce sujet.

Dans le cadre de cette contribution, je crois avoir donné les faits et les arguments qui non seulement illustrent cette stratégie à la mode aujourd’hui, mais aussi et surtout permettent de répondre aux deux questions que je viens de soulever.

Par Mararo Bucyalimwe Stanislas