Le Conseil de l’Europe lève ses sanctions contre la Russie

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est la première institution à lever les sanctions décidées après la guerre en Ukraine.

Deux cent vingt-deux amendements déposés, plus de neuf heures de débats, des groupes politiques divisés et des noms d’oiseaux échangés dans une Assemblée d’ordinaire habituée aux discussions feutrées menées dans un relatif anonymat. Certes attendu, le vote entérinant le retour de la Russie au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), lundi 24 juin, a ébranlé cette institution consacrée à la défense des droits humains et de l’Etat de droit, distincte de l’Union européenne, où se côtoient les parlementaires envoyés par 47 Parlements nationaux. La décision a provoqué une réaction quasi immédiate de l’Ukraine, qui a annoncé mardi matin suspendre sa participation aux travaux de l’APCE, en protestation.

La motion préparant le retour au sein de l’Assemblée de la délégation russe – délestée des sanctions adoptées contre elle en 2014, à la suite de l’annexion de la Crimée et de la guerre dans le Donbass – a finalement été adoptée dans la nuit par 118 voix contre 62 (10 abstentions). Ces sanctions sans composante économique (comme la privation des droits de vote des représentants russes) avaient conduit la Russie à suspendre sa participation à l’Assemblée ainsi qu’à cesser de verser sa cotisation. Moscou menaçait aussi régulièrement de quitter définitivement l’institution strasbourgeoise.

Guérilla institutionnelle

C’est principalement ce risque, avec comme conséquence celui de priver les citoyens russes d’accès à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), organe lié au Conseil de l’Europe, qui a été mis en avant par les orateurs favorables au retour russe. De même que le vide financier créé par son éventuel départ ou le besoin de maintenir l’unité d’une organisation qui fête ses 70 ans d’existence.

« Ici, nous ne traitons pas de géopolitique, les valeurs que nous défendons sont les valeurs des droits de l’homme », a fait valoir la secrétaire d’Etat aux affaires européennes, Amélie de Montchalin, en ouverture de séance, alors que Paris occupe la présidence tournante du Conseil. « Il ne s’agit pas d’un débat pour ou contre la Russie. (…) Les sanctions n’ont pas été efficaces », l’a appuyée la rapporteuse du texte, la sénatrice belge Petra De Sutter.

En face, la guérilla institutionnelle des opposants à cette levée des sanctions (pour l’essentiel ukrainiens, britanniques et représentants de l’est du continent) n’a fait que retarder l’échéance. Le dépit des représentants ukrainiens n’a pas plus pesé. Leur chef de file, Volodymyr Ariev, a dénoncé un « festival d’hypocrisie » et rappelé que Moscou n’applique que rarement les jugements de la CEDH ; un autre prévenait que l’APCE perdait sa crédibilité, après avoir elle-même fixé par le passé les conditions pouvant conduire à un assouplissement des sanctions – conditions non remplies en Crimée comme dans le Donbass.

Sans attendre le résultat des votes, la délégation russe a décollé de Moscou dans la soirée. « Nous allons à Strasbourg pour aider nos partenaires à surmonter la crise qui mine l’institution, qui semble s’ennuyer de nous, sans pays à accuser de tous les maux… Aucune question en Europe ne peut être résolue sans le pays le plus grand », commentait, sur le chemin de l’aéroport, Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma (la Chambre basse du Parlement russe) et membre de la délégation. Celle-ci devrait être en mesure de participer dès mercredi à l’élection du nouveau secrétaire général.

Parmi les dix-huit membres de cette délégation, quatre font l’objet de sanctions de la part de l’Union européenne et sont donc théoriquement interdits d’entrée sur le sol européen. Non encore dévoilée, la liste des suppléants pourrait contenir des élus représentant la Crimée annexée, confirme au Monde M. Tolstoï : « Comment examiner les droits humains en Crimée sans ses représentants ? L’empêcher reviendrait à interdire les élus venant des territoires de l’ex-RDA. »

Le texte adopté lundi rend aussi plus difficile, à l’avenir, l’imposition d’éventuelles futures sanctions contre des pays membres. La responsabilité d’une telle mesure serait à l’avenir partagée par différents organes du Conseil de l’Europe, et non plus par la seule Assemblée parlementaire. Selon Konstantin Kosatchev, chef du comité aux affaires internationales du Conseil de la Fédération, l’APCE « reconnaît ainsi ses erreurs passées vis-à-vis de la Russie ».

Dans la même tonalité, les médias russes évoquaient eux aussi une « victoire » symbolique, qui pourrait en préfigurer d’autres. Moins triomphaliste, Piotr Tolstoï assurait lundi soir : « Quand le dialogue est renoué, il n’y a pas de perdant. » Ce qui n’empêchait pas le député de répondre à ceux qui demandent désormais un geste à la partie russe, comme une libération de prisonniers ukrainiens : « Notre retour est déjà un geste. »

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