Jean-Pierre Bemba, le président du MLC, le Mouvement de Libération du Congo, est de retour en RDC.
Ce dimanche 23 juin, l’ancien vice-président congolais, qui a passé dix ans dans les geôles de la Cour pénale internationale (CPI) avant d’être innocenté des accusations de crime de guerre et de crime contre l’humanité, a été accueilli par des dizaines de milliers de supporters venus de tout Kinshasa. « À chaque fois, c’est une surprise. J’ai le sentiment qu’ils étaient encore plus nombreux que lors de mon précédent retour du mois d’août 2018. Par le toit de la voiture, je peux voir la marée humaine qui accompagne notre cortège, je peux entendre mes compatriotes chanter, je peux les-entendre scander certains messages très clairs à l’égard de ceux qui ont le pouvoir. Les attentes du peuple congolais sont énormes », explique-t-il un peu plus de 24 heures après cette « joyeuse entrée»
Ces milliers de supporters l’ont accompagné en rang serré jusqu’à l’esplanade de Sainte-Thérèse où Jean-Pierre Bemba a tenu un meeting dans lequel il a fustigé la corruption qui règne en maître en République démocratique du Congo.
Pourquoi avoir ciblé en particulier la corruption ?
Parce que c’est un mal qui ronge tout, qui tue tout. Elle détruit le bon fonctionnement de la justice, elle gangrène toutes les couches du pouvoir, du gouvernement aux fonctionnaires, en passant par les enseignants et tous les corps publics. C’est invivable. Le pays ne peut pas progresser dans cette situation.
Vous pensez que le nouveau pouvoir en place lutte efficacement contre ce fléau ?
Jusqu’ici, on n’a pas vu grand-chose mais on va leur accorder le bénéfice du doute.
Vous évoquez notamment la justice. La Cour constitutionnelle vient d’invalider plusieurs de vos députés et sénateurs, c’est à eux que vous pensez ?
A eux et à d’autres, mais avouez que ce que nous sommes en train de vivre est surréaliste. Des candidats qui ont obtenu 40.000 voix sont soudainement invalidés au profit de candidats qui n’ont que 200 voix. On est dans un monde de fous.
Lors de votre meeting, dimanche, vous avez évoqué la vérité des urnes, c’est ce que vous réclamez toujours ?
Je suis un pragmatique, je ne vais pas mener un combat d’arrière-garde. Lamuka a mué d’une plateforme électorale en plateforme politique et nous allons continuer à mener le combat pour le bien du peuple congolais. La vérité des urnes doit être demandée. Six mois après les élections, les procès-verbaux des bureaux de vote n’ont toujours pas été publiés par une Commission électorale nationale indépendante qui n’a d’indépendante que le nom. Cette absence de publication permet aujourd’hui à la Cour constitutionnelle de rendre des décisions surréalistes. En ce sens, la question de la vérité des urnes est centrale. L’absence de chiffres officiels et indiscutables empoisonne le quotidien de tout le pays. Lamuka en continuant à revendiquer la vérité des urnes à tous les niveaux, pas seulement à la présidentielle, joue son rôle et défend les intérêts de la population congolaise. C’est elle qui a voté et c’est elle qui s’est fait voler son vote.
Un dialogue est-il possible avec le pouvoir en place ?
Dialoguer, ce n’est jamais mauvais. Je l’ai fait avec Joseph Kabila il y a plus de 15 ans. Mais il faut savoir de quoi il faut dialoguer. Il faut toujours mettre le bien du peuple au premier rang de nos préoccupations. Et il faut vous dire que ce n’est pas Jean-Pierre Bemba, seul,qui prendra la décision. Il faut un débat au sein de Lamuka et, surtout, il faut que Cach et le FCC soient décidés à dialoguer. Jusqu’ici, je n’ai jamais rien entendu de tel de leur part. Ils sont sur leur planète et ils sont surtout sourds aux appels de la population.
Donc pas de dialogue ?
Je n’ai pas le sentiment pour l’instant mais les choses peuvent changer.
Vous avez lancé un appel à la mobilisation le 30 juin. Qu’attendez-vous de ces marches pacifiques ?
Il faut que l’on se mobilise pour faire respecter nos droits. Bien sûr le FCC et Cach ont la majorité absolue des élus et la présidence mais ce n’est pas une raison pour abandonner le combat. Nous sommes dans notre droit et nous devons nous faire entendre pour qu’il soit respecté. Nous ne sommes pas des moutons, nous n’allons pas accepter de nous faire tondre sans réagir. Le 30 juin, Lamuka va mobiliser dans tout le pays. Nous devons réussir cette mobilisation pour montrer aux autres qu’ils ne peuvent pas tout faire. Pour montrer que le peuple est avec nous et pour dire à ceux qui sont aux pouvoir qu’ils n’ont pas tous les droits.
Vous pensez que vous pourrez faire changer les choses malgré votre faible représentativité dans les institutions du pays ?
Il faut essayer, il faut qu’ils comprennent en face qu’ils doivent arrêter de léser le peuple congolais. On ne va pas avaler des couleuvres sans fin. Il faut contribuer, au côté de la population, a ce qu’il y ait une évolution. J’espère que la mobilisation aidera au réveil de la conscience de ceux qui ont décidé de gérer le pays.
Quel regard portez-vous sur les six premiers mois au pouvoir de Félix Tshisekedi ?
Je vais d’abord voir ce qu’il va faire.
Vous n’avez rien vu dans les six premiers mois ? Des travaux ont été lancés…
Quand vous lancez des travaux, vous les réceptionnez quand ils sont terminés… J’attends de voir. Mais peut-être que je suis aveugle.
Félix Tshisekedi a beaucoup voyagé durant ces six premiers mois…
Ça, c’est certain. Pour voyager, il a voyagé. Les Congolais ont-ils tiré un bénéfice de ces voyages ?
Toujours lors de votre meeting, vous avez parlé des violences entre Hema et Lendu. Une situation que vous connaissez bien, vous avez été confronté à ces mêmes violences quand vous étiez dans le maquis.
Exact. J’ai vécu les mêmes violences. Ce qui se passe là-bas est gravissime. Les gens meurent pour rien. C’est une manipulation par des individus qui cherchent à mettre le feu dans la région. Trois cents personnes au moins ont déjà péri. Quand j’ai dû intervenir, il y avait eu alors 7.000 morts en deux mois. Quand je vois ce qui se passe aujourd’hui, je crains un nouvel embrasement meurtrier. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. A l’époque j’avais dit aux Ougandais d’arrêter leurs bêtises et je me suis rendu sur place. J’ai contacté les leaders locaux et on a travaillé pendant trois jours et trois nuits non-stop pour faire taire les armes et nous y sommes parvenus. Il y a eu une grande cérémonie au stade de Bunia pour célébrer la réconciliation. Ce lundi, j’ai appris par nos militants du MLC de Bunia que des véhicules de l’armée congolaise avaient été brûlé par les ADF.
L’est du pays semble de nouveau très instable ?
Assurément. La situation est extrêmement fragile. La Monusco a répertorié 70 groupes armés dans la région. Certains parlent même d’une quarantaine de plus. Tout le monde constate, comme s’il s’agissait d’un fait acquis. Faut-il attendre de vivre une situation à la Somaliland avant de réagir. On a des responsables et bien qu’ils prennent leurs responsabilités.
Vous semblez très inquiet ?
On est face à une énorme bombe à retardement et il n’y a aucune action qui est prise. C’est effrayant. Ceux qui sont aux responsabilités ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas si ça explose.
Dernière question, ce retour au pays sera-t-il de longue durée ?
Beaucoup m’ont dit, dimanche, que cette fois je devais rester. Je vais les écouter. Le 30, je serai chez moi, dans le Sud-Ubangui, et je me déplacerai aussi dans tout l’ancien Equateur. Le 1er juillet, il y aura aussi des cérémonies d’hommage pour mon père qui est décédé il y a dix ans. Une messe sera dite par l’archevêque de Kinshasa Monseigneur Ambongo qui a bien connu mon père.
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Hubert Leclercq – La Libre