Lorsque les révolutions laïques ont échoué, nous pouvons nous attendre à des contre-révolutions religieuses. par Audrey Duperron

L’Occident a été totalement pris par surprise avec l’émergence de l’Etat islamique, comme il l’avait été il y a quinze ans, par les attaques soudaines d’Al-Qaïda, et comme l’Union Soviétique l’avait été par la détermination des Moudjahidins afghans dans les années 1980. Ces effets de surprise ne sont pas qu’une simple coïncidence, mais ils reflètent la négligence de l’esprit laïque, son incapacité à voir la puissance de la religion, lorsqu’elle a pris la politique en otage, écrit Jonathan Sacks, ancien grand rabbin des Congrégations hébraïques unies du Commonwealth britannique, et auteur du livre “Not in God’s Name: Confronting Religious Violence”, dans une colonne du Wall Street Journal. Selon Sacks, la sous-estimation de ces mouvements fait partie des plus grandes erreurs politiques de notre temps, et ses conséquences ont été particulièrement dramatiques.

“Depuis l’avènement de la science moderne, les intellectuels sont convaincus que la foi est en soins intensifs, sur le point de mourir ou tout au moins, rendue inoffensive par son exclusion de la sphère publique. Mais les religions du monde ne sont pas toutes passées par ce processus. Toutes ne se sont pas laissées exclure de la sphère publique. Et lorsque les révolutions laïques échouent, nous devrions savoir que nous pouvons nous attendre à des contre-révolutions religieuses”. (…)

On dit que 1989, l’année de la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre Froide a marqué l’acte final d’un vaste drame dans lequel la religion, puis l’idéologie politique sont mortes après une période prolongée de soins intensifs. L’ère du vrai croyant, religieux ou laïque, était révolue. L’économie de marché et l’Etat démocratique libéral, dans lequel les individus et leur droit sont devenus prioritaires sur toutes les croyances et les codes, ont pris sa place. (…)

Ce que les laïques ont oublié, c’est qu’Homo Sapiens est l’animal en quête de sens. S’il y a une chose que les grandes institutions du monde moderne ne font pas, c’est de fournir du sens. La science nous dit comment, mais pas pourquoi. Les technologies nous donnent du pouvoir, mais ne peuvent nous guider sur la manière de l’utiliser. Le marché nous donne du choix, mais nous laisse sans instructions concernant la manière d’effectuer ces choix. L’Etat démocratique libéral nous donne la liberté de vivre comme nous le choisissons, mais refuse, par principe, de nous guider sur nos choix. (…)

“La religion est revenue parce qu’il est difficile de vivre privé de sens. C’est pourquoi aucune société n’a survécu pendant longtemps sans une religion ou sans le substitut d’une religion.”

Pour Sacks, le défi posé par l’EI ne concerne pas seulement l’Islam, mais aussi le Judaïsme et la Chrétienté, pour leurs valeurs communes.

“Nous devons élever une génération de jeunes Juifs, Chrétiens, Musulmans et autres qui doivent savoir que ne n’est pas de la piété, mais du sacrilège que de tuer au nom du Dieu de la vie, de détester au nom du Dieu de l’amour, de faire la guerre au nom du Dieu de la paix, et de pratiquer la cruauté au nom du Dieu de la compassion”.