L’origine et l’évolution des mouvements de libération au Burundi

 L’origine et l’évolution

Des mouvements de libération au Burundi

Sachant que Jérôme NDIHO a participé dans plusieurs mouvements de libération qui se sont succédé au Burundi, notamment le Mouvement Progressiste des Barundi (MEPROBA), le Parti des Travailleurs du Burundi (UBU), le Parti FRODEBU (Front pour la Démocratie au Burundi), le Conseil National pour la Défense de la Démocratie (CNDD) et sa branche armée, Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD), le Conseil National pour la Défense de la Démocratie-Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-(FDD), je lui ai demandé l’origine et l’évolution des mouvements de libération au Burundi.

Jérôme NDIHO : « L’origine des mouvements de libération au Burundi plonge ses racines dans le mécontentement des Bahutu, 85% de la population, qui n’ont pas digéré les massacres de 50 000 burundais en 1965 par les hommes du Capitaine Michel MICOMBERO, Secrétaire d’Etat à la Défense de cette époque. Par la même occasion, presque tous les députés de l’ethnie Hutu furent fusillés. Parmi les élus fusillés figurait le Président de l’Assemblée Nationale l’Honorable Paul MIREREKANO, le fondateur du parti UPRONA qui mena le Burundi à l’Indépendance. Le même mois d’octobre, le Premier Ministre Joseph BAMINA  (Hutu) fut assassiné. Notons qu’au début de cette même année, les anti-démocrates avaient assassiné le Premier Ministre Pierre NGENDANDUMWE. Au terme de 1965, presque tous les nationalistes burundais organisés autour de Paul MIREREKANO sous l’appellation MORONVIA étaient assassinés à l’exception de quelques tutsis comme le célèbre Président de l’Assemblée Nationale de 1961-63, Thaddée SIRYUYUMUSI qui termina sa vie dans la misère. Il n’y avait plus de nationalistes dans l’UPRONA (Union pour le Progrès National). Ce fut la victoire des extrémistes Hima et autres extrémistes Tutsi regroupés dans une organisation appelée CASABLANCA soutenue par les colons».

SEKIDENDE: Quel a été le premier mouvement à faire face à l’UPRONA ?

Jérôme NDIHO : « C’est le Mouvement de Libération des Barundi (MOLIBA) né à la Rue de Ligne, BRUXELLES en août 1969, quatre ans de gestation après ces massacres de 1965. Selon le Secrétaire Général de ce mouvement, Monsieur BUSHIMANGO Pascal, le MOLIBA a rallumé le contexte de la lutte des progressistes des années 60, contexte qui s’était éteint avec les massacres de 1965. Monsieur BUSHIMANGO Pascal a ajouté que le Président du MOLIBA était Monsieur Pascal NTIBASHIRINZIGO «.

SEKIDENDE: Quel en a été la suite ?

Jérôme NDIHO : « Le MOLIBA, qui n’a vécu que 9 mois, a donné naissance au MEPROBA le 12 avril 1970. A ma connaissance, les dernières traces du MEPROBA remontent au 24 septembre 1994, date de la naissance du CNDD et sa branche armée, FDD. Deux présidents du MEPROBA se sont succédés : d’abord Monsieur BINDARIYE Nelson puis Docteur SINGIRANKABO Simplice.

Dans cet intervalle de temps, le MEPROBA a connu plusieurs péripéties notamment sa première dissidence qui s’en ai détaché en 1973 avec l’appellation de Comité d’Aide aux Réfugiés Hutu du Burundi (CARHB). Ces réfugiés fuyaient le génocide contre les Hutu en 1972. Les militants du CARHB limitaient leur vision sur l’avenir des Hutu. Tandis que ceux qui sont resté au MEPROBA étendaient leur vision au marxisme-léniniste tout en rejetant le stalinisme.

En 1978, le MEPROBA subit une autre dissidence menée par Monsieur Gérard RUSHISHIKARA qui créa TABARA avec entre-autre membre, Monsieur GAHUTU Rémy, lequel transforma TABARA, deux ans plus tard, en Parti pour la Libération du Peuple Hutu (PALIPEHUTU) dont il fut président.

Entre 1972 et 1979, le MEPROBA s’est étendu avec des sections en Union Soviétique (Russie), Allemagne, Italie, Tanzanie et en RDCongo (Lubumbashi et Kisangani) et au Rwanda où le MEPROBA avait deux sections  autonomes et en première ligne  à savoir le BAMPERE (Ba=Barundi, M=Mouvement, P=Progressiste, E=Etudiant, R=Rwanda), Mouvement des Étudiants Progressistes Barundi au Rwanda et les Cellules des Progressistes Burundais au Rwanda (CPBR).

Au début de 1979, CPBR et BAMPERE ont lancé un appel pour la création de l’UBU. Toutes les sections du MEPROBA ont soutenu CPBR et BAMPERE excepté une petite minorité du MEPROBA groupée autour du Comité Central du MEPROBA. Le parti UBU fut ainsi créé en août 1979 et garda la clandestinité. Notons que, les trois présidents du parti UBU qui se sont succédés, sont, par ordre chronologique, SINDIHEBURA Vénérant, BUYAGU Salvator et NTIBATINGESO Sévérin tous anciens du MEPROBA.

Le 5 septembre 1983, un des plus grands fondateurs de BAMPERE, Monsieur NDADAYE Melchior, encore futur Président de la République démocratiquement élu, quitta le Rwanda pour continuer la lutte clandestine au Burundi, d’abord dans le cadre de l’UBU puis au sein du Front de Libération Démocratique (FROLIDE) qu’il a fondé à Gitega dans la clandestinité et qu’il a transformé en parti FRODEBU en 1986. Le FRODEBU fut agréée en février 1991 par le pouvoir en place et sortit de la clandestinité. Monsieur NDADAYE Melchior en devint le président.

Elu candidat du FRODEBU à l’élection présidentielle lors du Congrès Extraordinaire du 18 avril 1993, NDADAYE Melchior gagna les élections au premier tour le 1er juin 1993 avec 64,79 % des suffrages. Il fut investi Président de la République démocratiquement élu. Le FRODEBU, quant à lui, gagna 80% des sièges au Parlement.

Trois mois plus tard, le 21 octobre 1993, le Premier Président de la République démocratiquement élu au Burundi, Son Excellence feu NDADAYE Melchior, fut assassiné à Bujumbura par l’Armée Burundaise sur ordre de ses plus hautes autorités militaires. Le Président et le Vice-Président de l’Assemblée Nationale furent assassinés le même jour. Plusieurs ministres et députés hutu furent assassinés par la même armée. Les extrémistes Hima et autres extrémistes tutsi ont réédité le scénario de 1965, le retour à la case de départ, avec l’aggravation d’assassiner un Premier Président Hutu démocratiquement élu sans oublier le traumatisme de 1972 encore vivace chez les Hutu ».

SEKIDENDE : Quelle a été la réaction de la population ?

Jérôme NDIHO : « Une révolte spontanée sur toute l’étendue du territoire ! Pour éviter un autre génocide, cette fois contre les Tutsi, nous, les leaders avons canalisé le courroux populaire contre ce que nous avons appelé l’Armée Monoethnique Tutsi (AMT) en rébellion contre la démocratie. Cette stratégie a bien réussie. C’est moi-même qui ai proposé ce terme AMT pour pointer du doigt l’ennemi principal tout en l’isolant par rapport aux autres Tutsi. Cependant, au juste, c’est le Peuple qui a démarré la lutte armée, dès le 22 octobre 1993, que nous les leaders avons structuré par la création du Conseil National pour la Défense de la Démocratie (CNDD) et sa branche armée, Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD) dès le 24 septembre 1994 à UVIRA en RDC. Le CNDD et sa branche armée FDD étaient présidés par l’Honorable NYANGOMA Léonard. Sa composition était une coalition du FRODEBU (majoritaire), du PALIPEHUTU (présidé par MISIGARO Donatien ), de l’UBU (présidé par NTIBATINGESO Sévérin), du Front pour la Libération Nationale (FROLINA)(présidé par  Joseph KARUMBA, une ancienne dissidence du PALIPEHUTU) et le Rassemblement du Peuple Burundais (RPB) (présidé par Monsieur BIGIRIMANA Balthazar remplaçant le fondateur, Monsieur KABUSHEMEYE Ernest, assassiné la même année par les Sans Echec. Ces deux leaders du RPB avaient évolué dans la périphérie de la cellule clandestine de l’UBU en Belgique).

Une grosse contradiction éclata entre la direction originaire du FRODEBU et celle du PALIPEHUTU. Celle du FRODEBU reprochait à celle du PALIPEHUTU d’avoir tenu des propos tribalistes dans Radio RUTOMORANGINGO contre le Deuxième Vice-Président du CNDD et sa branche FDD, l’Honorable SENDEGEYA Christian de l’ethnie Tutsi. La direction du PALIPEHUTU fut suspendue le 7 janvier 1995. Le Chef d’Etat Major, MISIGARO Donatien, fut remplacé par  NDAYIKENGURUKIYE Jean Bosco d’obédience FRODEBU. La majeure partie des officiers originaires du PALIPEHUTU n’ont pas été inquiétés et sont restés dans la coalition, notamment feu Adolphe NSHIMIRIMANA, SAVIMBI et NDAYISHIMIYE Evariste.

En octobre 1994, les civils révolutionnaires sur terrain n’avaient plus comme rôle que l’approvisionnement des FDD en alimentation, en cachant et en logeant les FDD, en donnant des renseignements et en cotisant pour que le CNDD achète des armes. A cette époque, seuls les FDD et les PALIPEHUTU affrontaient l’AMT.

Bien plus tard, une grave contradiction éclata entre le Secrétaire Général du CNDD, Monsieur MUNYEMBABAZI William et l’Etat Major Général des FDD dirigé par NDAYIKENGURUKIYE Jean Bosco. L’Etat Major Général demanda que Monsieur MUNYEMBABAZI cède la place et soit nommé Conseiller Principal. Le Président NYANGOMA refusa. Au terme des tractations qui ont duré un mois entre NDAYIKENGURUKIYE et moi-même en qualité de Porte-Parole, nous avons confié la fonction du Président NYANGOMA à NDAYIKENGURUKIYE au titre de Coordinateur Général le 6 mai 1998. En outre, nous avons légèrement changé de nom : le CNDD et sa branche armée est devenu le CNDD-FDD. Nous avons maintenu le titre de Président honorifique à NYANGOMA jusqu’à ce qu’il accepte nos conditions. Aujourd’hui, c’est trop tard, un autre occupe la place. Il s’appelle Pierre NKURUNZIZA ».

SEKIDENDE : Dans quelle circonstance NDIYIKENGURUKIYE Jean Bosco a été remplacé par le Président Pierre NKURUNZIZA.

Jérôme NDIHO : « Lors des assises du Bureau Politique du CNDD-FDD au mois de mars 2001 à Lubumbashi en RDC, la majorité des participants ont demandé au Secrétaire Général, Monsieur Hussein RADJABU, de justifier un manquant de 90 000 USD de son compte bilan. Il n’a pas réussi à le justifier. Le Bureau Politique l’a commué en Conseiller Principal du Coordinateur Général. Nous avons alors voté et placé Monsieur WAGARA Melchior au poste de Secrétaire Général de notre mouvement CNDD-FDD. Depuis, Monsieur Hussein RADJABU organisa la scission du CNDD-FDD en se rendant sur terrain avec l’argent d’une caisse qu’il n’a pas voulu remettre. A l’action de Monsieur RADJABU s’ajoutait le mécontentement de beaucoup d’officiers supérieurs qui reprochaient au Colonel NDAYIKENGURUKIYE de ne pas se rendre sur terrain. Le processus de division aboutit par l’existence de deux mouvements du CNDD-FDD lors du Congrès de février 2002 sur terrain. Désormais, les media parlaient du CNDD-FDD NDAYIKENGURUKIYE et du CNDD-FDD NKURUNZIZA. Cependant, le CNDD-FDD NKURUNZIZA contrôlait une bien plus grande partie du terrain. Il gagna, haut la main, les élections de 2005 avec un score très honorable de 65% des voix. Jusqu’aujourd’hui, le CNDD-FDD NKURUNZIZA en est à la 3è victoire électorale. Selon toute vraisemblance, le CNDD-FDD va gagner la 4è élection de 2020 ».

SEKIDENDE : Grand merci pour cet interview.

Photo : IKIRIHO