Au Burundi, dès qu’il y a controverse à propos d’un objet d’intérêt public de quelque nature que ce soit, l’opinion a tendance à y voir un problème ethnique ou un affrontement entre intérêts divergents dits des «Hutu» ou des «Tutsi». Ce genre d’opinion agit comme un censeur qui empêche les uns et les autres à s’affirmer ou à affirmer la possibilité pour les deux principaux groupes ethniques d’avoir des intérêts partagés et à l’intérieur de chacun d’eux des intérêts parfois antagoniques.
D’où l’intérêt dans le contexte burundais d’antagonisme chronique entre les deux composantes principales du peuple burundais de forger une citoyenneté partagée et de chercher des dénominateurs communs qui permettent de transcender les divers clivages qui traversent de part en part notre société (ethniques, régionales, économiques, sociales, religieuses et que sais-je encore).
Avec l’Accord d’Arusha et les institutions démocratiques qui en sont issues, plus d’un a cru que les jalons d’un vivre-ensemble et d’une conscience d’un destin commun étaient ainsi bien implantés. Hélas non! Le chemin est encore long et parsemé de multiples embûches et les retombées de cet Accord d’Arusha sont encore fragiles. Les événements qui ont émaillé l’année 2015 nous ont rappelé que le chemin vers l’unité et la renonciation du peuple burundais est encore long et sinueux.
A la veille des élections de 2020, qui rafraîchiront nos institutions démocratiques et nous donnerons de nouveaux dirigeants, rappeler cette exigence à travailler de manière volontariste sur la question de l’unité nationale et de la citoyenneté partagée n’est pas un exercice de rhétorique mais relève de l’éthique de responsabilité, celle qui nous convie à bâtir une société durable que nous serons fiers de léguer aux générations futures.
Notre société, et ses valeurs d’«Ubuntu», a subi des mutations dommageables dues à l’action combinée des missionnaires et des colonisateurs, mais également à un ordre public assassin mis en place depuis 1965 par l’État bandit de Michel Micombero de sinistre mémoire. Au cours des années 60, deux autres éléments ont marqué le paysage sécuritaire et politique de notre pays, à savoir l’accueil et l’installation durable sur le territoire des réfugiés rwandais et la montée en puissance d’une élite militaro-civile d’origine Hima. Ce groupe social jadis au ban de la société burundaise a pris sa revanche sur les anciens piliers de la royauté sacrée burundaise en évinçant la monarchie et en éliminant systématiquement les familles jadis responsables des rituels de la royauté sacrée. L’alliance d’intérêts entre ces deux catégories a été funeste pour le reste des composantes du peuple burundais. Il s’agit en premier lieu la catégorie des Baganwa dont la royauté sacrée a été balayée comme un château de cartes par les jeunes officiers et intellectuels hima issus de Saint Cyr et autres académies militaires et les meilleures universités occidentales telle que la Sorbonne. Il s’agit ensuite des intellectuels hutu et des notables issus des familles qui constituent les piliers de la monarchie. Il s’agit enfin de l’ensemble des Tutsi et des Hutu à qui les stratèges ont fait croire que les victimes étaient coupables d’avoir été peloton au roi (abamenja) et que dès lors ils méritaient leur sort (kuzika).
Les militaires et gendarmes d’origine rwandaise qui avaient été intégrés dans l’armée et la gendarmerie burundaise dès la création de ces institutions de sécurité ont tiré profit de cette situation pour assouvir leur vengeance sur les Hutu du Burundi pendant la répression de 1965 et le génocide de 1972. Quant à l’oligarchie militaro-civile hima, elle a pu asseoir son hégémonie quatre décennies durant sur la vie politique, sécuritaire et économique du pays.
Contrairement à ce qui est clamé à ceux qui veulent les entendre, les Accords d’Arusha constituent pour les tenant du pouvoir d’avant Arusha un pis-aller. Ils instaurent un système de quota dont ils ne veulent pas se satisfaire. Ils institutionnalisent, en effet, un principe démocratique d’accès au pouvoir qui accorde une dignité égale à chaque individu qui compose le peuple burundais «Agateka kuri bose» et contrarie de ce fait le principe selon lequel la dignité là où elle a toujours été «agateka aho kamye».
Il n’est donc pas étonnant que parmi les éléments moteurs de l’insurrection de mai 2015 se retrouvent pêle-mêle les anciens dignitaires évincées par les Accords d’Arusha et les institutions démocratiques qui en sont issues, leurs descendants qui avaient jadis leur plan de carrière tout tracé après les études et qui sont actuellement acculés à se soumettre aux conditions de recrutement d’une administration qu’ils ne dominent plus à 100%.
Regroupée la plus part du temps dans une nébuleuse appelée «société civile», une aristocratie entretenue par l’impérialisme occidental et qui sert de tête de proue au néocolonialisme, cette catégorie cherche à supplanter les institutions en charge du contrôle de l’action gouvernementale, décrédibilisant constamment le processus démocratique en place au Burundi.
Il y a aussi les descendants d’anciens réfugiés rwandais qui ont bénéficié de l’hospitalité légendaire du Burundi mais aussi de la connivence avec l’oligarchie militaro-civile hima pour se voir octroyé la nationalité burundaise. Leur tentative de balkaniser la ville de Bujumbura en créant des communes épurées de leur composante Hutu a porté gravement à la cohésion sociale et à la sécurité nationale. Cette tentative avait sans doute pour vocation de s’étendre sur l’ensemble de Bujumbura et de créer un Etat dans un Etat en faisant la loi de la rue et en s’attaquant de manière frontale aux forces de l’ordre et de la sécurité. Nos policiers ont été malmenés. Leur professionnalisme et leur patriotisme ont évité à notre pays le désastre tant épilogué par les prophètes du malheur et autres oiseaux de mauvais augure. Enfin, il y a cette frange de politiciens qui pratiquent la politique de la chaise vise depuis les élections de 2010, parmi eux ceux qui, pendant la période de lutte, pensaient que le pouvoir allait leur être servi sur un plateau de cristal sans en payer le prix.
En face de la détermination du peuple burundais dans sa diversité à défendre l’unité et l’intégrité de son territoire, les uns et les autres ont déserté les lieux entraînant dans leur sillage un nombre important de réfugiés qui ont cru de bon ou de mauvaise fois à leurs mensonges. L’utilisation d’un discours politiquement correct de défense des Accords d’Arusha, d’opposition au troisième mandat, de défense des droits de l’homme ne relève que de l’ingénierie sociale visant à rendre invisibles les réels enjeux des acteurs directs et de leurs suppôts étrangers.
De l’extérieur, ils continuent à mener une campagne de diabolisation sans concession de l’Etat burundais et de ses institutions. Ils portent ainsi atteinte à la dignité et aux intérêts du peuple Burundais. Le Burundi se trouve ainsi rendu vulnérable dans ses relations bilatérales et multilatérales par des sujets qui ont tous reçu de lui et pour lesquels il attendait un minimum de reconnaissance.
Au regard des appétits de l’impérialisme qui convoitent le sous-sol burundais, le peuple burundais a besoin d’un front uni et des mesures vigoureuses pour désarmer ses fossoyeurs :
A ceux qui ont acquis la nationalité burundaise à la faveur de la magnanimité des autorités en place et qui utilisent leurs capacités intellectuelles à saper les fondements de notre unité et la paix de notre pays, le Burundi a le droit comme le font les autres Etats à déchoir ceux qui ont acquis la nationalité Burundaise et qui lui manquent cruellement de loyauté. Si une telle disposition n’est pas encore inscrite dans notre code de nationalité, il est urgent que les organes habilitées à prendre l’initiative des textes de loi s’attèlent à cette tâche pour la prochaine législature.
Pour les universitaires partis à l’étrangers pour parfaire leur formation de troisième cycle ou postdoctorale et qui ne sont pas rentrés au pays soit en choisissant de rester dans le pays d’accueil soit en se rendant dans d’autres pays. Il s’agit pour le pays d’une perte incommensurable. Ceux qui procèdent de ce détournement des investissements de l’Etat, le gouvernement doit tout mettre en œuvre pour recouvrer les montants qui ont été décaissés pour leur formation majorés des intérêts de retards. Dans la même veine, le gouvernement devrait analyser les voies et moyens requis pour son retour d’investissement.
Les services habilités devraient instruire les dossiers des meneurs du mouvement du mai 2015 en vue de voir, si ceux si, ne sont pas les descendants de ceux qui ont endeuillés le Burundi et qui ont reçu l’esprit criminel en héritage et qui cherchent à empêcher le fonctionnement normal des institutions démocratiques. Ces mesures pourraient décourager ceux et celles qui seraient tentés de suivre l’exemple de ces jusqu’au-boutistes qui s’activent à saper la paix durement acquise.
Le Burundi a besoin de sortir du cercle vicieux dans lequel tous ces éléments cherchent à l’enfermer et il est impératif de lever ces entraves qui nous enchaînent et nous empêchent d’être libres. A chaque burundais et chaque burundaise de faire le pari sur l’avenir et de ne pas tourner en rond ou d’être rivé sur un passé qui ne passe pas.
Allez, on est en 2020, citoyens allons y gaiement aux urnes.
Emile Mihigo