«Le virus pourrait être transporté par la pollution»

Vincent-Henri Peuch, directeur du Service européen de surveillance atmosphérique Copernicus, explique comment la recherche sur le Covid-19 se penche maintenant sur une possible transmission par les particules en suspension.

Bien que ce ne soit pas son cœur de métier, Vincent-Henri Peuch est un des multiples acteurs du monde scientifique qui tente de mieux comprendre la réalité de l’épidémie de Covid-19. Le directeur du Service de surveillance atmosphérique (Cams) du programme européen Copernicus d’observation de la Terre explique à Libération l’étendue de leurs travaux, en lien avec le milieu médical. Le CAMS a relevé le 18 mars, une réduction de 10% par semaine des concentrations d’un polluant, le dioxyde d’azote en surface, dans le nord de l’Italie, depuis la mi-février. Et devrait publier dans les prochains jours une carte en temps réel de l’évolution de la concentration de certains gaz dangereux pour l’homme, en Europe.

Vous travaillez actuellement avec l’Organisation mondiale de la santé ainsi que des épidémiologistes sur le Covid-19. Quel est votre rôle ?

Grâce à nos outils d’observation par satellite et de modélisation, nous leur fournissons des données pour déterminer si la pollution par les particules fines peut servir de vecteur au Covid-19. Une étude réalisée par une quinzaine de chercheurs internationaux, et publiée le 17 mars dans The New England Journal of Medecine, a conclu que ce virus peut rester accroché pendant environ trois heures sur les particules fines en suspension, émises entre autres par les voitures, l’agriculture ou l’industrie. Cela signifierait qu’il pourrait être transporté par la pollution et contaminer sur une longue distance. L’OMS et les universités avec lesquelles nous travaillons cherchent maintenant à savoir si le virus, dans sa phase active, peut survivre sur les particules en suspension. Et sur quelle durée. Cette hypothèse, si elle est confirmée, pourrait expliquer, en partie, la vitesse de propagation du Covid-19. Il est possible que cela dépende des conditions d’humidité et de température.

Une baisse de la pollution aérienne saurait, si c’est confirmé, être bénéfique pour limiter l’épidémie ?

Tout cela n’est encore qu’hypothèses. Mais si c’est confirmé, oui. On pourrait décider alors de réduire certaines sources spécifiques de pollution. Nous observons déjà l’effet à la baisse des mesures de confinement sur les émissions de gaz polluants, comme le dioxyde d’azote et les particules fines, sur l’ensemble des pays d’Europe de l’Ouest et aux Etats-Unis, avec un petit retard au Royaume-Uni. Mais comme ces émissions dépendent beaucoup de la variabilité saisonnière et de la météo, il faut un mois de données pour considérer une évolution comme robuste.

Vous travaillez aussi sur le lien entre le virus et les allergies au pollen…

Il est clairement établi que la pollution atmosphérique, même étendue au pollen, affecte les personnes au travers de maladies comme l’asthme. Avec le Covid-19, la question est maintenant : la dangerosité du virus et ses complications augmenteraient-elles pour les patients allergiques au pollen ? C’est un enjeu de taille. En Europe, 25% de la population européenne est sensible au pollen. Et nous sommes en plein pic de la production de pollen de bouleau, un des plus allergisants.

Comment obtenez-vous vos données sur les pollens ?

On fait des prélèvements sur des filtres de l’air, qu’on passe ensuite au microscope pour compter les particules de pollen. En fonction de la saison, on sait à quelle espèce on doit s’attendre. On obtient les informations avec un délai de trois semaines.

Dans quelle mesure doit-on s’attendre à voir les émissions de gaz à effet de serre chuter ?

C’est difficile à dire. Le problème avec des gaz comme le dioxyde de carbone (CO2) ou le méthane, est que les concentrations de fond dans l’atmosphère sont déjà très élevées. Les émissions «fraîches» ne correspondent qu’à environ 1% du total. Un de nos axes de développement, à Copernicus, est justement de mettre en place, dans les prochaines années, un ensemble de trois satellites capables de mesurer le CO2 avec une précision suffisante pour pouvoir déterminer quelle quantité est «fraîche» ou ancienne.

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