Sous l’administration belge et le règne de Mwami Mwambutsa IV, les hutu et les tutsi étaient comme des seins qui sont sur la même poitrine, et pourtant les mamelons ne se touchent jamais. Ainsi les hutu et les tutsi vivaient ensemble chacun avec sa nature identitaire sans pourtant se valoir. Il n’y avait pas de chasse à l’homme hutu.
Les événements sanglants survenus au Rwanda en 1959, ont provoqué un flux massifs des réfugiés tutsi rwandais au Burundi. A partir de ce moment, les tutsi du Burundi voyaient en hutu, un ennemi potentiel à abattre.. Les élections de 1961donnèren la victoire au Prince Louis
Rwagasore. Il fut assassiné par les membres de l’opposition politico-dynastiques. Les premières victimes hutu sont tombées en 1962. Pas d’enquête, pas de procès. La majorité des hutu gagnèrent les élections de 1965.Les indécisions politiques du Mwami plongèrent le pays dans une dérive chaotique. Un coup d’Etat manqué ou simulé donna l’occasion au Mwami de se réfugier en Suisse, non sans avoir donné à son Secrétaire d’Etat à la Défense, le Capitaine Micombero, l’ordre de punir les coupables. On y arrive.
Les coupables étaient déjà listés : tous des hutu. Déjà, il n’y avait pas eu de procès pour les massacres de Kamenge. Ici aussi, pas deprocès en vue, alors, on tue sans sourciller. Micombero a liquidé les hutu en les accusant de vouloir renverser la Monarchie pour instaurer une République. En 1966, il renverse le Mwami pour introniser le cadet royal, l’adolescent de 19 ans, le Prince Charles Ndizeye sous le nom dynastique de Ntare V.
Trois mois plus tard, Micombero aidé involontairement par le Maréchal Mobutu, renverse la Monarchie pour instaurer une République, option qui avait emporté des centaines d’intellectuels hutu. Allez y comprendre quelque chose. Tout hutu qui émerge était bon à liquider.
En 1972, aidé par Idi Amin Dada , rthémon Simbananiye, se rend en Ouganda et il ramène le pauvre Ntare V. Micommbero le fait exécuter à Gitega ,ainsi que des milliers de hutu, accusés de vouloir renverser la République pour instaurer la Monarchie. Tous les prétextes étaient bons pour tuer les hutu. Les années suivirent avec leurs lots de morts, en 1988 à Ntega et Marangara et en 1991 et 1993 où les hutu ont dit :ça suffit.
Un dicton kirundi dit :shaka dusangire icobo canke dusangire umuhimba bweze,nta muryango undusha Ils ont tué les membres de ma famille, mes amis ;Ils attenté à ma vie. Mais moi, je ne me suis pas tu, je les ai affrontés devant les Tribunaux. Maintenant, il faut rompre le silence devant ces crimes et leurs auteurs. Il faut maintenant une Justice pour tous.
Mon vécu.
Avant de vous livrer mon témoignage, je me permets de vous livrer quelques anecdotes qui ne manquent pas de piquant, afin d’affirmer tout ce qui m’a poussé à refuser toute injustice, d’où qu’elle vienne. J’ai juré que je ne me tairai jamais, quoi qu’il arrive.
Mon parcours est un roman, qui peut-être un jour verra le jour au complet.
Pour rester dans l’idée princeps du Collectif, je vous donne quelques aperçus synoptiques de ce que j’ai vécu.
Je suis né au temps de Ruanda-Urundi,sous mandat belge, sous le Règne du Mwami Mwambutsa IV Bangiricenge, dans la Chefferie du Prince Kamatari Ignace et en Sous- Chefferie de Ndarubagiye Ivode, dans la région de Vyuma-Ndava. Actuellement Commune Ndava, Province Mwaro.
Tout petit, je suis allé apprendre à lire à notre succursale Rutyazo, de la Paroisse Kibumbu,du Diocèse de Gitega. On lisait sur un drap tendu sur lequel, étaient teintes toutes les lettres de l’alphabet, en grand et en petit caractères. Je devais avoir trois ou quatre ans. J’ai tout lu d’un trait pendant que les autres apprenaient lettre par lettre. En effet, mon oncle et parrain était enseignant. J’étais curieux, juché sur ses genoux, il m’avait appris à lire à la maison.
A la succursale, l’apprentissage se terminait à midi et chaque enfant s’en retournait chez lui pour revenir une fois par semaine.
Mais ce premier jour là, je ne suis pas rentré à la maison. Un moniteur d’école Michel Midonzi, un tutsi, m’avait repéré. Il m’a emmené de force sur son épaule et il m’a calé sur une chaise dans sa classe, avec obligation de ne pas bouger, tout en me disant : toi tu es intelligent, tu dois aller à l’école, avec obligation de revenir tous les jours le matin. Un vrai martyr pour moi. Lorsque j’ai raconté à mes parents ce que Midonzi avait fait pour moi et contre ma volonté, mon père n’a fait qu’approuver le Moniteur, ce qui me désespérait d’aller à l’école tous les jours et pire encore le matin.
Depuis, j’étais toujours premier. A la fin de la 2ème année, j’étais encore premier, le second un tutsi Charles. Les prix de fin d’année étaient remis le samedi à la Paroisse Kibumbu et tous les élèves devaient s’y rendre. Je suis arrivé à la bonne heure avant 8 heures, devant le bureau du Père Mons, Directeur de l’établissement principal de la Paroisse.
A la proclamation, c’est le tutsi Charles le second qui a été annoncé premier. Ma première contestation ne s‘est pas fait attendre. J’ai crié, que c’est moi le premier. Silence dans les rangs. Ce Charles n’était pas arrivé. Alors, le prix me fut remis et ce n’était que justice. Je partais furieux de cette tricherie organisée et en même temps content d’avoir récupéré mon dû. Sur le chemin de retour, je croisais Charles. Il me demanda où on a mis son premier prix. Je lui ai dit que c’est moi le premier de la classe et que j’ai eu droit au premier prix. Il a continué sur Kibumbue et, moi tout au long du chemin je me demandais : comment ce Charles savait-il que c’est lui qui aurait le prix qui me revenait. Ce n’était que justice. Première victoire contre l’injustice.
Il fallait continuer les classes à Kibumbu. De Ndava à Kibumbu ,il y a au moins 30Km. Cette distance pour un enfant de 6 ans est pénible. Nous étions une dizaine de gamins d’âges différents.
Un samedi, Antoine, un camarade tutsi me dit d’aller dans un champ pour lui voler du manioc. Surpris par cette proposition contre bon sens, je rétorquais que jamais je ne le ferais car maman nous a toujours défendu de voler. Monsieur Antoine me menaça des coups de bambous si je ne lui ramenais pas du manioc. Je n’ai pas cédé. J’ai eu droit à huit coups de bambou dans le dos, en
> présence des camarades, tous tutsi. Je lui ai promis de rapporter ces faits le lundi à l’école. Il me menaça si j’ose le faire. Je campais sur ma décision. J’étais en 3ème année A. (NB:les classes A étaient réservées aux élèves ayant des notes au-dessus de 90%, les B au-dessus de 80% etc)
Le lundi, j’ai dit à notre enseignant Gwadamu ce qui s’est passé le samedi. Il m’a conseillé d’aller voir Monsieur Athanase Mukenyezi, l’enseignant de l’agresser car il était en 4ème année. Sans peur et sans soucis, je suis allé trouver l’enseignant dans sa classe. Le Moniteur m’a prié d’aller devant toute la classe, et de répéter à haute voix ce qui s’est passé. Les camarades de route ont confirmé mes propos de la scène.
Depuis lundi jusque vendredi, Antoine avait droit aussi à huit retentissants coups de fouet bien appliqués sur ses fesses. Il fut prié de venir le samedi accompagné de son père. Il bénéficia encore des huit derniers coups et en prime, l’exclusion définitive de l’école.
Il m’a fait de la peine. La punition était disproportionnée. Les conséquences furent dures que les coups de bambou, mais cette fois-ci à son endroit.
En 5ème année A, pendant le cour de chants, tous les élèves, nous étions sur l’estrade. Un certain Pierre qui était à mes côtés, a à un moment chanté en dièse. Le sang de notre Moniteur Aster n’a fait qu’un tour. Il m’appela devant lui et face à tous les autres, il m’administra des gifles pour avoir chanté faux. Je protestais en lui disant que ce n’est pas moi, mais bien Pierre. Il me remit un bouquet de gifles en me disant : tais-toi espèce de vilain fils de hutu ”ceceka wa cana
c’igihutu”. Aster savait bien que c’est Pierre le fautif. Seulement voilà, Aster était fiancé à la sœur de Pierre. En plus ce Pierre habitait sur une colline voisine de la nôtre. Donc, on se connaissait bien.
Ne vous vengez pas, le ciel vous vengera. La sœur de Pierre rompit les fiançailles avec notre Moniteur Aster pour épouser un autre prétendant. Pauvre Pierre, il souffrit énormément et doublement. Il avait une chance sur deux d’avoir des gifles chaque jour. Chaque fois, Aster rappelait à ce malheureux que j’ai été puni injustement à sa place. Ensuite, pour un oui ou pour un non, il le battait en lui rappelant le camouflet que lui a infligé sa sœur. Et maintenant, il faut payer !
Après ces anecdotes illustratives parmi tant d’autres, voici mes quelques témoignages.
Ils ont tué mes amis.
En 1962, j’étais un adolescent sans soucis de presque 17 ans. Membre de la JOC -Jeunesse Ouvrière Chrétienne-.J’ avais parmi nos responsables, les deux Jean.
Ils étaient aussi syndicalistes. Ils habitaient Kamenge. Jean Nduwabike avait quitté le Grand Séminaire, et l’autre Jean était rentré du Congo après l’indépendance.
La FGTB- Fédération Générale des Travailleurs Belges- faisait une tournée au Burundi. Les deux Jean ont rencontré les membres de la FGTB qui leur ont donné l’idée de fonder le premier syndicat au Burundi. Ce qu’ils ont fait. Les tutsi voyaient d’un
mauvais œil la naissance de ce syndicat qui risquait de drainer beaucoup de travailleurs à majorité hutu, et au pire de s’organiser en une force.
Hélas, les deux Jean furent affreusement massacrés par les membres de la JRR- Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore-. Leurs dépouilles furent profanées .Des femmes firent leurs petits besoins dans leur bouche qui leur servirent de pot de chambre, ultime humiliation.
Tuez-le. Après le lycée, on nous a promis des monts et des merveilles militaires, faux évidement. J’ai fait presque deux ans à l’armée, au camp militaire de Ngozi. Il était dirigé par un belge, le Capitaine Roucourt jusqu’à l’indépendance, avant de céder le commandement à un
> Capitaine burundais rentré de Belgique. Avec l’Abbé Gihimbare Gabriel l’aumônier militaire, nous étions les seuls hutu intellectuels du camp. Nous étions très amis.
Pour des raisons injustes, le Capitaine burundais devenu Commandant du camp Ngozi, me convoqua à son rapport. Il me colla 8 jours de cachot.
J’ai tourné les talons pour sortir. Il me rappelle et il me demande si je n’ai pas oublié quelque formalité. Je lui réponds que non. Il me rappelle que je dois le saluer et lui dire merci mon Capitaine.
Je lui fais remarquer ceci : vous me punissez injustement, et en plus vous voulez que je vous dise merci. Jamais. Furieux, il me dit 15 jours de cachot. Les yeux dans les yeux, je lui répète : je m’en fous, même un an si vous voulez et je ne vous remercierai pas. Je suis parti sans le saluer ni lui dire merci.
Quelques mois plus tard, j’avais une mauvaise impression de la situation à venir.
Je fréquentais les Mess des Officiers. Ceux-ci parlaient déjà de coup d’Etat militaire.
Je quittais l’armée sans rien emporter malgré l’obligation de prendre tout un équipement militaire pour revenir en uniforme en cas de convocation. Alors, m’adressant à l’Officier, je lui dis que je ne prendrai rien de l’armée car je ne reviendrai jamais. Ma préoccupation était de continuer les études d’Ingénieur électronicien à Paris, puisque j’avais une correspondance avec l’Ecole. La politique anti hutu était-elle déjà en route ? Probablement depuis 1959 avec l’afflux des réfugiés rwandais fuyant les massacres.
En 1964, les militaires sont allés faire des simulacres de manœuvres de nuit dans la forêt de Kirundo. Leur Aumônier l’Abbé Gabriel Gihimbare était déjà en attente d’être sacré Evêque. On l’appelait déjà Monseigneur. Il fut prié d’accompagner les soldats. Les consignes pour l’éliminer étaient déjà données à un tireur tueur : tuez-le.
La nuit tombée, au milieu de la forêt, on fit de fausses manœuvres. Le soldat exécuta les ordres. Il tira sur Monseigneur Gihimbare. Il avait une antilope qu’il avait chassée pour améliorer le menu des soldats. Les responsables de ce forfait disaient qu’on l’a pris pour une antilope. Comme je connaissais tous les soldats, je leur ai demandé si, on a déjà vu une antilope bipède en tenu militaire tenant aussi une antilope chassée pour nourrir les soldats, ou si on a rencontré un homme quadrupède habillé de peau d’antilope portant en plus une antilope morte ! Le soldat tireur devenu comme fou avouera plus tard qu’on lui avait dit : tuez-le. Monseigneur Gabriel Gihimbare était un ami.
En 1965, j’étai à Bujumbura. J’habitais à Ngagara chez Sabushimitse, Directeur au Ministère de la Santé. Toutes les nuits, des camions militaires déchargeaient leurs cargaisons d’intellectuels hutu au stade Rwagasore. On voyait des projecteurs ou des éclairages de phares des camions militaires déchirer l’obscurité pour éclairer des cibles trop éloignées pour les distinguer. On entendait des coups de fusils crépiter au stade.
Assez tôt tous les matins, je me rendais au stade pour voir ce qui s’est passé la nuit. Ce que j’ai vu donne le frisson dans le dos.
C’est inimaginable. On ne peut pas s’imaginer un abattoir des hommes par des hommes, pour des hommes.
Qu’ai-je vu. Il y avait une dizaine de poteaux métalliques en H récupérés sur des chantiers. On s’imagine. On maintenait debout la victime bien droite, le dos collé sur le poteau. Ses bras étaient solidement attachés derrière le poteau et contre le poteau. Alors les tirs pouvaient commencer.
J’ai vu des impacts de balles sur les poteaux, des chairs, des cheveux, des bouts de cravates et des tissus. Au pied de chaque poteau, des monticules de sang coagulé, des fragments de dents cassées, des traces de traînée des pieds. C’est dans ces conditions que tous mes amis Officiers hutu de l’Armée et de la Gendarmerie comme Burasekuye, ont trouvé une mort injuste.
Au retour du stade, on me demandait ce que je vais faire au stade. Voir ce qui s’y passe la nuit pour témoigner plus tard ! Ah vous les jeunes vous êtes inconscients, me disait-on. Les hutu étaient tellement terrorisés qu’ils marchaient la tête entre les épaules.
C’est en cette année 1965 que j’ai réussi à négocier tous les documents de nous les quatre hutu et quitter le Burundi.
En 1968, la France a connu la révolution. Puisque les cours étaient suspendus, je suis rentré au Burundi pour les vacances.
Un tutsi voisin cherchait à m’éliminer.
En vacances, j’ai passé trois mois à travailler dans les champs maraîchers avec mes sœurs. Un tutsi voisin irascible a fait des plans pour m’éliminer. Ayant subodoré ces plans macabres, je n’ai pas bougé, et j’ai fait des contre plans. Je suis parti sous son nez et sous sa barbe. Lorsqu’il a appris que je suis déjà en France, il n’a pas digéré mon auto exfiltration. Alors, mon père me pria de rester vivant loin où je suis, plutôt que d’aller me faire assassiner tout près de lui. Le tutsi est mort. Ses petits enfants menacent toujours de mort mes neveux et de moi-même. Seulement
ça n’ira pas loin. Depuis lors, je suis retourné six fois sur la colline.
En 1969, des Officiers sont rentrés des Ecoles militaires à l’étranger. Parmi eux, un ami Karolero Charles. Une étoile montante que les tutsi voulaient absolument éteindre. Ils l’ont éliminé en compagnie de bien d’autres. Même jusqu’à ce jour l’évocation de son nom met les commanditaires et leurs acolytes mal à l’aise.
Ils ont tué les membres de ma famille
En 1972, au milieu du chaos de massacres généralisés, ils ont tué les membres de ma famille tant du côté maternel que paternel. A Muramvya, du côté de ma mère, un cousin, Policier de profession, a été arrêté à son poste pendant la journée. Comme d’autres prisonniers, il fut tué en prison de Muramvya à coups de gourdin sur la nuque. Dans cette prison, on tuait par coup de lapin pour économiser les balles, et pour mieux entendre le dernier cri de leurs victimes.
A Gihinga, du côté paternel, sur une colline en face de la Paroisse Kibumbu, mes trois cousins, mariés et pères de familles, ont connu le même sort que mon ami le Professeur Damiens
Mon ami Damien Professeur au Lycée de Mwaro, avec ses compagnons d’infortune, étaient empilés dans un camion les uns sur les autres comme des sacs. Les soldats s’asseyaient sur eux et les transperçaient à coups de baïonnette de Mwaro vers une prison improvisée sur une
colline sise en face de la Paroisse Kibumbu. Les malheureux mouraient étouffés, suffoqués, écrasés et ensanglantés par les baïonnettes militaires.
Mon oncle Kabwa Pierre, Directeur de l’Aéroport de Bujumbura. On l’a pris chez lui pour l’amener à l’abattoir car au travail beaucoup de tutsi le protégeaient.
Mon ami Eliphaz s’est fait tuer par son voisin tutsi Sylvestre
Un grand ami Eliphaz était venu à Amiens depuis 1970 pour faire un stage dans l’éducation nationale.
Son stage terminé début 1972,il me dit qu’il envisage de rentrer au pays. Nous sommes en janvier 1972.Par préhension ou par 6ème sens, je le supplie de ne pas rentrer au Burundi.
Je lui dis : Eliphaz, je ne suis pas devin, je ne sais pas et je ne peux pas t’expliquer ce que je ressens mais j’ai l’impression que les choses vont mal au Burundi. Evidement, lui n’avait aucun pressentiment.
Il est rentré fin janvier 1972. Il a été nommé Directeur de l’enseignement secondaire et chargé de la réforme. Il est allé passer un weekend dans son village à Kirundo. Lorsqu’il est revenu à
Bujumbura, un certain Sylvestre son voisin l’attendait, et il a supervisé son assassinat.
Un autre ami, Ntungiye Melchior à Bujumbura, en 1972, on lui a tiré dans le dos dans le quartier Bwiza à l’époque nommé Camp belge.
J’ai été victime de tentative d’assassinat.
A Amiens, en 1972, j’étais à la Fac de Médecine. Sont arrivés trois Burundais : Paul, Protais et Antoine le beau-frère de feu Pierre Ngendandumwe. Je les ai bien accueillis. Je les transportais dans ma voiture. On allait n’importe où et partout. On sortait ensemble. Je ne leur ai jamais demandé de payer même pas un litre d’essence. L’amitié pour le compatriotisme passait avant tout.
Un bon cœur contre un mauvais esprit, mais pas pour tous. Paul me répétait tout le temps qu’il se ferait le plaisir de décharger en mon corps les chargeurs de son kalachnikov.(je ne savais même pas ce que c’est).Cela ne m’empêchait pas de le conduire.
Un soir de juillet 1973, les étudiants ont organisé une soirée à laquelle je ne voulais pas aller. Un ami tchadien m’a entraîné à y aller vers minuit. Paul et Protais étaient sur les lieux. Par surprise
> et par derrière, ils m’ont attaqué et massacré avec rage. Je me suis réveillé sur une table des urgences au CHU d’Amiens, où j’étais Externe.
D’après les étudiants, Paul et Protais voulaient m’achever alors que j’étais dans le coma. Paul et Protais ont été maîtrisés par des camarades congolais et sénégalais, qui m’ont emmené à l’hôpital dans ma voiture.
Le lendemain, avant de passer au bloc opératoire la Police alertée, avait envoyé un Enquêteur à mon chevet pour l’audition.
J’avais les os de ma mandibule fracassés en plusieurs fragments. Antoine le beau-frère de P.Ngendandumwe était attristé de savoir ce qui m’est arrivé. D’ailleurs les deux autres ne l’aimaient pas, puisque sa sœur avait épousé un hutu. Alors, il était considéré comme pro hutu et détestable. Je suis resté bloqué pendant trente jours.
Lorsque des Burundais ont entendu ce qui m’est arrivé, ils m’ont conseillé de ne pas porter plainte car ces tutsi sont revanchards.
J’ai rétorqué que je ne cautionnerai jamais le silence et encore moins l’impunité.
En colère contre ces tutsi à qui j’ai rendu tant de services et qui ont failli me tuer, furieux contre ces hutu timorés qui ont peur de réclamer que justice soit faite pour contrer les criminels, j’appelais illico et subito l’Enquêteur de Police judiciaire pour porter plainte auprès du Procureur de la République.
Au Tribunal, Protais avait été relaxé. Paul était reconnu auteur des coups et seul présumé coupable. Il avait un Avocat pour le défendre.
Moi aussi, j’avais le mien. J’ai prévenu mon Avocat, que je connais l’histoire du Burundi, des Burundais et des massacres des hutu au Burundi. Par conséquent, je souhaite me défendre moi-même. Je lui fis comprendre que ma plaidoirie est celle de tous les hutu qui ne peuvent pas parle, ni porter plainte. Eh oui, je fis moi-même ma propre plaidoirie aussi claire que possible, au nom de tout le peuple hutu.
En terminant, j’ai précisé à la Cour que je ne veux aucune indemnisation financière. Mon sang n’a pas de prix. Ce que je veux est qu’il soit marqué dans le dossier de ce Paul, une condamnation judiciaire. Qu’on le laisse continuer ses études, pour qu’il sache qu’il y a en France une Justice qui n’existe pas au Burundi. Lorsque le Président appela Paul à la barre, il se mit à bégayer jusqu’à ce que le Président l’interrompe et le renvoie s’asseoir.
(NB J’ai demandé au Tribunal l’extrait du procès qui me parviendra prochainement)
Son Avocat n’a pas trouvé d’arguments à opposer aux miens. Lorsque son Avocat a dit au Président de ne pas donner à Monsieur Nderagakura de l’argent pour me remplir les poches, ,je l’ai interrompu sèchement pour lui dire que j’ai précisé que je n’en veux pas de son argent de sang.
Au verdict, Paul fut reconnu coupable. Il fut condamné à 5000F d’amende et trois mois de prison avec sursis.
Paul fit appel. A la Cour d’Appel, son appel fut rejeté. Il perdit le procès. Il chercha à aller à la Cour de Cassation. Son Avocat furieux lui reprocha son entêtement et lui cracha à la figure la vérité. Il lui dit: tu es déjà un assassin. Tu as voulu assassiner ton compatriote comme vous le faites dans votre pays sans lois et tu veux aller à la Cour de Cassation ? Tu y iras tout seul. J’aurais préféré travailler avec ta victime. Déjà, tu ne sais même pas t’exprimer, tu bégayes des choses inaudibles. Paul fut fiché persona non grata en France
Leur stage terminé, les trois retournèrent au Burundi. Paul aurait fondé une Faculté de psychologie à Bujumbura. En 2007, à Bujumbura, j’ai eu une chance de rencontrer Antoine. Il était heureux de nous revoir.
J’ai aperçu de loin le fameux Paul devenu obèse et cylindrique
En conclusion.
Mon témoignage s’est limité aux assassinats des membres de la famille, des amis civils et militaires de l’armée et de la gendarmerie.
Déjà en 1965, pour venir en France, on était 16 étudiants, soit 12 tutsi et 4 hutu. Les Tutsi sont partis et tous les hutu, avons été bloqués.
On est en Octobre 1965.
C’est par ma combativité ou par l’insouciance de la jeunesse, que nous sommes allés au service d’Immigration chercher une Attestation de non redevance à l’Etat. Seul moi, je suis entré de force, affronter les Secrétaires qui bloquaient nos Attestations .J’ai traversé le bureau pour aller frapper à la porte du bureau du Directeur. Je lui ai réclamé les quatre documents de non redevance à l’Etat. Je suis sorti avec les documents en tirant la langue aux Secrétaires.
Mais, nous n’avions pas les passeports. Ils étaient bloqués chez le Directeur général au Ministère de l’Education nationale. En tête de ce quarteron de hutu, j’ai demandé à la Secrétaire où se trouve le Directeur Elle nous a dit que le Directeur n’est pas là. Je suis passé à côté. J’ai frappé à la porte du bureau du Directeur qui croyant affaire à la Secrétaire a dit d’entrer. Mais c’était moi.
Arrivé encore seul devant lui je lui dis : Monsieur nous étions 16 étudiants pour aller en France. Or, tous les tutsi sont partis depuis quinze jours. Il reste nous, les hutu qui sommes bloqués.
Monsieur, en ce moment, toutes les semaines, jour et nuit, les militaires tuent les hutu. Vous avez deux solutions, soit nous sommes des criminels, vous appelez immédiatement vos militaires, pour qu’ils viennent nous ramasser et qu’ils aillent nous fusiller comme les autres hutu au stade Rwagasore.
Mais, si nous ne sommes pas coupables, donnez-moi les passeports, car je sais que c’est vous qui les avez.
Etonné par mon cran et mon audace, il a pris les passeports qui étaient dans son tiroir et il me les a tendus sans dire un seul mot.
En passant devant la Secrétaire, je lui lance : quand je reviendrai je me souviendrai de vous.
En fait, il était question de nous tuer. Il a fallu avoir un courage inconscient pour un jeune hutu encore adolescent de représenter les autres qui frissonnaient devant de tels individus qui n’avaient pas peur d’envoyer à la mort leurs propres amis pour le seul crime d’être né hutu.
Ils ont tué et enterré des hommes, des femmes et des enfants ainsi que la Justice. Si on ne peut pas déterrer les morts, il faut exhumer la Justice pour la rendre vivante aux survivants et vivants hutu de l’intérieur et de l’extérieur du Burundi.
Ce que je souhaite, qu’un tutsi indexe un hutu qui lui aurait tué un parent au lieu de donner des chiffres sans noms. Je pourrais dire beaucoup de choses, mais je ne veux pas monopoliser les pages. Restons en contact et que la PAIX SOIT AVEC VOUS.
Dr Ferdinand Nderagakura/France