La Fédération de Russie et la République du Burundi connaissent actuellement une étape fortement intéressante dans leurs relations bilatérales.

De l’aveu de nombreux observateurs, une nouvelle page s’ouvre dans les relations russo-burundaises et dans des domaines variés: politique, économico-commercial, culturel. C’est à ce titre que nous nous entretenons aujourd’hui avec Dr. Edouard Bizimana qui est en plus d’être un diplomate de carrière, est également enseignant et expert en relations internationales. Il a à ce titre un sérieux background dans l’enseignement universitaire, l’écriture et la recherche dans ce domaine. Il a déjà publié plusieurs articles et deux livres.

Sputnik: M. l’ambassadeur, quelle caractéristique donneriez-vous des relations entre le Burundi et la Russie, à l’heure d’aujourd’hui?

Dr. Edouard Bizimana: Merci beaucoup de me poser cette question. Je vais tout simplement dire que les relations entre la Fédération de Russie et le Burundi sont des relations solides, sincères et respectueuses de nos valeurs.

Sputnik: Le Burundi était à la une de l’actualité ces temps-ci, y compris au niveau de plusieurs médias internationaux qui donnaient une image fortement négative de la situation dans votre pays. Qu’en est-il réellement?

Dr. Edouard Bizimana: Simplement je voudrais dire à l’opinion que certaines informations qui sont véhiculées sur les sites web, dans les médias occidentaux, sont très tendancieuses et ne collent pas à la réalité.

Evidemment le Burundi a fait la une des journaux et la plupart des fois quand l’on lit ces journaux et que l’on se rende parallèlement dans notre pays, on trouve des réalités totalement différentes. Il suffit seulement de voir ce qui a été publié pendant le mois de mai 2015 durant les manifestations qui se sont montrées très violentes, qui ont été caractérisées par la destruction des biens publics et privés, et même des tueries car il y a eu des personnes qui ont été brulées vives. Ces manifestations se déroulaient seulement dans quelques quartiers de la capitale Bujumbura mais les images qui étaient servies dans les médias occidentaux, y compris là où je me trouverais en Europe (Dr. Edouard Bizimana était précédemment ambassadeur du Burundi en Allemagne, ndlr), se focalisaient seulement sur cette petite partie du territoire pour soi-disant démontrer que tout le pays « était en train de brûler ». Ce qui n’était pas le cas. Même toute la capitale du pays n’était pas concernée puisque seules cinq zones sur plus d’une dizaine ont été touchées par des manifestations. Et la population qui était restée paisible était majoritaire alors qu’effectivement les images que l’on véhiculait étaient fortement négatives vis-à-vis du Burundi. En général, cela se fait souvent avec l’Afrique. Une image tordue est bien souvent relayée. Il y a une réelle volonté de nuire, de tenir davantage l’image de l’Afrique. Mais ce qu’il faut dire aussi c’est que je serai en train de mentir si je disais qu’au Burundi tout est rose. Nous avons des défis. Des défis d’ailleurs qui ne sont pas uniquement spécifiques au Burundi et qui sont également partagés par d’autres pays. Et ce qui est important c’est la façon dont ces défis sont en train d’être gérés par les autorités burundaises et grâce au soutien des pays amis comme la Fédération de Russie, ainsi que d’autres pays, le Burundi est en train de s’en sortir. Je tiens ici à remercier le gouvernement de la Russie pour son soutien, que ce soit au niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies, que ce soit au niveau bilatéral et aussi dans d’autres fora ou rencontres. Donc le Burundi a bénéficié d’un soutien indéfectible de la Fédération de Russie et c’est grâce à ce soutien que le Burundi est encore debout.

Sputnik: Les accusations du leadership de plusieurs pays occidentaux envers le président du Burundi Pierre Nkurunziza « de ne pas respecter la constitution du pays » et de « contribuer à la violence » ont-ils lieu d’être? Ont-ils une quelconque base de légitimité pour être prononcées? Pourquoi selon vous on assiste à de nouvelles tentatives occidentales d’interférer dans les affaires internes du Burundi?

Dr. Edouard Bizimana: Merci encore une fois de la question qui est pertinente et qui a toute son importance. Je pense que les accusations qui sont formulées à l’encore de Son Excellence le président Pierre Nkurunziza sont farfelues et sans fondement, tout simplement. On ne peut pas être responsable à la tête du pays et encourager la violence, contre soi-même et contre son peuple. C’est une contradiction sans nom et qui vise certainement à ternir son image personnelle, ainsi que l’image du Burundi. Souvent je suis un peu étonné lorsque les gens parlent de Nkurunziza comme d’un individu, pourtant il s’agit d’un président d’un pays, il est une institution. Une insulte proférée à l’encontre d’un chef d’Etat, dans tous les pays partout au monde, c’est une insulte proférée à l’encontre de son peuple. Les accusations qui le visent donc sont sans fondement car sa candidature à la présidentielle n’a violé ni la constitution du Burundi, ni les Accords d’Arusha (Accords d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, signés en août 2000 sous l’égide de Nelson Mandela, ndlr). Il y a certainement des personnes qui se mettent à critiquer sans avoir lu ni ledit accord d’Arusha, ni la constitution, et qui se basent sur des faits qui ne collent simplement pas à la réalité. Donc je le répète la candidature de Pierre Nkurunziza n’a pas été la cause des problèmes que nous observons. A ce titre les manifestations ont commencé avant même que sa candidature soit officialisée. Il faut savoir qu’avant les dernières élections présidentielles, le président Nkurunziza était un président aimé aussi bien des citoyens du Burundi que des étrangers vivant au Burundi ou connaissant notre pays. Il est soutenu par la grande majorité de la population burundaise. Avant l’annonce de sa candidature à la présidentielle, le président avait une bonne image à différents endroits du monde, il a d’ailleurs reçu plusieurs prix étrangers pour l’encourager dans son action positive aussi bien au niveau du Burundi, qu’au niveau du continent africain et même au-delà. Et puis tout à coup les choses ont changé. Il est devenu l’homme à abattre subitement. Et là effectivement il y a des questions à se poser. La vraie cause de cette haine n’est pas son « troisième mandat ». Qui n’en est pas un d’ailleurs parce que la loi est bien précise à ce sujet. Lors de son premier mandat à la tête de l’Etat, il n’avait pas été élu au suffrage universel mais avait été désigné par le parlement. Ensuite au niveau de la constitution quand vous regardez les articles 96 et que vous y ajoutez l’article 302, et que vous lisez l’Accord d’Arusha, il y a une confusion qui est, je crois, sciemment entretenue. Et je pense que ceux qui ont élaboré la constitution burundaise en rapport avec l’Accord d’Arusha y ont mis des obstacles, des pièges même, qui sont maintenant en train de produire des effets négatifs pour notre pays.

Quant à la question de l’interférence de certains pays dans les affaires intérieures burundaises, c’est effectivement un aspect important. Je pense qu’il faut placer cela dans la dynamique actuelle de la marche du monde. L’Afrique est un continent qui suscite actuellement beaucoup d’intérêts, beaucoup d’envies et d’ambitions. Il y a aujourd’hui ce qu’on peut appeler le « New scrabble for Africa », où on voit beaucoup de pays, de puissances occidentales et d’autres qui sont en train de se ruer vers l’Afrique. Et à ce titre, le Burundi est un pays très stratégique, vu sa position géostratégique au cœur du continent africain, souvent on l’appelle même le « cœur de l’Afrique ». Cela a une importance capitale. Nous avons beaucoup de potentialités et qui intéressent beaucoup de monde. La politique du Burundi c’est une politique de bon voisinage, d’ouverture, de respect de l’autre, et le respect surtout de notre souveraineté. Je crois donc que la raison principale du revirement que nous avons observé c’est une volonté de mettre la main sur les ressources du Burundi. Des ressources qui intéressent plus d’un. Et malheureusement certains y vont d’une façon maladroite sachant que le Burundi a toujours été ouvert aux partenariats internationaux, à un partenariat gagnant-gagnant qui peut profiter à tout le monde. Donc ceux qui usent de la violence et l’interférence, je pense qu’ils sont perdants car je dis une fois encore: le Burundi est ouvert à tout le monde. Mais tout doit se faire dans le respect de l’autre.

Sputnik: La Russie et la Chine ont jusqu’à maintenant bloqué ces tentatives d’interférence extérieure, y compris au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU. Quelle a été la réaction à Bujumbura après cette action coordonnée de Pékin et Moscou?

Dr. Edouard Bizimana: Cela a suscité un sentiment d’appréciation et de gratitude envers ces deux amis du Burundi, deux partenaires fiables et fidèles. Notre relation mutuelle est bâtie sur le respect de l’un et de l’autre. Je crois que la position de la Russie et de la Chine montre bien qu’ils ne sont pas très d’accord avec l’unilatéralisme au niveau du Conseil de sécurité onusien. Je pense également que l’expérience du passé a montré qu’il y a eu des abus au niveau du Conseil de sécurité. On a vu des pays qui ont été saccagés, détruits, avec l’aval de cet organe des Nations Unies. J’aurai à ce titre cité la Libye qui est désormais un cas d’école. La Fédération de Russie, la Chine et d’autres de nos amis, notamment africains qui ont soutenu le Burundi que ce soit au niveau de l’Union africaine ou du Conseil de sécurité onusien, ont vu juste parce que la situation au Burundi serait peut-être devenue ingérable et cela aurait eu des effets négatifs sur toute la région. C’est une attitude qui est à encourager. Le respect de la souveraineté d’autrui reste une valeur universellement partagée entre le Burundi et ses amis.

Sputnik: Quels sont selon vous les domaines qui présentent un intérêt particulier dans les relations entre la Russie et le Burundi? Selon vous, quelle position la Russie devrait-elle avoir dans son partenariat avec votre pays, ainsi qu’avec les pays du continent africain en général?

Dr. Edouard Bizimana: Je crois que la Russie, compte tenu de son histoire avec l’Afrique, devrait s’impliquer davantage. On observe encore sur notre continent une sorte de chasse gardée qui incombe surtout aux anciens colonisateurs. La Russie comme elle n’a pas eu de colonies en Afrique, je crois que certains diront que c’est un handicap, mais c’est aussi et surtout un atout. Donc la Russie doit en effet s’impliquer davantage en Afrique. En ce qui concerne le Burundi, le marché est ouvert, il y a beaucoup de potentialités. Nous avons des secteurs prioritaires comme celui de l’énergie, le secteur de la santé, les infrastructures. Je pense que la Russie possède la technologie, ainsi que la connaissance utile et nécessaire pour avoir des contrats dans ces domaines. Le secteur minier est également très intéressant. Nous y avons aussi des potentialités. Et je me réjouis d’ailleurs que certains investisseurs russes commencent à s’intéresser à notre pays. L’année passée il y a eu un bon nombre de mouvements d’hommes d’affaire qui sont partis au Burundi et nous voyons déjà des entreprises russes qui sont en train de s’y implanter. J’encourage donc d’autres entreprises russes à aller également investir au Burundi: un pays plein de potentialités. A ce titre, le Code des investissements au Burundi encourage et donne beaucoup de profits aux investisseurs étrangers. Nombreuses facilitées sont accordées: à titre d’exemple pour créer une entreprise au Burundi, cela vous prend seulement deux heures, alors qu’ailleurs cela prend parfois bien plus de temps. Ce sont des opportunités à prendre. La Russie en cette matière doit prendre une position primordiale, sachant que le Burundi a une bonne image de la Russie et que nos relations sont solides et datent de longtemps, depuis 1962. On aurait donc préféré voir grand nombre d’entreprises et d’hommes d’affaires russes s’installer au Burundi et je pense qu’avec le temps ce sera le cas. L’intérêt est là et le Burundi est ouvert. En parlant des garanties aux investisseurs car c’est un aspect que j’entends assez souvent, c’est effectivement un aspect important, le Burundi y tient beaucoup, chaque fois qu’un contrat est signé il y a des garanties qui sont données. En cas de problème, il est toujours possible de se référer à la loi burundaise ou à la loi du pays de l’investisseur ou encore à la loi internationale en la matière. C’est donc une opportunité à saisir. Et d’ailleurs en fin de compte, le risque fait aussi partie du business.

Sputnik: C’est bien vrai. Dernière question M. l’ambassadeur. Pensez-vous qu’un système international de respect des souverainetés nationales devrait être réfléchi et coordonné, dans le cadre du monde multipolaire dans lequel nous vivons aujourd’hui, pour faire face aux tentatives de certains pays d’interférer dans les affaires d’autres nations souveraines?

Dr. Edouard Bizimana: Bien sûr que l’on devrait y réfléchir. Le problème par contre c’est qu’on ne sait pas encore qui prendrait cette initiative. Et sachant qu’il faut tenir compte des intérêts des uns et des autres. Pendant la période bipolaire, les choses étaient plus ou moins tranchées, soit on se trouvait dans un camp, soit dans l’autre, mais avec le monde multipolaire actuel c’est un peu plus difficile. Une chose est sûre, les Nations Unies ne peuvent pas jouer ce rôle, tout comme le Conseil de sécurité. C’est quelque chose donc qui serait difficile à mettre en place mais effectivement très utile. Le respect des souverainetés reste quand même un pilier et un facteur de la paix et de la sécurité internationale. Tout ce qui grignote et tout ce qui touche la souveraineté nationale, a des implications, et tous les pays du monde devraient se lever comme un seul pour défendre la souveraineté de chacun. Devant la loi, cette égalité juridique et souveraine doit être respectée. C’est pour cela peut-être qu’il faudrait penser à une réforme du système des Nations Unies, qui est important, pour que justement la tendance à l’unilatéralisme que l’on continue d’observer cesse et afin qu’il y ait plus de concertations entre nations. Et que les grandes puissances ne puissent pas imposer leurs visions et la marche à suivre à tous les autres.

Mikhail Gamandiy-Egorov