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Par Laurence Caramel Publié le 18 juin 2020 à 16h30 – Mis à jour le 18 juin 2020 à 20h42
De prime abord, le docteur Lucile Cornet-Vernet n’a pas le profil d’une franc-tireuse. La cinquantaine hâlée par des semaines de confinement passées au grand air, loin de son cabinet d’orthodontiste parisien, elle vit retranchée dans la paisible atmosphère du Belvédère, sa propriété de Mortefontaine, dans l’Oise.
Difficile d’imaginer qu’il s’est tramé là au début du printemps le plus improbable des scénarios pour imposer une tisane d’armoise annuelle, cette plante originaire du Sichuan, sur la liste des potentiels traitements contre le Covid-19. « Une tisane, ça n’est pas sérieux », fait-elle mine de penser assise dans un transat à l’ombre d’un vieux chêne.
Utilisée depuis des siècles en Chine
Pas sérieux ? Depuis que le président malgache a décrété mi-avril qu’un breuvage à base d’Artemisia annua serait l’antidote national de la Grande Île de l’océan Indien, son téléphone ne cesse de sonner. Elle enchaîne les interviews et la plante fait presque autant parler que l’hydroxychloroquine de l’infectiologue marseillais Didier Raoult… Du moins en Afrique où Andry Rajoelina, le chef del’Etat malgache, distribue gratuitement des boîtes de tisane aux dirigeants comme lui prêts à prendre des chemins de traverse pour faire barrage à la pandémie.
La discrète notable, habituée des cercles restreints de la lutte contre le paludisme ou de la permaculture, son premier engagement avant que l’artémisia ne devienne « le combat de sa vie », aurait-elle pu rêver si grande tribune ?
Lucile Cornet-Vernet a fondé en 2012 La Maison de l’artémisia pour promouvoir l’utilisation de l’armoise annuelle dans la prévention et le traitement du paludisme. A cette époque, cette fervente catholique, qui confie volontiers que « la foi coule dans ses veines », ressent la lassitude d’une vie trop cadrée. Elle qui voulait être médecin et garde en elle ce « besoin de prendre soin des autres », comme elle le raconte dans le livre paru en 2018, Artémisia, une plante pour éradiquer le paludisme (éd. Acte Sud), a envie de se rendre utile.
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Alexandre Poussin lui en apporte le thème. Cet écrivain globe-trotteur a traversé l’Afrique à pied et des décoctions d’artémisia offertes par une mission religieuse en Ethiopie pour soigner sa crise de paludisme lui sauvent la vie. « A mon retour, j’ai voulu alerter sur la puissance de cette plante pour soigner à peu de frais les milliers de personnes qui décèdent encore chaque année. J’ai prêché dans le désert jusqu’à ce que je rencontre Lucile et qu’elle s’empare de cette cause », explique-t-il, en louant son énergie.
Depuis des siècles, la médecine traditionnelle chinoise connaît les propriétés de l’Artemisia annua, utilisées contre les fièvres palustres. Il suffirait que chaque famille africaine en fasse pousser un carré dans son jardin pour offrir une alternative aux plus démunis qui ne peuvent avoir accès aux médicaments fabriqués par les grands laboratoires pharmaceutiques. Ce sera la première mission des Maisons de l’artémisia, présentes aujourd’hui dans vingt-trois pays du continent.
Prise parfois pour « une folle »
Alors qu’en ce début de printemps confiné, l’orthodontiste revisite l’abondante littérature scientifique écrite sur la plante, il ne lui échappe pas qu’elle possède également des vertus antivirales, utilisées par la Chine dans les traitements complémentaires du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-1) survenu en 2003. Dans le nouvel épisode de coronavirus qui s’abat sur Wuhan fin 2019, les médecins chinois y ont à nouveau recours. Alors pourquoi pas la France, se demande-t-elle.
Au départ de la réflexion, il n’est en effet pas question de l’Afrique. Lorsque l’un de ses fils polytechnicien se retrouve au Belvédère avec quelques camarades pour répondre à un appel à projet de leur école, c’est d’abord la protection des soignants français qui est au centre des discussions. « J’ai proposé ma tisane et, à ma grande surprise, ce fut l’enthousiasme », raconte celle qui a conscience d’être parfois prise pour « une folle » dans le milieu plutôt vieille France dans lequel elle gravite.
En quelques jours, la petite équipe rédige une note de douze pages : « Appel à projet lutte Covid-19. Prévenir et atténuer l’épidémie avec l’Artemisia annua ». Elle est adressée à l’Ecole polytechnique le 23 mars : « Le pic de l’épidémie du Covid-19 en France est prévu pour les jours suivants et l’exposition du personnel soignant ne cesse d’augmenter. (…) L’Artemisia annua est une plante médicinale utilisée massivement en Chine comme traitement contre le SARS–CoV–1 en 2003 et contre le Covid-19 aujourd’hui. Prise sous forme de décoction quotidienne par le personnel soignant, elle pourrait être très efficace pour renforcer la prévention. L’ONG La Maison de l’artémisia en possède 300 kg qu’elle peut mettre immédiatement et gratuitement à disposition, renforçant la prévention de 4 000 personnels soignants, en particulier des services de réanimation. »
« Actuellement, 1 000 tonnes d’Artemisia annua sont également stockées à Madagascar. Il suffirait de dix tonnes pour fournir aux malades les plus sévèrement atteints des décoctions quotidiennes et participer à endiguer l’épidémie en France et en Europe », détaille la note, en proposant qu’une étude clinique soit réalisée par l’armée pour confirmer l’efficacité du traitement dont la posologie s’inspirerait des prescriptions chinoises.
L’école polytechnique reste silencieuse pendant plusieurs semaines, avant de donner une réponse négative. « Ils attendaient certainement quelque chose de plus innovant », interprète-t-elle aujourd’hui.
Qu’à cela ne tienne. En même temps que le projet s’écrit, il apparaît en effet évident à Lucile Cornet-Vernet que les gouvernements africains doivent être mis dans la boucle. La plante pousse dans la vingtaine de pays où l’association s’est développée, une espèce d’armoise, l’Artemisia afra, qui pourrait bien faire l’affaire. Et Madagascar, pays auquel il est fait référence dans la note, possède les plus gros stocks d’Artemisia annua après la Chine, grâce à une entreprise qui fournit aux laboratoires pharmaceutiques l’artémisinine, le principe actif utilisé dans les combinaisons thérapeutiques considérées comme les plus efficaces et dont la découverte a valu le prix Nobel de médecine à la Chinoise Tu Youyou en 2015.
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La Française, qui dispose d’un solide entregent, fait parvenir son courrier jusqu’au bureau des ministres de la santé. A Antananarivo, le chef de l’Etat saisit tout de suite l’opportunité. Il réquisitionne les stocks d’armoise produite en quantité dans son pays, lance la production de sachets de tisane et boissons préconditionnées, avant de se faire le chantre de ce remède africain qui pourrait « sauver le monde » à travers des visioconférences avec ses homologues du continent. Son Covid Organics est commercialisé sans avoir été testé et Lucile Cornet-Vernet, tout en reconnaissant son « courage politique », prend prudemment ses distances.
D’autres pays se montrent aussi ouverts à la proposition. En République démocratique du Congo (RDC), son vieux complice, le docteur Jérôme Munyangi, est de nouveau le bienvenu. Contraint de fuir son pays en 2019 après avoir subi arrestations et violences du fait de ses recherches sur l’artémisia, le chercheur a rejoint l’équipe chargée par le président Félix Tshisekedi de conduire la riposte contre le Covid-19. Il participe aux discussions avec le bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Brazzaville sur le protocole de l’étude clinique qui doit être menée pour confirmer l’efficacité de l’infusion.
Reste à trouver l’argent. En France, une opération de financement participatif (crowdfunding) est portée par le footballeur Claude Makelele pour contribuer à rassembler les 2 millions d’euros nécessaires. « C’est beaucoup et peu au vu de l’enjeu, relativise Lucile Cornet-Vernet. L’avenir, je ne le connais pas. Mais quoiqu’il arrive, nous aurons réussi à faire avancer notre cause. »