Communiqué final sanctionnant la retraite sénatoriale tenue au Grand Séminaire Jean-Paul II en province de Gitega 

Gitega, Grand Séminaire  Jean Paul II, 30-31 Juillet 2020
 
1. En dates des 30 et 31 juillet 2020, le Sénat de la République du Burundi  a organisé une retraite sénatoriale au Grand Séminaire Jean Paul II en province de Gitega.
 
2. Les travaux de cette retraite sénatoriale étaient dirigés par Son Excellence  Révérien NDIKURIYO,  Président du Sénat de la République du Burundi.
 
3. Cette retraite sénatoriale a connu la participation des Honorables Sénateurs élus en 2015, ceux élus le 20 juillet 2020, les députés élus le 20 mai 2020, les représentants du Gouvernement, les commissaires membres de la Commission Vérité et Réconciliation et les représentants de la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme.
 
4.  Le thème de cette retraite sénatoriale est « La réforme administrative du 21 août 1925 au Burundi et ses conséquences :  Actions à mener pour faire face aux conséquences politiques, économiques et sociales ».
 
5. Après les cérémonies d’ouverture, cinq exposés ont été présentés successivement par :
Docteur Jean Bosco Manirambona, « les aspects historiques et anthropologiques de la réforme administrative du 21 août 1925 : conséquences et actions à mener »;
Doctorant Aloys Batungwanayo, « Réforme administrative du 21 août 1925 au Burundi : aspects internationaux » ; Docteur Elias Sentamba, « les aspects politiques et sociologiques de la réforme administrative de 1925 » ;  Professur  Léonidas Ndayizeye, « les aspects économiques et sociaux de la réforme administrative de 1925 » ;  Docteur Laurent Nzosaba, « Aspects juridiques de la réforme administrative du 21 août 1925 ».  
 
6. Les conférenciers ont mis en relief de nombreuses conséquences de la loi du 21 août 1925 dans tous les secteurs de la vie nationale. 
 
Sur le plan politique :
 
a) L’ethnicisation de la société burundaise a détruit l’Etat-Nation du Burundi ;
b) La haine intercommunautaire inoculée par les colonisateurs allemands et belges a engendré la déchirure du tissu social et la radicalisation ethnique. La création et l’entretien des identités meurtrières empêchent jusqu’aujourd’hui de bien faire une bonne lecture socio-anthropologique du Burundi qui pourrait régler plusieurs problèmes pour son développement ;
c) Des crises sociopolitiques ont engendré des crimes, l’exil et le sous-développement ;
d) Des fondements culturels, politiques et sociaux qui étaient des piliers de la stabilité du Burundi ont été détruits. Les Barundi paraîtront désormais comme des Bahutu, Batutsi, Batwa et Baganwa qui sont antagonistes. Lors de la lutte pour le recouvrement de l’indépendance, certains partis politiques sous instigation de certains Belges vivant au Burundi portaient la casquette ethnique ; 
e) Les négociations pour la paix et la réconciliation dont le résultat fut la signature de « l’Accord pour la paix et la réconciliation d’Arusha du 20 août 2000 » ont eu comme base, la lecture sociopolitique telle que décrite selon cette loi du 21 août 1925.
 
Sur le plan social :
 
a) Exclusion au fur et à mesure de la mise en application de la réforme administrative du 21 août 1925,  des Bahutu dans tous les secteurs du pays. A la veille de l’indépendance, toutes les chefferies et sous chefferies se retrouvent sous la gouverne des Chefs et sous chefs Baganwa et Batutsi choisis à l’aune de leur fidélité au Roi et surtout à l’autorité belge ;
b) La politique de « diviser pour régner » pratiquée par l’administration coloniale belge a annihilé la cohésion sociale dont jouissait la société burundaise en favorisant les Baganwa et les Batutsi d’une part, et en reléguant au second plan les Bahutu et les Batwa, d’autre part. Ce clivage savamment inculqué a alimenté les conflits qui mineront le Burundi post-indépendance.
Sur le plan juridique :
a) Les « bagabo » et les «  bashingantahe » qui traditionnellement garantissaient la justice et l’harmonie sociale ont été  mis aux rencarts. 
b) Les Bahutu furent exclus de l’appareil judiciaire alors que dans  la tradition,  ils  participaient à l’administration de la justice au même titre que les Batutsi. L’exclusion perdurera à cause de leur exclusion de la « section admininstrative » du Groupe scolaire  et administratifs  d’Astrida qui formait les premiers cadres administratifs et juges burundais durant l’administration belge ;
c) Le Mwami fut privé des prérogatives constitutionnelles de nommer discrétionnairement les chefs coutumiers et de rendre la justice en dernier ressort. Il fut soumis au contrôle du résident et même réduit au titre d’assesseur ;
d) L’administration belge, en collaboration avec les missionnaires catholiques, belge s’est arrogé le droit de déterminer la coutume applicable. Certaines coutumes étaient susceptibles d’être écartées parce qu’elles étaient jugées « barbares » par les colonisateurs. Des peines cruelles, inhumaines et dégradantes furent introduites comme peines disciplinaires telles  le fouet et la prison. Le fouet fut administré avec tellement de cruauté qu’une grande partie de la population fut obligée de prendre le chemin de l’exil ; 
e) La peine de prison  fut appliquée dans des conditions inhumaines à telle enseigne que certains prisonniers en sont morts. 
 
Sur le plan économique :
 
a) Paupérisation de la population burundaise en général suite aux travaux forcés entraînant des mouvements de migration vers les pays étrangers, notamment en Uganda ;
b) Plus particulièrement, faible revenu chez les Bahutu, car exclus de l’administration, du système éducatif et du judiciaire, les hutu n’intervenaient  que comme travailleurs dans les champs coloniaux et des chefs et sous -chefs  
 
7. Après échanges et débats, les participants à la retraite ont adopté les recommandations suivantes pour faire face aux conséquences politiques, économiques, juridiques et sociales de la réforme administrative du 21 août 1925.
 
1. Au Gouvernement de la République du Burundi
 
a. Faire des recherches approfondies, systématiques et multidisciplinaires sur le passé du Burundi pré- colonialpour connaître les valeurs philosophico-culturelles grâce auxquelles le Burundi a été un Etat-Nation souverain et digne de ses fils et filles ;
b. Organiser les Etats-généraux de la  culture pour restaurer l’âme du Burundi détruite par les colonisateurs et les missionnaires  pour  permettre aux Barundi  de se relever et de s’orienter objectivement et efficacement et de manière durable ;
c. Demander, par voie diplomatique ou via un tribunal compétent en la matière, à la Belgique et à l’Allemagne, et à ceux qui leur ont servi de bras droit dans la conquête du Burundi, à sa soumission et à l’élaboration de son système de gouvernance, la reconnaissance du tort causé au peuple burundais et exiger sa réparation tant morale, financière et matérielle ; 
d. Restaurer et introduire dans l’éducation des enfants et dans la gestion du pays des valeurs obligatoires grâces auxquelles l’on peut retrouver l’unité et la cohésion nationale ainsi que le sens du travail (Ubuntu, iteka, ubupfasoni, ibanga, ubugabo/ubushingantahe, ukuri, ijambo, umuntu n’uwundi, etc.) ;
e. Envisager un plan global d’harmonisation sociale pour résoudre à jamais la radicalisation ethnique, cause récurrente de l’instabilité nationale et de manipulation étrangère. 
f. Exiger des réparations à tous les responsables de la colonisation et de la réforme administrative belge ;
g. Rehausser au rang des héros et Primer officiellement Inamujandi Mucacuzi et Runyota Kanyarufunzo pour leur rôle  joué dans la défense de la souveraineté nationale sous l’administration belge au Burundi ;
h. Elaborer une carte culturelle (des sites culturels et historiques) du Burundi pour que les responsables politiques burundais à tous les niveaux, ainsi que les élèves et les étudiants visitent régulièrement ces sites pour s’imprégner du passé de notre pays;
i. Mettre en avant la bonne gouvernance axée sur la méritocratie pour que  le «  problème ethnique » et le « divisionnisme » de toute nature se décantent d’eux-mêmes ;
j. Inculquer les principes de bonne gouvernance (méritocratie, Etat de droit, démocratie, etc.) à la jeunesse à travers l’enseignement, du fondamental au supérieur ;
k. Engager un procès contre l’Allemagne pour établir ses responsabilités dans l’assassinat de  BIHOME et exiger des réparations ;
l. Organiser une retraite à l’intention des diplomates accrédités au Burundi, des diplomates burundais accrédités à l’étranger et des représentants des confessions religieuses pour avoir une même lecture de l’histoire coloniale du Burundi ;
m. Etablir équitablement les responsabilités en identifiant les personnes de références positives et les responsables des différents crimes qui ont endeuillé le Burundi ;
n. Mettre à la disposition de la Commission Vérité et Réconciliation le rapport final sur les motivations, les faits et les effets de la réforme administrative du 21 août 1925 au Burundi ;
o. Initier rapidement mais efficacement, des projets de développement de grande envergure pour éradiquer ou tout au moins diminuer le degré de pauvreté de la population, étant donné qu’une pauvreté accrue est un autre facteur de violence. Le développement du secteur privé devrait ici être mis à contribution dans ce sens. Une certaine complicité entre le pouvoir et le milieu des affaires devrait aboutir à un secteur privé fort et résilient, compétitif et efficient ;
p. Observer l’Accord d’Arusha pour la paix et la Réconciliation et l’Accord Global de Cessez-le-feu  comme piliers encore nécessaires  de l’unité nationale dans une phase de transition de mise en œuvre des projets de développement, structurants et inclusifs à tous les points de vue,  tout en privilégiant le principe de la méritocratie dans tous les secteurs de la vie nationale.
 
2. A l’endroit de l’Allemagne et la Belgique
 
a)  Envisager la réparation :
 – morale en demandant pardon au peuple burundais ;
 – financière pour l’injustice, les morts, les confiscations et les destructions imposées au peuple burundais et au Burundi ;
 – matérielle par des contributions à la construction des ouvrages d’intérêts pulics (écoles, hôpitaux…) dans des endroits ayant été touchés par les corvées, le portage, la déportation des hommes, et souvent des femmes et des enfants, dans la guerre et autres travaux d’intérêt colonial ;
b) Fournir les chiffres exacts des Barundi péris sur le champ de bataille en tant que porteurs lors de la première guerre mondiale ;
c) Fournir les chiffres exacts des victimes qui ont péri en tant que porteurs des premiers envahisseurs allemands ;
d)  Contribuer financièrement à écrire un manuel scolaire incluant l’histoire coloniale et l’histoire des conflits au Burundi depuis l’époque coloniale jusqu’aujourd’hui ; 
e) Participer financièrement dans l’organisation des débats au niveau national autour de la question des ethnies au Burundi pour recueillir les points de vue des Barundi afin d’avoir des idées qui peuvent aider dans l’adoption des politiques publiques mettant en avant l’harmonie de la société burundaise ;
f) Mettre dans leurs curricula à enseigner depuis l’école primaire jusqu’à l’université, l’histoire coloniale du Burundi.
 
3. Particulièrement à l’Allemagne
 
a) Envisager la réparation, particulièrement pour le tribut de 424 vaches imposé arbitrairement au Roi et  au peuple burundais, évaluées en 2018 à environ 43 milliards de dollars américains (valeur de 1903 à 2018) ;
b) Créer un cadre de discussion (Burundi-Allemagne) pour l’identification et le rapatriement des archives sur le Burundi.
 
4. A l’endroit du Royaume de Belgique en particulier
 
a) Créer un cadre de discussion (Burundi-Belgique) pour l’identification et le rapatriement des archives sur le Burundi; 
b) Mettre ensemble des chercheurs (Barundi, Belges, Allemands) pour étudier la question des ethnies au Burundi « décrétées par le Roi Belge) ; 
c) Former une commission qui étudiera la manière dont le Burundi pourra déconstruire la réalité sociale sur les « ethnies » telle que conçues par les missionnaires catholiques et mises en exécution par les Belges au Burundi ; 
d) Mettre en place une commission multidisciplinaire pour faire une recherche sur tous les textes promulgués sous la colonisation mais toujours en vigueur au Burundi, pour en étudier la pertinence afin de voir si le Burundi en a toujours besoin ; 
e) Aider dans la reprise du procès de Inamujandi, Runyota et consorts ;
f) Aider et coopérer dans la reprise du procès Rwagasore avec les archives du parquet de Bruxelles sur l’assassinat de Rwagasore pour non seulement connaître les auteurs de ces crimes mais aussi connaître les mobiles du crime ;
g)  S’engager à enseigner l’histoire coloniale en Belgique de l’école primaire à l’université ;
h) Coopérer (Sénat) sans faille avec la Commission Vérité et Réconciliation « CVR » du Burundi
i) Accepter de co-organiser des fora internationaux dans le but de la déconstruction sociale de la réalité ethniciste et ethnicisante .
 
5. A l’endroit des Etats-Unis d’Amérique
 
a) Reconnaître  tous les torts causés par la Convention de cession du Burundi au Royaume de Belgique après la première guerre mondiale ;
b) Entreprendre des discussions profondes avec le gouvernement burundais   pour vider cette question du passé douloureux ; 
c) Donner et faciliter le rapatriement de toutes les archives qu’ils détiennent sur le Burundi ;
d) Demander officiellement pardon au peuple Barundi. 
 
6. A l’endroit de l’Eglise Catholique
 
a) Coopérer avec le gouvernement du Burundi dans la collecte et rapatriement des archives gardées au Vatican et ailleurs ;  
b) Reconnaître que les premiers missionnaires catholiques ont participé à la création  des identités ethniques dont  les conséquences ont été meurtrières;
c) Reconnaître que les missionnaires catholiques ont détruit sciemment les sites mémoriels du pouvoir royal et demander à l’église catholique de remettre au Gouvernement du Burundi les sites mémoriels comme Mugera, Bukeye, Kibumbu….
d) Demander formellement le pardon au peuple Barundi  et réparer les torts causés au Barundi.
 
7. A l’endroit des Nations- Unies
 
a) Reconnaître le tort causé par leur manque de suivi- évaluation dans l’accomplissement du mandat et de la tutelle accordés à la Belgique sur le Burundi ;
b) Donner et faciliter le  rapatriement des archives sur le Burundi qu’elles détiennent  et demander pardon  pour les dommages causés par ce manque de suivi.
 
                                      Fait à Gitega, le 31 Juillet 2020
 
                                       Le Sénat du Burundi