Le Burundi vient d’avancer d’un pas de géant dans son processus d’ancrage de la démocratie. Les récentes élections de mai 2020 qui ont conduit à un transfert de pouvoir pacifique et démocratique, ont confirmé une stabilité et maturité politique des burundais en général dans la gestion des affaires publiques.
Mais on sait aussi que dans cette démarche de revigorer sa démocratie, le Burundi s’est toujours heurté à des obstacles. Il est évident que les sanctions prises unilatéralement par l’Union européenne et les Etats unis et qui pèsent toujours sur le Burundi, freinent considérablement les efforts entrepris par le gouvernement nouvellement investi il y a à peu près quatre mois. Il y a aussi cette réalité d’une minorité directement liée à l’ancien régime ou tout simplement des opposants radicaux encore influents tant à l’intérieur du pays qu’à l’international.
Ces deux phénomènes sont étroitement liés puisque les sanctions sont bien souvent la conséquence des rapports établis sur base d’une situation souvent mal jugée et orientée par des organisations internationales ayant à leur sein des opposants radicaux et néocolonialistes (et leurs alliés) sous différentes formes. D’ailleurs la nomination en septembre 2020 de la burundaise Katty Nivyabandi, qui s’est beaucoup fait remarquer dans les violentes manifestations de 2015, comme secrétaire général d’Amnistie Internationale Canada n’est pas du tout à rassurer quant à la qualité des rapports ultérieurs sur le Burundi. Avec cette tète au sommet, et sans pour autant tomber dans un procès d’intention, le Burundi n’aurait-il pas raison de prétendre savoir déjà avec quelle sauce il sera bientôt mangé ? Un autre exemple parmi tant d’autres qui existent est celui de Pierre Buyoya, l’ancien dictateur burundais. Celui que les burundais appellent « Gustave » par allusion de cet animal
dangereux des eaux du lac Tanganyika mais aussi » master mind des putsch » par son profil de putschiste multirécidiviste, Pierre Buyoya vient d’être condamné à perpétuité par la Cour Suprême du Burundi pour avoir commandité un putsch en 1993 au cours duquel un président élu a été décapité et certains de ses collaborateurs lâchement tués. Un ouf de soulagement pour les victimes, après 27 ans de souffrances dues à cette barbarie inouïe (On y reviendra).
Basé au Mali et profitant de son statut de Médiateur et représentant de l’Union Africaine pour le Mali et le Sahel, Pierre Buyoya enchaine des
rencontres de haut niveau. Sa récente visite au sein de la francophonie n’est pas passée inaperçue pour les observateurs s‘intéressant à la géopolitique en général mais plus particulièrement au développement du processus démocratique au Burundi.
La visite avait officiellement pour objectif de parler sur la transition au Mali et la situation politique en Afrique de l’Ouest. Un silence tout de même inquiétant sur la politique de l’Afrique de l’Est pourtant riche en événements avec par exemple les élections prochaines en Tanzanie. Cela pourrait traduire le discrédit et le malaise au sein des organisations internationales représentées par des personnalités aux profiles fortement contestés dans cette région de l’Est et par conséquent incapable de parler ouvertement des questions de leur région. Et ce n’est surement pas le fait de recevoir Pierre Buyoya qui est visé par un mandat d’arrêt international , que la francophonie va remonter son crédit (ou plutôt celui de sa représentante) dans ses objectifs de promouvoir les valeurs de démocratie.
Le stratagème « souffler le froid et le chaud » a-t-il fait son temps?
On reconnait le dictateur Pierre Buyoya de par sa stratégie de partir sans jamais être réellement parti. D’un côté, il fait un semblant d’adhésion à ce courant populaire et utilise son influence pour créer souterrainement les conditions de son échec de l’autre côté. Cette technique devenue
obsolète avait pourtant fait ses preuves deux fois consécutives que ce soit en 1993 ou en 1996 où le même Pierre Buyoya avait quitté le pouvoir avant de revenir par putsch. Ce n’est donc pas étrange de le voir s’être opposé au président Pierre Nkurunziza ( et ceux qui l’entouraient) et en même temps s’en presser à afficher un optimisme dès l’arrivée au pouvoir du nouveau président du Burundi le General Major Evariste NDAYISHIMIYE(l’héritier) à l’issue des élections de mai 2020. S’exprimant sur le micro de RFI dans sa publication du 18 juin 2020 ,l’ancien putschiste et actuel haut représentant de l’union africaine pour le Mali et le Sahel, s’est réjoui d’un « nouveau président qui a été un acteur
majeur du processus des accords d’Arusha (Tanzanie) et capable de rassembler « .
Par la même occasion, Pierre BUYOYA, l’un des commanditaires de l’assassinat du président NDADAYE Melchior, a exprimé son envie de rentrer dans son pays le Burundi qu’il dit avoir quitté depuis plus de 5 ans. Un analyste politique avec qui j’ai pu m’entretenir, m’a confié être très embêté par ce discours « flatteur » d’un ancien putschiste qui n’a cessé de diaboliser le pouvoir et dont le rapport avec la démocratie a toujours été dangereux. » Quand on a été putschiste pendant toute sa vie, ce n’est pas en vieillissant que l’on devient démocrate ». A-t-il ajouté. Sa candidature à la tête de la francophonie en septembre 2014 avait relancé et accru sa visibilité. Le désormais fonctionnaire de l’union africaine devrait alors affronter un double challenger. Celui de concilier ses antécédents (sans doute gênant) et ses grandes ambitions. S’expliquer sur son statut de putschiste était alors un passage obligé pour rassurer sur cette candidature qui avait d’ailleurs suscité beaucoup de polémiques. Sur son statut de putschiste dans différents médias notamment sur média-part, il répondait avec enthousiasme: « Ce qui compte vraiment n’est pas comment on accède au pouvoir mais ce que l’on en fait ».
Mais derrière cette conception très réductrice d’un ancien putschiste, se cache en réalité un mépris envers la légitimité par élections. C’est d’abord une conception du pouvoir qui contraste à celle des démocraties actuelles en général et celle de la majorité des burundais en particulier convaincus que ceux qui prennent le pouvoir démocratiquement ont tendance à l’exercer en respectant ses règles. Pourtant dans toute démocratie digne de soi, accéder au pouvoir doit passer obligatoirement par les urnes. Dès lors seules les prochaines élections viendraient sanctionner ce que l’on aurait fait du pouvoir.
Par ce raisonnement qui place au second rang l’accession au pouvoir par les élections, Il est évident que l’ancien putschiste récidiviste Pierre Buyoya est toujours dans la logique de légitimation des coups d’Etats et cela fait de lui quelqu’un de potentiellement dangereux pour le processus démocratique au Burundi et même dans la région. Mais le plus inquiétant encore est que cette vision d’un ancien dictateur (encore influent) est encore présente chez certains burundais qui ont vu leur espoir de retour au pouvoir s’effacer par l’avènement des élections. Dans son ouvrage intitulé « DEMOCRATIE A L’EPREUVE « , l’ancien ministre des relations extérieures et de la coopération internationale du Burundi (2011-2015) Ambassadeur Laurent KAVAKURE y expose comment le Burundi se bat tant bien que mal pour solidifier sa démocratie mais que ce combat n’est pas gagné d’avance vu le profil complexe des acteurs mais surtout de ceux qui sont très hostiles au concept « démocratie ».
En définitive, les burundais ne devraient pas avoir peur. Toutes les tentatives de déstabilisation par cette minorité radicale ou leurs marionnettes n’ont jamais abouti. Elles ont au contraire abouti systématiquement aux échecs cuisants et à l’affaiblissement de ces dernières. Mais il ne faut pas non plus perdre de vue le degré de nuisance que (peux)représente(r) cet ancien dictateur et son réseau. S’il veut sereinement tenir le cap du processus démocratique, le pouvoir actuel doit rester très prudent envers ce putschiste condamné/visé par un mandat d’arrêt international et qui ne manquerait aucune occasion pour intenter ou soutenir tout ce qui lui permettrait d’assurer son impunité.
Par F. Mazambo