13 February 2017 13:32 by Rédaction d’Ikiriho
Pourquoi le Président du Burundi insiste-t-il sur les travaux communautaires et le sport ? Quels liens entre la construction des écoles et la lutte contre le retour des violences au Burundi ? Quel est le bilan, à l’échelle historique, de ces milliers d’heures passées avec la population à bêcher, creuser, poser des tôles, sous les exclamations indignées de l’opposition ? Pour la toute première fois, le numéro un burundais s’ouvre longuement à un medium privé sur le sujet, et fait part d’une grande finesse dans l’analyse sociale du Burundi profond.
Qu’est-ce qui explique le poids prépondérant des travaux communautaires dans votre agenda politique sur ces onze dernières années ?
Il y a trois objectifs principaux derrière ce programme. Mais avant tout, il faut rappeler que les travaux communautaires ne datent pas de notre mandature. Dans le Burundi monarchique, ils existaient, notamment sous l’appellation d’ikibiri, avant de devenir ikiboko sous la colonisation. Plus tard, sous la dictature de Micombero à Buyoya, les habitants étaient envoyés chaque samedi pour des travaux d’intérêt public. Ces derniers se faisaient en l’absence des chefs. Aujourd’hui, c’est très différent : notre organisation des travaux communautaires vise premièrement le changement des mentalités. Si vous appelez la population à travailler, vous devez être le premier à suer. Un bon dirigeant donne l’exemple. Les leaders politiques, les chefs de zone, de colline, les administrateurs communaux et les élus, les ministres, policiers et militaires, ceux qui ont fait l’université ou les hommes d’affaires doivent être les premiers à servir. Chacun apporte ce qu’il a : c’est l’unité du Burundi en action.
Le deuxième objectif …
Il est intimement lié au premier. La présence des élites politiques, financières et intellectuelles comme modèle dans les travaux communautaires décuple la force de la population. Si nous, en tant que Président de la République, nous passons une heure à mélanger le gravier pour une école ou un centre de santé dans une commune donnée, les habitants de cette localité vont y passer neuf heures de plus… Les Burundais sont exigeants : quand ils constatent qu’il n’y a pas d’exploitation, que vous faites ce que vous dites, alors ils se joignent à vous. C’est cette ambiance sociale qui cimente l’appropriation par la population du développement. Et les fruits des travaux communautaires prouvent l’énergie des habitants: la construction d’écoles primaires, secondaires et universités, villages modernes, des routes, les églises et mosquées, les bureaux des administratifs, les homes pour les enseignants, infirmiers et sinistrés, les adductions d’eau, le traçage des courbes de niveau, la production des pépinières, et même désormais des extensions des camps militaires ou certains postes de police.
Le Président Nkurunziza lors des travaux communautaires au Stade de Kugasaka ka Inarunyonga
Tous les projets de développement visent justement cet objectif …
Oui, et nous y sommes parvenus sur ces sept dernières années. Pour les Burundais, les écoles qui ont été construites lors des travaux communautaires, ou les centres de santé ne sont plus des infrastructures de l’État ou des « abategetsi », mais des biens communs. Prenez le temps de vérifier : toutes ces infrastructures publiques construites sont inscrites au nom des populations locales. Dans le passé, quand la population était en colère, les écoles étaient détruites, les routes coupées. Mais aujourd’hui, il est difficile de détruire une classe pour laquelle toi, ton épouse, vos enfants et parentés avez dépensé des heures de labeur ou votre argent, lequel établissement est d’ailleurs fréquenté par votre descendance.
Troisième objectif des travaux communautaires ?
Les travaux communautaires nous ont permis de transformer la densité de la population burundaise en moteur de développement. Comme cela a été pour la Chine, nous devons profiter de notre forte démographie comme un atout, au lieu d’être un handicap. D’ailleurs, les travaux communautaires sont une occasion extraordinaire de diffusion et d’apprentissage des métiers: les femmes qui avaient peur de la maçonnerie montent sur les chantiers, les jeunes burundais apprennent à installer des pépinières, des sexagénaires s’exercent à mélanger le gravier, etc. Et à la fin des travaux communautaires, ces métiers deviennent autant des sources de revenus. C’est aussi un canal qui facilite la socialisation et réduit les complexes de genre ou d’âge : la vieille maman qui avait peur de sortir de sa maisonnette apporte une brique et se sent utile à la commune, garçons et filles participent mêmement à la pose de la dalle ou à tracer les routes.
Ces travaux communautaires vous permettent aussi de savoir les préoccupations de la population…
Avant que nous ne les sachions, ce sont d’abord les voisins qui échangent sur les problèmes de leurs communautés. Celui qui a une parenté malade, qui veut reconstruire ses latrines ou lancer un champ de fruits partage son idée et l’entourage lui vient en aide. Pour les responsables politiques, les travaux communautaires servent alors d’occasion pour évaluer régulièrement l’état des besoins de la population, et les réponses que le gouvernement peut y apporter.
[©Ikiriho Press Group] – Le Président Pierre Nkurunziza en train de revoir le texte de l’interview
Vous parliez des travaux communautaires dans le Burundi monarchique. Est-ce que les travaux communautaires ont un lien avec le mouvement coopératif des années de l’Indépendance promu par Rwagasore et ses proches, dont votre père ?
Indirectement, oui. Quand nous avons lancé ce programme il y a huit ans, nous avons constaté que l’efficacité dans la réalisation des taches dépendait d’une bonne organisation des ressources humaines. Si vous appelez la population d’une commune à construire une école, et que 3.000 personnes se présentent en même temps, vous n’allez pas réaliser grand-chose sur le court terme. Il faut donc répartir la population en horaires, et diviser les milliers de bras en équipes de travail selon les collines, par exemple. Tel jour, telle colline, telle tache… Au bout de quelques mois de travail émergent simultanément des mouvements associatifs par colline, qui continuent de travailler même en dehors des projets communaux. C’est ce mouvement associatif que nous voulons transformer en coopératives de développement.
Pensez-vous que ce mouvement associatif que vous initiez participe à éviter le retour de la violence de masse surtout en milieu rural, comme le craignent certains ?
Évidement. Dans certaines communes, les travaux communautaires se font désormais quotidiennement. Plus vous passez des heures ensemble sur des chantiers ou dans les champs, plus vous communautarisez les problèmes de chacun, indépendamment de “l’ethnie” ou de la richesse. Si quelqu’un est malade, ou est absent sur une longue période, ses voisins le remarquent et viennent s’enquérir de la situation. Les associations cimentent alors la cohésion sociale, et font que toute menace contre un membre devienne celle de toute la communauté. Vous le voyez d’ailleurs avec certaines régions du Burundi actuellement touchées par la sécheresse: les communes ou les provinces avoisinantes envoient spontanément de l’aide. A l’échelle historique, les causes réelles des violences de 2015 sont celles des crises de 1961, 1965, 1972, 1988 ou 1993. Mais comme les travaux communautaires ont changé la compréhension de la politique des Burundais, surtout dans les milieux ruraux, la violence n’a pas pris.
Comment expliquez-vous ce refus de la violence ?
La violence est l’expression du désespoir. Or les travaux communautaires rappellent, surtout dans le milieu rural, qu’aucun Burundais ne peut désespérer tant qu’il est parmi les autres. En kirundi, on dit « Umutwe umwe ntiwigira inama ». Plus nous avons renforcé les travaux communautaires, plus nous éloignions les tentations de désespoir, surtout dans ces milieux ruraux profondément traumatisés par les différentes crises et sous la pression des conditions de vie encore difficiles. Les travaux communautaires sont donc une incarnation positive de l’espoir populaire en un lendemain meilleur, une manifestation spontanée pour construire le Burundi. C’est tout l’opposé des actes de destruction des routes ou des infrastructures publiques que nous avons vu en 2015. Et ce n’est pas surprenant que les violences de 2015 aient éclaté dans certaines localités de Bujumbura, une ville longtemps restée sourde à notre invitation aux travaux communautaires.
Lors d’un match de foot au Stade de Buganda, en province Cibitoke
En plus des travaux communautaires, vous insistez également sur les activités physiques et sportives. Pour quelles raisons ?
Ce n’est pas simplement parce que notre formation universitaire est dans ce domaine, mais parce que la bonne condition physique de la population favorise son rendement, et ceci sur plusieurs plans. A l’échelle communautaire, peu de pays au monde sont autant sportifs que les Burundais, que ce soit à Bujumbura ou sur nos collines. Le sport favorise l’esprit d’équipe et de partage, et vient compléter les liens de fraternité nés à travers les travaux communautaires. Le sport dont nous parlons va bien au-delà du football. C’est aussi l’athlétisme, les courses à vélo, les clubs de marcheurs, de natation, ou de jeux sur le sable, le gym tonic, le basket et le volley-ball… le tout couplé à des activités culturelles comme le tambour et les danses traditionnelles. Le sport change les mentalités des Burundais et contribue à la bonne santé de la population.
Vous n’hésitez pas d’ailleurs à inviter les Burundaises à s’investir dans le sport, comme les honneurs nationaux accordés à Francine Niyonsaba?
Durant les compétitions sportives entre communes, les filles constatent qu’elles ne peuvent pas courir en pagnes ou robes, et apprennent à porter des shorts de course. Ce qui participe à réduire les complexes : les Burundaises qui avaient peur de porter des pantalons ou des shorts pour éviter des commérages s’affranchissent. De même, les joueurs de foot apprennent à porter des souliers, des jerseys, etc. Et puis, le sport apporte de la joie sur nos collines. Le quinquagénaire qui joue au foot contre un adolescent se sent valorisé, rayonne de joie quand on l’applaudit pour son jeu de jambes. Ces joies individuelles maintiennent la vie au sein des communautés rurales qui ont longtemps vécu dans la torpeur de la colonisation, puis de la dictature politique.
Parlons du bilan des travaux communautaires…
Avant cela, nous voudrions souligner l’interconnexion entre les travaux communautaires et les activités sportives, en termes d’émulation et de renforcement de la cohésion sociale. Ce qui facilite notamment le travail des comités mixtes de sécurité : ceux qui se marginalisaient selon leur ethnie, leur sexe ou le niveau de vie comprennent qu’ils sont tout autant valables en tant que membre de la communauté que toute autre personne. Et cela réduit l’insécurité ou les risques du retour à la violence. Pour ce qui est du bilan maintenant, de 1961 à 2007, il y avait 1.900 établissements d’enseignement au Burundi, du primaire à l’université. Mais de 2007 à 2016, ce sont plus de 5.200 nouveaux établissements qui ont été construits. Sur neuf ans, il y a eu trois fois plus d’écoles construites que sur 45 ans. La question qu’on peut se poser est : que serait devenu le Burundi si nous avions maintenu cet élan depuis l’indépendance ?
Le bilan, c’est aussi au niveau des infrastructures sportives…
En 2003, nous avions un seul stade capable d’accueillir 10.000 spectateurs, construit par l’État. Sur les neuf dernières années, nous avons plus de 13 nouveaux stades avec cette capacité ou plus, et 7 sont en cours de construction, toujours lors des travaux communautaires. D’ici 2020, les Burundais auront une vingtaine de stades. Nous parlions des liens entre travaux communautaires et mouvement associatif : il y a une douzaine d’années, le Burundi comptait moins d’une dizaine d’universités. Mais depuis, les associations des natifs des différentes provinces et communes burundaises ont érigé plus de trente établissements universitaires, en plus des centaines de centres de santé, hôpitaux, marchés, villages modernes et bureaux des administratifs, des centaines d’adductions d’eau, ou encore des églises et des mosquées. Chaque province, chaque commune pense à son développement, à son image, à son prestige, et la population n’a plus peur d’envisager la construction des bureaux du gouverneur sur 4, 5 niveaux. Comment ne pas y voir un formidable changement des mentalités ?
Inauguration d’un centre de santé construit par la population de Buye
Justement, en parlant de bilan : l’opposition vous reproche de manquer de stratégie dans les travaux communautaires. De nombreuses écoles sont sans matériel didactique, tandis que les centres de santé n’ont pas d’électricité… Ne fallait-il pas commencer par chercher le contenu avant de construire le contenant ?
Non. L’important, c’est d’abord l’infrastructure. Rien ne sert à acheter une voiture si tu n’as pas de route. Quand tu as déjà les murs des classes, les cahiers et les pupitres suivent. En plus de la gratuité scolaire, le ministère de l’Éducation vieille à ce que ce qui manque à nos écoles soit progressivement fourni, en guise de reconnaissance aux populations qui ont construit les écoles lors des travaux communautaires. Tout se fait étape par étape. Nous avons maintenant les infrastructures, il reste à compléter le matériel et améliorer la qualité des enseignants, tout en créant des conditions de marché pour absorber la main d’œuvre que nos écoles et universités vont produire.
Donc, après la pose des infrastructures, vous en êtes au matériel…
Par rapport à notre vision, nous en sommes à la qualité. La paix et la stabilité font que les demandes de la population évoluent : les priorités pour la population maintenant, c’est l’électricité pour développer les métiers, une agriculture suffisamment productive pour favoriser l’exportation, la jeunesse qui a envie d’entreprendre, etc. Ce qui n’était pas le cas il y a une dizaine d’années. Les dividendes de la paix, c’est la qualité de la vie du peuple : qualité des routes, de la santé, de l’éducation, de l’alimentation, de l’habillement, des services.
Jusqu’ici, vous nous avez expliqué comment les travaux communautaires “changent et apaisent le Burundi”, surtout en milieu rural. Quelle influence ont-ils sur l’élite burundaise ?
Les recherches faites sur les freins du développement en Afrique montrent que l’une des causes principales est la cassure entre les élites financières et intellectuelles d’une part, et les populations rurales dont elles sont issues d’autre part. Ici au Burundi, on a longtemps dit que « Uwukize akira isuka kandi akira iwabo ». Nous avons changé l’adage : « Uwukize akiza iwabo ». Avant, le meilleur signe de la modernité était de s’éloigner des siens. Il fallait casser cela, car tous les pays développés sont partis de l’inverse : aujourd’hui, le riche et le mieux formé sont tous au service des communautés moins nanties. Dans un pays fortement rural comme le Burundi, les collines d’origine des élites gardent une grande place symbolique. C’est de là que nous avons reçu l’éducation qui fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Notre enfance a coûté cher aux enseignants, aux pasteurs ou prêtres, aux voisins, aux médecins, aux agronomes, l’administration qui se sont donnés pour que nous grandissions. Il y a une dette morale que nous avons tous contracté lors de notre jeunesse. C’est pourquoi donc le premier signe de l’amour pour la patrie doit se traduire par le retour sur nos collines d’enfance. Les élites deviennent alors un investissement pour les populations rurales, et vont devenir des modèles et références pour les générations futures.
[©Ikiriho Press Group] – Beaucoup de passion chez le Président Pierre Nkurunziza, quand il parle des “changements historiques du Burundi induits par les travaux communautaires” à la Directrice d’Ikiriho, Mme Médiatrice Barengayabo
Finalement, les travaux communautaires se révèlent un outil politique qui lie les élites et le peuple, ce dont rêve tout pouvoir…
Le meilleur moyen d’évaluer la réussite de notre projet, c’est de considérer la situation du Burundi par rapport au contexte global. Avec 2015, certains ont cru que notre pays tomberait parce qu’ils nous privaient de l’aide. Pourtant, Dieu merci, nous sommes toujours debout. Le peu que les Burundais ont, ils le partagent sans rancune, en sachant que nous sommes tous complémentaires comme le sont les habitants d’une colline qui construisent une école lors des travaux communautaires. La population sait maintenant que si elle ne donne pas sa taxe, le militaire ne sera pas payé, et l’enseignant désertera ses classes. Et ces taxes reviennent au peuple sous différentes formes : gratuité des soins de santé pour les femmes qui accouchent et les enfants de moins de 5 ans, l’investissement dans l’école primaire, la subvention du carburant et des engrais chimiques, l’appui en ciment, tôles, fers à béton aux constructions et des aides diverses en cas de catastrophes.
Dernière question, Monsieur le Président : demain, c’est la Saint-Valentin… Une image, un mot pour nos lecteurs ?
Nous profitons de cette occasion pour leur souhaiter une heureuse journée de célébration de l’amour, sous toutes ses formes. Mais avant tout l’amour de Dieu, comme le statue le premier des Dix Commandements. Que la journée soit aussi une occasion de renforcer l’amour entre Burundais, et au sein de nos familles et de nos couples. Même si c’est une journée symbolique, j’aurais aimé voir mes parents célébrer à deux la Saint-Valentin de ce mardi 14 février 2017. Mais mon père n’est plus. Mes pensées vont à tous ces Burundais qui sont passés par des moments durs semblables. Par ailleurs, il ne faut pas non plus que la Saint-Valentin soit une occasion de poser des actes qui vont en dehors des valeurs bibliques, comme l’ivrognerie ou la débauche.