Vous êtes nouveau à la tête de cette province, quels sont vos projets ?
Nous voulons changer l’image de la province Kayanza. On est d’ailleurs déjà à l’œuvre. Depuis mon arrivée au mois de juillet, pour résoudre le problème de l’exiguïté des terres, nous avons invité la population à mettre en commun les terres cultivables. Aujourd’hui, cela ne constitue pas un problème. Chaque cultivateur garde sa portion. Nous cultivons une même culture et en même temps. Le premier résultat est la bonne production de maïs pour la saison A. Avec cette pratique, on se retrouve en train d’exploiter 80 hectares. Par exemple, le bassin de la Ruvubu s’étend sur 800 hectares. Nous comptons y récolter 4 mille tonnes de riz. Bref, il faut que Kayanza soit une référence.
Est-ce suffisant pour changer l’image de Kayanza ?
Pas seulement ça. J’ai invité les commerçants à mettre les capitaux ensemble. Ils ont commencé. Aujourd’hui, ils totalisent un capital commun de 300 millions BIF. Et le processus se poursuit. Puis, je leur ai proposé de moderniser leurs activités commerciales.
Comment ?
Cinq ou dix commerçants se mettent ensemble. Celui qui a un capital de 100 millions BIF, cherche neuf autres pour totaliser 1 milliard BIF. Ainsi, ils peuvent installer une petite usine de transformation et avoir un bénéfice important, créer de l’emploi. Nous nous sommes d’ailleurs convenu qu’ils vont installer des supermarchés. Mon rêve est de faire de Kayanza, un carrefour commercial.
C’est-à-dire ?
Il faut que les provinces Cibitoke, Ngozi, Muyinga, Bubanza… s’approvisionnent chez nous. Car, n’eût-été la guerre consécutive à l’assassinat du président Melchior Ndadaye, Kayanza était un centre commercial important. Il y a eu beaucoup de destructions, des magasins pillés et brûlés. Ainsi, beaucoup de commerçants ont fui vers Ngozi, Gitega et Bujumbura. D’autres sont tombés en faillite. Nous allons donner un nouvel élan au secteur commercial.
Est-ce que cette forte pression démographique ne risque pas d’handicaper votre vision ?
Cette question nous préoccupe. Raison d’ailleurs de la création de la radio communautaire Ubuzima. Elle est chargée de sensibiliser la population au planning familial. Faire plus de dix enfants, c’est dépassé. Il faut trois ou quatre enfants au maximum.
Presque dix mois après les élections 2020, comment se présente la cohabitation politique ?
Elle est très bonne. La sécurité est là et les libertés politiques sont respectées. Aujourd’hui, tous les partis politiques se rencontrent dans les travaux communautaires et de développement.
Kayanza compte combien de sites de déplacés ?
Ils sont neuf : Campazi, Nyarurama, Nyabibuye, Muhanga, Gisara, Gasenyi, Gikomero, Kabuye et Bweranka.
Comment avez-vous accueilli la décision de les transformer en village de paix ?
Cette solution est vraiment bonne. D’après nos échanges avec les occupants des sites de Campazi, Muruta et Muhanga, ils sont eux aussi satisfaits. L’Etat leur a promis des tôles. Beaucoup ont déjà reconstruit les maisons sur leurs collines d’origine. Ils sont prêts à rentrer. Là où le retour ne sera pas possible, on va y intégrer d’autres familles afin qu’ils soient inclusifs et devenir effectivement des villages de paix.
De quoi vit la population de Kayanza ?
Les habitants sont principalement agriculteurs. Il y a presque toutes les cultures vivrières : la patate douce, le manioc, haricot, colocase, etc. Kayanza est, peut-être, la première productrice des oignons et de la pomme de terre. Cette année, il y a eu une grande production des oignons. Malheureusement, nous avons manqué de débouchés. Le prix a sensiblement chuté. Muruta et Kabarore viennent en tête pour la pomme de terre. Pour le maïs, nous avons eu une forte production. Sans doute que Kayanza est la deuxième après Cibitoke au niveau national. Et le prix d’un kg a été fixé à 680 BIF. On cultive aussi du blé, de la banane, des légumes et fruits.
Qu’en est-il des cultures d’exportation ?
Kayanza cultive le café. Il y a aussi le thé dans trois communes : Muruta, Matongo et Kabarore.
Le macadamia est aussi présent dans les champs ?
Nous sommes encore au stade expérimental. Des études sont en cours pour tester cette culture. Aujourd’hui, il n’est pas encore temps de dire qu’elle fait partie de nos cultures d’exportation. Mais, les premiers essais sont promettants. Il peut procurer beaucoup d’argent.
Quelles sont les autres sources de revenus pour votre population ?
C’est surtout le commerce, la fabrication des briques, l’extraction des minerais, etc.
Pour faire le commerce, cela sous-entend entre autres des marchés modernes. L’offre est suffisante?
Beaucoup de marchés modernes ont été construits. D’autres sont en chantier à Matongo et à Gatara. Bientôt, les travaux vont démarrer à Butwe, commune Gatara. Et d’après les résultats de la semaine témoin, il a été constaté que ces infrastructures font rentrer beaucoup d’argent. Et pour le mois de mars, ‘’mois témoin’’, il y aura de nouveaux percepteurs des taxes et impôts dans toutes les communes.
Quid de ce marché moderne de Matongo qui vient de passer des années sans être opérationnel ?
Malheureusement oui. Mais la faute revient aux constructeurs. Ce marché a été installé durant la guerre sans associer les bénéficiaires. En fait, le mieux serait qu’avant d’implanter un projet, il faut d’abord parler, expliquer à la population l’intérêt du projet. Les commerçants l’ont boycotté. Il y a eu même une pression administrative, en vain. Voilà, c’est déjà plus de 20 ans que le marché est inoccupé.
N’est-ce pas une grande perte pour la commune ?
Cela explique que Matongo est dernière en ce qui est des entrées. Elle fait entrer 2 à 3 millions BIF par mois alors que d’autres communes sont dans les dix millions BIF.
De combien d’hôpitaux dispose Kayanza ?
Seulement trois hôpitaux : Kayanza, Musema et Rukago. C’est vraiment insuffisant pour neuf communes. L’hôpital de Kayanza est toujours débordé. C’est pourquoi nous avons bien accueilli la décision d’installer un hôpital par commune. Cela va faciliter la tâche à la population pour se faire soigner.
Quid du secteur éducatif ?
Aujourd’hui, il y a une nette amélioration qualitative. Car, ces dernières années, la province occupait toujours les 8ème ou 9ème place à l’Examen d’Etat. Mais, pour l’édition 2020, les huit premiers sont de Kayanza : cinq du Lycée Kayanza et trois du Lycée Maramvya. Pour 2021, notre but est d’occuper les meilleures places du classement.
Comment comptez-vous y arriver ?
Dans les réunions avec les acteurs de l’éducation, on s’est convenu qu’aucun établissement ne doit être en dessus de 70 % du taux de réussite. Nous avons vérifié s’il n’y a pas d’enseignants qui vivent dans la ville de Kayanza alors que leurs lieux d’attaches sont à Butaganzwa, Kabarore, etc. Nous leur avons recommandé de déménager et d’être tout près du lieu de travail pour respecter scrupuleusement leur charge horaire.
Cependant, le taux d’abandon reste élevé. Exemple de Matongo avec plus de 500 abandons pour le seul premier trimestre.
C’est vrai. Ce n’est pas seulement à Matongo mais aussi à Muhanga. Beaucoup d’enfants abandonnent l’école et partent en Tanzanie à la recherche du travail.
Que faites-vous pour changer cela ?
Nous sommes en train de sensibiliser les parents. Ils doivent suivre leurs enfants. L’école reste la base du développement. Nous sommes aussi en train de combattre les violences sexuelles basées sur le genre en milieu scolaire. Les cas sont nombreux. Tous les suspects sont traduits en justice. Car, ces actes ignobles font partie des causes d’abandons scolaires.
Est-ce que les parents ne seraient pas responsables aussi ?
Ils ont une part de responsabilité. L’éducation parentale n’est plus stricte. Mais, cela fait partie des conséquences de la guerre qu’a connue le pays. Certaines valeurs culturelles ont été affectées. Même les enfants ne respectent plus les conseils des parents.
En 2020, aucun cas de feux de brousse signalé dans la Kibira, partie Kayanza. Pourquoi ?
En fait, ces feux étaient beaucoup provoqués par des Batwa à la recherche du miel sauvage. Ils s’y rendaient pour couper des bambous ou chercher du bois de chauffage. Aujourd’hui, des forces de l’ordre et de sécurité veillent sur ce patrimoine. Et les administratifs à la base ont été sensibilisés.
Quelles sont les autres actions en cours pour protéger l’environnement ?
Beaucoup d’arbres ont été déjà plantés. La priorité est accordée aux collines qui étaient presque déboisées. Cas de Ku Mukinya, ‘’mont’’ Gatara, etc. Pour protéger le bassin de la Ruvubu, nous avons déjà planté 13 500 bambous. Et sur la rivière Kanyaru, on y a repiqué 6 800 bambous. A Muhanga, on dénombre 4 mille bambous plantés.
Qu’en est-il de la remise en état des sites de fabrication des briques ou d’extraction des minerais ?
Cela fait partie du contrat avec ceux qui exploitent ces sites. Idem pour ceux qui font l’extraction des minerais. Je vous signale que le coltan est extrait à Kabarore et à Kabuye dans la zone Kayanza, etc. Même ceux qui font l’extraction des carrières sont concernés. Globalement, ils respectent cette clause. Mais, nous devons faire un suivi régulier. En cas de violation de cette clause, ils sont sanctionnés.
Que tirez-vous de ces extractions minières ?
Ceux qui exploitent ces sites paient des taxes aux communes. C’est d’ailleurs là que beaucoup de communes tirent l’argent pour payer le personnel. Ces sites donnent aussi du travail à la population. A Kabarore, par exemple, plus de 500 personnes y sont employées. Ce qui a un impact positif sur la vie familiale.
Quel est l’état de la voirie à Kayanza ?
Nos routes sont globalement bonnes et en bon état. Notre but est que toutes les localités soient accessibles. Avec l’implication des administratifs à la base, l’entretien doit être régulier.
Néanmoins, il y a des lamentations sur la défectuosité du tronçon Bukeye-Butaganzwa alors que sa réhabilitation ne date pas de longtemps. Où est le problème ?
Nous sommes au courant. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas encore une réception officielle de cette partie. Les manquements doivent être corrigés. Ils doivent faire des canaux d’évacuations d’eaux. Pour se dédouaner, ils avancent que cela ne faisait pas partie du contrat. Mais, c’est un mensonge pour détourner une partie de l’argent alloué à ces travaux.
Sur le plan touristique, que faites-vous ?
A ce niveau, Kayanza se porte bien. Nous avons les eaux thermales à Ku Mahoro. Presque tous les tombeaux royaux se trouvent dans notre province. C’est même ici qu’on trouve le Prince Baranyanka. C’est le premier Burundais à avoir fréquenté l’école. Il a été installé ici dans les années 20 par les Belges. Et la lisière de la Kibira, nous comptons y aménager des sites touristiques pour attirer les visiteurs. Kayanza abrite aussi, un stade remplissant les normes internationales avec un tapis synthétique.
Quid des relations avec le Rwanda ?
Vous savez que ces dernières années, les relations se sont détériorées. Il y a eu même des attaques armées en provenance du Rwanda. Ce qui ne manque pas d’impact sur la population. Car, il y avait beaucoup d’échanges entre les deux peuples. Des Rwandais venaient s’approvisionner au Burundi et vice-versa. Des échanges commerciaux et sociaux étaient très importants. Ici, je dois préciser que les populations n’ont pas rompu ces relations. Il y a des mariages entre Rwandais et Burundais.
Les populations ont hâte de revoir les relations se rétablir ?
Oui. La population à la base a vraiment soif du renouvellement des relations. Et quand je me déplace vers Kanyaru, ils viennent en masse espérant qu’on va rouvrir la frontière. D’ailleurs, du côté de Rugazi, il n’y a pas de limite naturelle.
Est-ce facile de contrôler les déplacements dans ces conditions ?
Très difficile. On peut se retrouver facilement au Rwanda sans le savoir. C’est pourquoi on parle de la fraude à Kabarore. Certains Burundais construisent des maisons justes sur la frontière. Et là, ils peuvent rassembler petit à petit 500 kg de haricot qu’ils vont écouler clandestinement vers le Rwanda. En effet, certains marchés sont très proches. Mais, nous avons interdit formellement ces échanges. Et le Covid-19 a rendu plus strict le contrôle à la frontière.
Vous êtes optimiste ?
Oui. Notre gouvernement est à l’œuvre pour que les relations redeviennent normales. Nous avons espoir que les choses se remettront dans l’ordre d’ici peu.
Peut-être un message aux natifs ?
Là, je dois leur dire merci. Ils contribuent beaucoup au développement. Ils sont par exemple en train de construire un bloc qui va abriter le bureau du gouverneur. C’est un étage à quatre niveaux. Et ce, après la construction du stade de Gatwaro à plus de 3 milliards de BIF. Et bientôt, nous allons commencer, les travaux pour l’Institut Supérieur Polytechnique de Kayanza, à Matongo, tout près de la RN1.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze
La province de Kayanza en bref
Située au nord du pays et frontalière avec les provinces Gitega, Ngozi, Cibitoke, Muramvya et Bubanza, la province Kayanza se trouve dans la région naturelle de Buyenzi. Elle est aussi limitrophe du Rwanda. Sa population est estimée à 719.093 habitants, sur une superficie de 1232,8 km2. Ce qui fait une densité de 641 hab/km2. C’est à Kayanza qu’on trouve la commune la plus peuplée du pays : Gatara. Avec une superficie de 103,96 km2, elle abrite 106.604 habitants. Ce qui fait 1025hab/km2. Elle compte neuf communes : Kayanza, Matongo, Butaganzwa, Rango, Muhanga, Gatara, Muruta, Kabarore et Gahombo.
Par Rénovat Ndabashinze (Iwacu)