Lettre ouverte au Président du Parlement Européen, Monsieur Antonio TAJANI

Monsieur le Président,

En tant que citoyen européen d’origine burundaise, c’est avec une grande considération et un grand honneur que je m’adresse à votre haute autorité pour vous faire part de ma consternation sur des propos outrageants, accusations mensongères et un appel à la déstabilisation d’un Etat souverain partenaire de l’Union Européenne, le Burundi, par un groupe de 13 eurodéputés, en leur tête l’eurodéputé belge Monsieur Louis MICHEL, dans ce qu’ils viennent d’appeler « La carte blanche sur la situation au Burundi ». Mon intention est avant tout de vous dresser brièvement le tableau chronologique de la situation du Burundi afin de soulever les tenants et les aboutissants de l’acharnement de ces eurodéputés; et surtout pourquoi le Burundi mérite d’être soutenu davantage en tant que partenaire historique de l’Union Européenne.

La raison d’être de l’Union Européenne est la paix. Le Parlement Européen constituant l’une des trois maisons de cette Union, ne peut en aucun cas se soustraire à cette valeur, qui par ailleurs demeure une ultime aspiration pour tous les peuples du monde. Au moment où cet acquis y a été chèrement préservé depuis des décennies, le combat reste très long dans certains pays partenaires de l’Union Européenne, en l’occurrence africains ; et ce, suite aux turbulences dans le système international. Le Burundi n’a jamais été une exception. Depuis l’accession à son indépendance en 1962, le Burundi n’a cessé de payer les frais de ces turbulences. En même temps l’Union Européenne a été toujours aux côtés des Burundais pour se relever des défis qui en découlent, soit à travers un partenariat collectif (Accord de Cotonou) soit directement (par exemple le soutien au processus et aux Accords d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation, et leur consolidation).

Permettez-moi, en effet, Monsieur le Président, de vous rappeler que le Burundi (comme la plupart des pays africains) et l’Union Européenne ne sont pas seulement liés par des partenariats politiques et économiques, mais par l’histoire. C’est justement ce contexte historique sur lesquels reposeraient ces partenariats que l’on peut facilement comprendre la situation actuelle du Burundi. Pour faire court, depuis l’accession à son indépendance, le Burundi a été confronté à des crises politico-ethniques tragiques souvent attisées par l’extérieur. Comme l’a constaté un des sages des Présidents de la Région des Grands Lacs, le Président Ougandais Yoweri KAGUTAMUSEVENI (Arusha, 1998) : « Au début le problème burundais n’était pas réellement grave car s’il y a un pays en Afrique qui pourrait faire preuve d’une grande cohésion sociale de par une culture commune et une histoire commune, c’est bien le Burundi. Cependant, ce problème s’est davantage compliqué en raison des manipulations coloniales et des différences idéologiques subséquentes des responsables burundais qui se sont succédés, touchant des millions de personnes qui ont injustement trouvé la mort et ceci a entraîné beaucoup de haine et d’amertume non seulement au niveau des groupes mais également au niveau des individus ». Ici on sous-entend la politique de diviser pour régner appliquée par la puissance coloniale d’alors.

Cette ingérence de cette ancienne puissance coloniale, la Belgique (toujours considérée comme chef de file dans la diplomatie occidentale au Burundi) dans les affaires intérieures du Burundi s’est manifestée pendant les différentes transitions de la politique mondiale. Après l’acquisition de l’indépendance, le peuple burundais n’oubliera jamais l’assassinat du héros de cette indépendance, le Prince Louis RWAGASORE. Un pouvoir militaire dans les mains d’un petit groupe d’individus issue d’une élite formée dans des universités et académies militaires belges fut installée. C’est cette oligarchie militaire qui régna d’une main de fer et sans partage sur le Burundi pendant plus de 30 ans brisant ainsi le rêve du Prince RWAGASORE de voir un Burundi uni, prospère et en paix. A signaler que toute tentative de transformer ce rêve en réalité était mâtée dans le sang, surtout sur base des clivages ethniques (les tragédies de 1965,1969, 1972, 1988, 1991 et 1993 en témoigneront la teneur).
Si la guerre froide reste gravée dans les mémoires du monde contemporain, sa fin dans les années 90 a suscité des espoirs chez les peuples opprimés par des années de dictatures militaires. Le Burundi a donc saisi cette opportunité pour embrasser cette nouvelle ère. L’une des grandes lueurs d’espoirs à l’actif de cette dernière reste le vent de la démocratisation qui souffla sur le continent africain.

Dans le cas du Burundi, le dictateur, Major Pierre BUYOYA, qui dirigeait le pays à cette époque n’avait, pour sa survie, qu’un seul choix : périr ou s’adapter à cette nouvelle donne mondiale. C’est dans cette perspective qu’il organisa les élections en 1993, mais malheureusement les perdit au profit d’un civil, Monsieur Melchior NDADAYE. Ce fût la consternation totale chez les proches et ceux qui comptaient garder le Major Buyoya au pouvoir. Comme pour le cas du Prince RWAGASORE, le Président élu NDADAYE, ainsi que ses plus proches collaborateurs dont le Président de l’Assemblée Nationale, furent assassinés 3 mois plus tard par un groupe de militaires putschistes, mettant ainsi en péril l’aspiration du peuple burundais à un Burundi indépendant et démocratique. Malgré les différentes tentatives de rétablir l’ordre constitutionnel en remettant le pouvoir au civil, l’oligarchie militaire ne ménagea aucun effort pour saboter toute initiative dans ce sens.

Après la mort du successeur de feu NDADAYE, le Président Cyprien NTARYAMIRA dans un attentat contre l’avion de son homologue rwandais, le Président Juvénal HAVYARIMANA, à Kigali, le Burundi sombra dans une incertitude politique sans précédent. Si Monsieur Sylvestre NTIBANTUNGANYA est désigné pour diriger les destinées du Burundi après la mort du Président NTARYAMIRA, du côté des putschistes c’était une question de temps pour en découdre avec la démocratie et revenir par force au pouvoir. Des manifestations violentes des jeunes (communément appelés des sans échec et sans défaite) issus des partis politiques acquis à la cause des putschistes sont quotidiennement organisés dans la capitale, Bujumbura, et dans certains coins du pays.

Une campagne de chasse à l’homme et de purification politico-ethnique, sous l’encadrement des putschistes, est organisée dans les universités et les quartiers proches des démocrates du parti de NDADAYE (le FRODEBU) et ses alliés obligeant les rescapés à fuir vers les pays limitrophes, le Congo/Zaïre et la Tanzanie, et ailleurs. C’est à travers ce sabotage politique que le Major BUYOYA, soutenu par certaines puissances occidentales, opéra son nouveau coup d’Etat, soi-disant vouloir rétablir l’ordre dans le pays. Malheureusement, considéré comme un pompier pyromane par le peuple burundais, le camp des démocrates ne laissa aucune chance à cette nouvelle aventure dictatoriale de BUYOYA. Abandonné à lui-même et malgré les atrocités qu’il subissait, le peuple burundais s’organisa et prit les armes pour combattre son régime afin de rétablir définitivement la démocratie et la justice dans le pays. Ce fût donc le début d’une longue guerre civile qui sera sanctionnée plus tard par les fameux Accords d’Arusha pour la paix et la Réconciliation au Burundi en août 2000 et concrétisés plus tard par l’Accord global de cessez – le feu en 2006.

L’un des apports de ces Accords est la reconnaissance que l’administration coloniale a joué un rôle déterminant dans le renforcement des frustrations chez les différentes composantes ethniques burundaises (les Bahutu, les Batutsi et les Batwa) et dans les divisions qui ont conduit à des tensions entre ces ethnies (Art 2 du Chapitre 1er, Protocole I). Malheureusement, c’est cette caricature qui, à travers ces Accords, inspira la Constitution burundaise du 18 mars 2005. En effet, cette Constitution acta les règles de quotas ethniques par le partage de pouvoir entre ces différentes composantes ethniques (60% et 40% (Hutu-Tutsi) ; 50% -50% au niveau de force de sécurité ; 67%-33% de Hutu – Tutsi dans l’administration communale ; 50%-50% au sénat ; 3 Twa à l’Assemblée Nationale et au Sénat, au moins 30% de femmes dans les différentes institutions publiques et administratives). Ce qui en principe devait dissiper ces frustrations et conduire à une cohabitation pacifique. Etait-ce enfin la fin du problème burundais ? A noter que nul n’ignore que les négociations entre belligérants dans un conflit armé, partout dans le monde, ont souvent été dictées de l’extérieur.

Les Accords d’Arusha qui sont entrés en vigueur le 1er novembre 2001 virent le maintien des putschistes de Buyoya à la présidence pendant 18 mois avant de céder celle-ci pour une même durée à son rival du FRODEBU et son premier vice-président, Domitien NDAYIZEYE. A la fin de cette alternance, des élections législatives, communales et présidentielles devaient être organisées. Le 3 juin, le 4 juillet, le 29 juillet, le 19 août, le 23 septembre 2005 furent organisées respectivement les élections communales, législatives, présidentielles et collinaires. Le pouvoir en place, qui avait taillé sur mesure la Constitution, et organisé les élections, espérait bien les gagner. Comme en 1993, surprise générale. Le CNDD-FDD (l’ancienne principale rébellion contre le régime de Buyoya et transformée en parti politique) remporta haut la main ces élections. Le pouvoir en place accepta bon gré malgré la défaite. Mais contrairement à 1993, cette fois-ci le gage de l’équilibre ethnique (quoi qu’éphémère) dans les institutions de l’Etat, en l’occurrence dans les corps de défense et de sécurité, constitua un obstacle aux adeptes des putschs pour faire revivre au Burundi les affres de 1993. Le peuple burundais retrouva son souffle et le Burundi devint un modèle dans la résolution pacifique des conflits. Il est depuis sollicité à travers le monde pour aider à stabiliser les zones en conflits armés comme au Darfour, en Somalie, en Haïti, en Côte d’Ivoire, en Centrafrique…Dorénavant, les crises d’indépendance et de démocratie n’avaient plus de place dans la société burundaise. Toutefois pour de nombreux observateurs, la nouvelle configuration politique mondiale, à travers la démocratie libérale et la mondialisation, cache d’autres réalités. L’un des effets immédiats de cette reconfiguration, en plus du caractère multipolaire du nouvel ordre mondial, fut la dépersonnalisation de l’Etat et l’apparition de nouveaux acteurs, en l’occurrence les sociétés civiles.

Au Burundi, les cartes politiques qui venaient de changer invitèrent les perdants des élections de 2005 à réfléchir sur leur survie politique face à un phénomène CNDD-FDD qui visiblement n’était pas pour le court terme. Pour ceux qui suivaient l’évolution de la politique burundaise, aucun des partis politiques traditionnels de l’opposition ne voyait comment le contrer. C’est pourquoi, une partie des membres de ces partis ; surtout proches des putschistes de BUYOYA et du FRODEBU de NDAYIZEYE décidèrent de se convertir en organisations de société civile ou en créant des médias pour séduire les occidentaux et bénéficier de leurs soutiens multiformes pour contrebalancer le pouvoir en place. C’est dans cette perspective que des chaines de radios privées, à l’instar de la fameuse Radio Publique Africaine (RPA), … et beaucoup d’organisations de la société civile sont alors créées pour mettre en péril les actions du gouvernement et espérer reconquérir le pouvoir en 2010. Malheureusement, cela ne fut pas le cas. Les élections de 2010 furent remportées encore une fois par le CNDD-FDD malgré l’arsenal médiatique en place pour influencer le cours des choses. Alors que ces élections sont validées par la Commission Nationale Indépendante (CENI) et considérées libres et transparentes par les observateurs tant nationaux qu’internationaux, en l’occurrence l’Union Européenne, les partis politiques de l’opposition et la société civile les rejetèrent en block. Une alliance contre-nature se forma, ADC-Ikibiri, pour combattre le pouvoir CNDD-FDD. Ce fût le début d’une nouvelle crise politique qui aboutit au déclenchement de la contestation de la candidature du Président Pierre NKURUNZIZA par certains partis de l’opposition et organisations de la société civile avec ce qu’ils appelèrent un « non au 3ème mandat. » ; laquelle contestation déboucha sur une tentative de coup d’Etat le 13 mai 2015 contre les institutions démocratiquement élues.

Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous présenter à partir de cette dernière description comment un groupe de parlementaires cherchent à influencer le Parlement européen et à pousser la Commission Européenne à poser des actes de nature à affaiblir voire à renverser les institutions démocratiquement élues d’un pays souverain. La Belgique qui a vu son rôle traditionnel au Burundi partir en éclats en faveur d’une ouverture à d’autres partenaires n’a qu’un souhait : rétablir ses propres intérêts. Monsieur MICHEL et son équipe n’hésite pas à cette fin à utiliser l’hémicycle de notre Parlement pour réactiver ce plan machiavélique. Quid des propos contenus dans leur déclaration dont cette lettre fait l’objet ?

• Le 3ème mandat auquel les eurodéputés font référence ne devrait plus faire polémique. Le Burundi est un Etat souverain et démocratique régit par la loi. Le Président Nkurunziza a été désigné par son parti politique le CNDD-FDD lors d’un congrès de ce parti et sa candidature a été validée par la Commission Nationale Indépendante chargée d’organiser et superviser les élections, et ce, conformément à la loi burundaise. Des voix de recours en cas de contestation sont aussi prévue par la loi burundaise. La Cour Constitutionnelle, garante du respect de la loi a bel et bien confirmé la légalité de la candidature du Président NKURUNZIZA.

• Les contestations que le groupe d’eurodéputés qualifie de résistance pacifique de la population burundaise était une insurrection qui rappela au peuple burundais la période sombre d’après les élections de 1993, mais aussi se distingua par une atrocité sans précédent. La tentative de coup d’Etat du 13 mai 2015 a été le point culminant de cette insurrection. Le fait que les responsables de cette insurrection aient tous directement pris le large vers le Rwanda et la Belgique après l’échec cuisant de leur projet a démontré à quel point ces pays étaient de près ou de loin impliqués. Que ces derniers soient leur fer de lance pour plaidoyer leur survie n’étonne personne.

• Les concepts utilisés par ces eurodéputés montrent à quel point ceux-ci cherchent à jouer sur les sensibilités de leurs collègues pour les pousser à agir en faveur de ces putschistes plutôt que de compatir avec le peuple burundais qui ne cherche que sa souveraineté et rien que sa souveraineté. Monsieur le Président, imagineriez-vous une seconde des membres du parlement burundais se lever et condamner le policiers et les autres forces de sécurité qui s’investiraient à arrêter les auteurs des attentats de Madrid, Paris, Bruxelles, Londres?

• Il a été démontré par le gouvernement burundais que les rapports des ONG auxquels ces eurodéputés font référence étaient faux car ils étaient soit des copier-coller des mensonges des organisations de la société civile dont les responsables sont en exile ou soit par des groupes d’influence basés à l’étrangers.

• Les accusations formulées contre le régime de Bujumbura sont insensées car toutes les délégations de haut niveau que ce soit au niveau international (Conseil de Sécurité des Nations Unies : CSNU), régional (l’Union Africaine : UA) et sous régional (La Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est : CAE) ont démontré le contraire. Que l’Union Européenne ne veuille pas voir la réalité en face, peut trouver écho dans cette manipulation par une poignée de gens jouissant d’une grande notoriété dans cette institution.

• La sortie de la déclaration de ces eurodéputés fait naturellement suite à des évènements majeurs en vue. D’une part les clauses du dernier sommet des chefs d’Etats de la CAE qui a jugé inapproprié les sanctions prises par l’Union Européenne et a désigné, le Prédisent Ougandais pour aller plaider pour leur levée. Une façon donc de saboter les démarches y relatives et surtout mettre la pression sur le Parlement Européen et la Commission Européenne pour qu’ils refusent cet acte de bonne volonté. Vu les accusations portées contre le gouvernement burundais, la déclaration est aussi une stratégie pour essayer de peser et influer sur le rapport de la prochaine session du Conseil des Droits de l’Homme de Genève sur le Burundi programmé dans la première quinzaine du mois de juin de cette année.

Pour conclure, j’inviterais le Parlement Européen à faire preuve de son indépendance et à suivre en collaboration avec le Parlement Burundais de près la situation du Burundi d’une façon neutre en vue de contribuer à renforcer l’amitié entre les deux peuples. Que dans l’avenir l’hémicycle ne soit utilisé par ces eurodéputés pour appeler à l’ingérence et la déstabilisation d’un Etat partenaire et souverain. Le Burundi a, à maintes reprises, montré qu’il est attaché au dialogue mais refuse toute ingérence extérieure pour lui imposer un dialogue qui plonge le Burundi dans la récidive. Ce dialogue doit impérativement s’inscrire dans l’esprit de la résolution 2248 du CSNU.

Que vive le partenariat durable entre le Burundi et l’Union Européenne

« Le Burundi n’est pas une prison à ciel ouvert ». Le Burundi est un Îlot pour la Paix et la lutte pour l’Indépendance

Fait à Bruxelles le 5 juin 2017
Par Dr. Innocent Bano
Président du Collectif International de Soutien à la Candidature Pierre NKURUNZIZA aux Présidentielles de 2015 (CISCAP)