Mgr Nahimana a ainsi témoigné au cours d’une interview exclusive accordée mardi à Xinhua en marge des travaux d’un atelier de réflexion avec les médias sur les défis et les enjeux de la couverture médiatique des activités d’une CVR.
La CVR burundaise est chargée « d’établir toute la lumière sur toutes les violations de droits humains perpétrés au Burundi depuis l’indépendance recouvrée le 1er juillet 1962 jusqu’au 4 décembre 2008, date supposée de la fin de la belligérance armée.
Substance des avancées
Les confidences déjà recueillies par la CVR auprès des « vrais » victimes (toutes obédiences politico-ethniques confondues) des diverses crises, a-t-il affirmé, poussées par un élan d’enthousiasme pour se réconcilier avec les auteurs potentiels des crimes commis, « se refusent aujourd’hui à être prisonnières du passé sanglant, mais sont habitées par une vive volonté de lire et de tourner ces pages sombres de l’histoire burundaise « .
Le processus de justice transitionnelle burundaise incarnée par la CVR, a-t-il insisté, met au centre les populations victimes dans la mesure où ce sont celles-ci qui ont d’abord besoin de « réparations et de thérapies » à la suite des séquelles laissées par les violences répétitives.
« En effet, au cours de mes récentes visites de terrain dans trois provinces burundaises, j’ai été tellement édifié de constater combien les populations de ces entités régionales étaient en avance dans le processus de réconciliation interburundaise, à travers des rencontres croisées entre victimes et auteurs présumés à l’issue desquelles ceux-ci demandent pardon pour les crimes commis et dommages causés », a-t-il témoigné.
Pour lui, de tels regrets sortis des bouches des auteurs présumés des diverses crises, sont porteurs d’espoir pour le recouvrement d’une paix durable au Burundi dans les années à venir dans la mesure où ils peuvent conduire à une « reconversion effective des esprits ».
De tels faits et gestes sont « certes des petits signes » montrant qu’au fur du temps, les citoyens burundais affectés par les diverses crises dans un camp (victimes) ou dans un autre (auteurs présumés), sont disposés à marcher vers une « réconciliation irréversible », a-t-il observé.
Toutefois des défis ad hoc
Au palmarès des défis jonchant ce processus de justice transitionnelle incarnée par la CVR, Mgr Nahimana a déploré d’abord ce qu’il a qualifié d’une « dictature sans dictateurs » d’opinion, qui veut faire croire que les Burundais ne sont pas encore disposés à dire la vérité sur les crises passées.
« C’est une opinion qui continue à circuler, sans que personne veuille en endosser la responsabilité sur base d’éléments probants via des enquêtes ou des investigations rationnelles et objectivement quantifiables et vérifiables », a-t-il explicité.
Il s’est réjoui néanmoins qu’au fur du temps, cette opinion soit en train d’être marginalisée par les « bonnes volontés » des personnes qui sont déterminées à avancer dans le processus de recherche de la vérité et de la réconciliation vis-à-vis des « tragédies sanglantes » du passé burundais.
« Sur ce, récemment, en commune Giheta dans la province de Gitega, j’ai assisté à une séance où une famille de victimes et une famille de présumés auteurs issues appartenant à des ethnies différentes, se sont rencontrées pour se dire ouvertement et sans faux-fuyant, si bien qu’elles en sont mêmes arrivées à se demander mutuellement pardon », a-t-il illustré.
Le second défi dans ce processus transitionnelle burundaise incarnée par la CVR, a-t-il poursuivi, est la capacité des professionnels des médias à « prendre une distance suffisante » par rapport aux souffrances endurées par les victimes, en faisant tout pour « s’élever au dessus de la mêlée », afin d’aider toutes les parties prenantes au conflit.
« Dans la pratique, un tel défi s’avère ardu à relever dans un contexte de guerres fratricides enregistrées au Burundi où des journalistes burundais normalement astreints à rapporter les faits honnêtement et objectivement selon les exigences de l’éthique professionnelle, pourraient déraper professionnellement en succombant à la dénaturation des faits sur fonds de penchant ethnique favorable aux communautés ethniques auxquelles ils appartiennent », a-t-il fait remarquer.
Vis-à-vis de la couverture médiatique des activités de la CVR, l’autre défi journalistique burundais est le « danger de la corruption » dans une situation de persistance de « mémoires parallèles » comme cela prévaut encore sur le terrain politico-ethnique burundais.
« Ici, si on ne prend pas garde, le risque encouru pour les journalistes burundais est celui de se laisser embarquer dans une sorte de compétition victimaire ; en se laissant influencer, au niveau de la collecte et du traitement des nouvelles de crises, par différents camps ethniques en gonflant, par exemple, des souffrances d’un camp aux dépens de celles d’un autre », a-t-il averti.
Pour se prémunir de tels dérapages professionnels dans l’intérêt supérieur du processus de réconciliation nationale, Mgr Nahimana a recommandé aux journalistes burundais travaillant dans un contexte de société divisée comme la leur, de s’armer de la « rigueur et des balises professionnelles » pour promouvoir le journalisme de paix dans le pays.
Il a saisi l’occasion pour interpeller les médias locaux à accompagner la CVR burundaise dans le processus de « déconstruction des mémoires parallèles » afin de donner un coup d’accélérateur au processus de réconciliation nationale au Burundi.
Pour lui, au Burundi, pour réussir la « déconstruction des mémoires parallèles », les professionnels des médias ont une « grande responsabilité » pour ressouder le tissu de la cohésion sociale ; via notamment leur apport dans la mobilisation de l’opinion pour une adhésion « massive » à l’érection des monuments nationaux où les différentes communautés ethnico-politiques burundaises seraient enclines à une « commémoration commune » pour les souffrances endurées par les victimes des diverses crises.
« Car, jusqu’à présent, l’un des aspects du mal burundais, est le fait qu’on assiste à l’émergence et à l’enracinement des mémoires parallèles où diverses commémorations, à des mêmes dates, sont réalisées sur fonds d’interprétations ou lectures différentes selon les atrocités commises à l’endroit des différentes communautés », a-t-il déploré.
L’ultime mission de la CVR burundaise, a-t-il insisté, est celle de déconstruire ces mémoires parallèles pour bâtir, en lieu et place, des mémoires collectives pour des fins de réconciliation interburundaise.
« En toile de fonds de ce repli sur soi, se trouve le fait que certains citoyens ne savent pas encore écouter la souffrance des autres. Ce qui est encore plus grave, ces gens veulent instrumentaliser leurs mémoires – ce qu’ils ont vécu, pour justifier la souffrance que l’on est en train de faire subir aux autres », a-t-il fait remarquer.
Pour rectifier le tir en la matière, et ce de manière durable, la CVR burundaise mise sur « l’apport inestimable des nouvelles générations montantes, hutues et tutsies confondues », en rupture totale avec les anciennes générations issues des crises politico-ethniques des années 1965 et 1972.
« Aujourd’hui, le Burundi a une heureuse opportunité historique d’abriter des jeunes non embrigadés ethniquement, épris d’une culture de paix, de justice et d’une nouvelle conscience des droits de l’homme ; ce qui constitue un grand atout pour rompre à jamais avec les anciens cycles de violences meurtrières », a-t-il estimé.
French.china.org.cn | le 28-06-2017