Jean de Dieu Mutabazi : «L’UE a usé du trafic d’influence à Genève pour faire passer sa résolution sur le Burundi»

La problématique burundaise a déjà dépassé le cadre burundo-burundais… C’est le résumé de l’analyse que fait Jean de Dieu Mutabazi, président du Radebu, parti dit d’opposition modérée au sujet des deux votes sur le Burundi ces 28 et 29 septembre à Genève au Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDH).

Jean de Dieu Mutabazi, président du Radebu
Quelle est votre lecture des deux résolutions votée sur le Burundi au cours de la 36ème session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève ?

La résolution proposée par le groupe africain a été votée à la majorité, avant d’être contestée immédiatement par l’Union Européenne, qui a imposé au président du Conseil la programmation d’une autre résolution. Conséquence : dans une même session, sur un même pays, le CDH s’est retrouvé avec deux résolutions contradictoires.

Est un cas sui generis dans l’histoire des nations Unies ?

Le cas du Burundi devient unique et inédit dans l’histoire de l’ONU et cela pourrait conduire à la démission du président du CDH devenu un homme sans décision, une marionnette de l’Occident. La conséquence sera le retrait de toute crédibilité par ses membres de cette instance onusienne. En effet, elle s’est conduite en caisse de résonance de l’UE et des États-Unis: il ne s’agit plus des droits de l’homme mais de jeux purement politiques. Elle est là pour défendre les intérêts de l’Occident contre les intérêts du Sud et de l’Est.

Quelle devrait être la résolution à appliquer par le Burundi ?

Deux choix s’offrent au Burundi : ne mettre en application aucune de ces deux résolutions qui se neutralisent, ou mettre en application la résolution votée par le Burundi lui-même et ses pays amis.

Quid des 22 et 23 votes favorables respectivement pour la 1ère et la 2ème résolution : duplicité des votants ou résolutions complémentaires, contrairement à votre lecture que les deux résolutions sont contradictoires ?

Pour qu’il ait changement de certains votants du Sud, l’UE a dû user du trafic d’influence sur certains pays du Sud, précisément le Rwanda et le Botswana. Je répète, les deux résolutions ne sont pas du tout complémentaires mais s’opposent notamment sur le rapport Ouguergouz et sur la sollicitation de la CPI.

La Résolution de l’UE a été édulcorée : la référence à la CPI supprimée par exemple. Qu’aurait pu redouter le Burundi ?

Endosser la commission Ouguergouz c’est aussi reconnaître ses conclusions notamment la sollicitation de la CPI et la reconduire pour un an. C’est l’encourager à ramener les mêmes conclusions.
Le pouvoir et la mouvance ont été satisfaits de la première résolution, celle du groupe africain comme en témoignage le hashtag #Twenga. L’opposition radicale est quant à elle satisfaite du vote de la résolution de l’UE. Cela résume les enjeux en cours.

Les deux résolutions ne reflètent-elles pas finalement les antagonismes burundo-burundais ?

Aujourd’hui, il apparaît clairement que la problématique de la politique burundaise n’est plus une question burundo-burundaise mais une question qui oppose le Burundi à l’UE qui refuse l’indépendance totale de ce petit pays au cœur de l’Afrique.

La résolution de l’UE votée, certes, mais la CPI n’est pas liée aux résolutions du CDH mais uniquement par celles du Conseil de sécurité, ce qui n’est pas le cas…

Madame le Procureur Fatou Bebsouda a le droit d’autosaisine. Elle a déjà entamé une enquête préliminaire sur le Burundi. Le Burundi s’est retiré du Statut de Rome qui a institué la CPI. Ce retrait sera effectif dès le 27 octobre 2017, date à laquelle la CPI ne sera plus en droit de demander une quelconque collaboration avec le Burundi. La commission Ouguergouz et cette résolution de l’UE veulent remettre en selle le parquet de la CPI avant que ce retrait ne soit effectif. Il s’agit d’une course contre la montre. Si par extraordinaire, poussée par la résolution de l’UE et les recommandations du rapport Ouguergouz Mme Bensouda s’autosaisissait du cas du Burundi et décidait d’ouvrir une enquête avant le 27 octobre 2017, juridiquement le Burundi sera astreint à collaborer avec la CPI. D’où cet acharnement de l’UE sur le Burundi.

Le rapport Ouguergouz fait état de crimes contre l’humanité, donc du ressort de la CPI mais commis par des services étatiques ou commandités par de hautes autorités du pays que la justice nationale ne saurait entendre. La résolution de l’UE n’aurait-elle pas sa raison d’être ?

Par la force coercitive, les services de défenses et de sécurité devaient faire échec au coup d’Etat du 13 mai 2015 et écraser les différentes rébellions qui ont tenté de se former dans la foulée de ce coup d’Etat et des manifestations violentes et non autorisées. Les manifestants s’attaquaient aux forces de l’ordre et à la population innocente. La commission Ouguergouz et la résolution de l’UE veulent tourner les victimes en bourreaux. Curieusement, cette commission a déjà blanchi les putschistes et leurs alliés.

La commission parle des cas des disparitions….

A plusieurs reprises, nous avons prouvé qu’il y a des départs vers la rébellion des putschistes Godefroid Niyombare, Jérémie Ntiranyibagira, Alexis Sinduhije, Radjabu Hussein. Il y a aussi des départs vers l’exil. Tous ces cas sont tournés en disparitions.

By Philippe Ngendakumana