« L’attitude de l’UE vis-à-vis du Burundi relève soit d’une aveugle condescendance, soit d’une volonté de changement de régime »
La justice internationale, cette immense escroquerie !” C’est la conviction profonde d’Yves-Lionel Nubwacu, Conseiller à la présidence burundaise qui affirme s’exprimer “à titre individuel”. Un argumentaire qu’il fonde sur les récentes révélations de Médiapart (Gbagbo, Kenya, réseaux des stars mondiales), alors qu’il reste moins de deux semaines avant que le Burundi ne quitte définitivement le Statut de Rome qui régit la CPI.
Des voix au sein de l’opposition appellent la procureure de la CPI à ouvrir une enquête sur le Burundi, avant le 26 octobre prochain. Que vous inspire la justice internationale ?
Ma conviction est que la justice des Nations est un leurre, une utopie qui restera comme telle tant que les relations entre les États seront toujours guidées par les intérêts des puissances. Je prends pour preuve les récentes révélations du journal français d’investigation Médiapart. Ses révélations prouvent le degré de corruption au sein du parquet de la CPI, et de compromission avec les puissances occidentales, ainsi que leurs élites. Ces documents lèvent le voile sur les dessous du fonctionnement de la justice internationale. Beaucoup d’éléments avaient déjà été soulevés là-dessus, inutile de revenir en détails sur ces scandales. Mais une conclusion: la CPI n’est pas à l’abri des tares qu’on observe dans certaines juridictions nationales dont elle est sensée servir d’exemple. Le monopole de la vertu est définitivement perdu.
Est-ce que prendre les révélations de Médiapart qui concernent le prédécesseur de Fatou Bensouda, n’est ce pas verser dans la globalisation sur la CPI?
Les révélations m’ont rappelé un article que j’avais lu dans Jeune Afrique, il y a de cela deux ans. L’auteur nous apprenait que les pays occidentaux, les USA en tête, ont demandé à la procureure de la CPI, Mme Fatou Bensouda de menacer le Président Nkurunziza d’établir une liste de responsables qui seraient poursuivis par la CPI en cas de troubles graves au Burundi. Dans le contexte de l’époque, une telle menace prouve que cette Cour allait être utilisée à des finalités qui n’étaient pas celles pour lesquelles elle avait été mise en place.
Cette demande a été faite dans l’optique de mettre la pression sur le Président burundais afin qu’il renonce à briguer un autre mandat. En plus de ces menaces par CPI interposée, une tentative de corruption a été envisagée sous forme d’une offre au président Nkurunziza d’un poste au sein de la FIFA. Des manœuvres qui démontrent qu’un agenda caché existe sur le Burundi, et que les pays occidentaux sont prêts pour arriver à un changement de régime à Bujumbura par tous les moyens.
Des menaces « préventives » via la CPI: est-ce une procédure courante dans la diplomatie ?
La demande de ces pays occidentaux, USA, Belgique, Suisse et France a ceci de particulier : elle est faite pour des infractions qui n’ont pas encore été commises. Il s’agit d’un délit d’initié fait contre les autorités burundaises. La justification donnée à cet acte à savoir « empêcher au président Nkurunziza de commettre des actes de représailles contre ceux qui combattent sa candidature » est pour le moins curieux pour tout juriste.
Les Occidentaux percevaient peut-être des signes avant-coureurs d’un « bain de sang » comme le redoutait à l’époque les frondeurs du parti présidentiel…
Rien ne prouvait à ce moment que le président Nkurunziza allait s’adonner à un tel comportement. Même plus tard, l’histoire donnera tort aux tenants de cette fallacieuse théorie. C’est ce qui explique par ailleurs la mise en place intempestive des commissions d’enquête aux missions bien déterminées, principalement pour étayer les thèses de ces puissances sans tenir compte des réalités sur terrain. Pour toute personne douée d’une quelconque honnêteté intellectuelle, il est clair que les commissions mises en place pour le Burundi se sont écartées des principes universels qui doivent guider une enquête. Ne pas avoir accès au territoire burundais ne leur permettait pas de tirer des conclusions sur base de données erronées comme ils l’ont fait.
Mais ces conclusions ont été tirées, et des diplomates s’appuient sur elles pour réclamer de Bujumbura la collaboration avec les experts onusiens ?
Oui. Et la seule explication plausible est de deux ordres : soit ces pays occidentaux ont un sentiment de supériorité qui leur permet de prendre nos dirigeants pour de grands gamins en face desquels il faut toujours avoir le bâton entre les mains pour leur empêcher de commettre des bêtises. Ce qui, à la limite, est insultant voire raciste. Ou bien, comme je l’ai mentionné ci-haut, ils sont prêts à tout pour effectuer un changement de régime à Bujumbura.
La CPI est pour vous donc le cheval de Troyes pour renverser le président Nkurunziza et balayer le système Cndd-Fdd ?
Les tentatives désespérées de l’Union Européenne de faire intervenir la CPI au Burundi sont une illustration de cette volonté d’utiliser cette cour comme une sorte d’épée de Damoclès sur les autorités de Bujumbura. La mise en place intempestive des commissions d’enquête est le corollaire du plan conçu révélé par Jeune Afrique, conçu depuis fort longtemps et qui n’avait rien à voir avec l’évolution des événements depuis avril 2015.
Vous mettez en cause l’indépendance de la CPI…
Premièrement, la procureure reçoit une demande qui foule aux pieds les principes juridiques les plus fondamentaux et elle y réserve une suite favorable en menaçant de mettre en branle un mécanisme judiciaire pour des infractions qui n’existent pas encore… Deuxièmement, elle exprime ces menaces dans le but d’aider des États à influer sur un processus politique d’un autre membre des Nations Unies, en violation du principe sacro-saint de non-ingérence. Qui pis est, le fait qu’un des États auteurs de cette singulière demande, je cite les États-Unis, n’est même pas signataire du statut de Rome. Des faits qui montrent, noir sur blanc, que cette CPI est plus un instrument au service de certaines puissances qu’une véritable cour où la justice doit être rendue au nom de l’humanité.
Pour vous, la CPI, qu’est-elle finalement ?
Pour revenir à ce que j’ai dit au début de l’interview, la CPI dans sa configuration actuelle ne sert pas la justice internationale, cette grande utopie. Elle est plus un instrument de politique extérieure des États-Unis d’Amérique et leurs alliés. Sous couvert d’objectifs chevaleresques, ils utilisent cette cour pour assouvir leurs ambitions de domination de la planète dans le but de contrôler les richesses de la Terre. Ce que Médiapart nous révèle aujourd’hui en 2017 vient corroborer l’instrumentalisation de la justice internationale par certaines puissances que le Burundi dénonce depuis deux ans.
Par Philippe Ngendakumana