Burundi-24 : Bonjour Monsieur Claes
CJ : Bonjour
Burundi-24 : la Belgique et le Burundi sont à couteaux tirés, faites-vous le même constat ?
CJ : oui, malheureusement
Burundi-24 : Qui selon vous, est responsable de cet enlisement ?
CJ : Bonne question, je dirais que les responsabilités sont partagées. D’une part, on a le gouvernement belge qui s’octroie le droit de regard dans la marmite de la politique burundaise, ce qui est perçu comme une ingérence. D’autre part, on a le gouvernent burundais qui manque de fermeté sur certains points comme par exemple celui des droits de l’Homme, de bonne gouvernance et surtout le respect des accords d’Arusha.
Burundi-24 : Depuis l’époque coloniale en passant par les années de l’indépendance, de la première République, de la deuxième République, jusqu’au retour du multipartisme, il y a eu au Burundi durant toutes ces périodes des moments sombres, pourquoi c’est maintenant que la Belgique exhibe ses canines contre le pouvoir de Bujumbura ?
CJ: Commençons par l’époque coloniale, qu’est ce que la Belgique cherchait au Burundi ? Eh bien, sous prétexte de vouloir civiliser les races inférieures et évangéliser les peuples primitifs, la Belgique cherchait des intérêts économiques et politiques, et pour y parvenir, il fallait soumettre les peuples autochtones par des moyens, dans la plupart des cas, indignes. Maintenant la question qu’on peut se poser est de savoir, quel serait actuellement le Burundi n’eut été la colonisation ?
Burundi-24 : Vous admettez quand-même que la colonisation belge a apporté plus de problèmes que de solutions ?
CJ : Oui, mais il faut comprendre le contexte. De un : à cette époque, la Belgique n’avait pas une activité intellectuelle suffisante pour générer une politique de l’esprit impérial, cela étant due essentiellement à sa faiblesse de l’esprit colonial, au destin ambigu du patriotisme quelques fois teinté de scepticisme et de divergences. En plus une partie des flamands s’opposait à la position dominante des francophones et qu’au même moment une minorité de radicaux belges rêvait la disparition de la Belgique. Vous comprenez alors que la Belgique, dans ce climat, sa politique coloniale devrait inéluctablement en pâtir. D’où peut être le bilan négatif de la colonisation belge. A partir du simple principe que « l’on donne ce que l’on a », comment la Belgique pouvait prôner la cohésion sociale et l’unité des burundais alors qu’elle-même en manquait cruellement ? De deux : accepter que le Burundi soit indépendant, c’est accepter de se priver le droit de récolter et d’exploiter tous les produits naturels qui s’y trouvent, le droit de libre exploitation des mines d’or, d’argent, de cobalt, de nickel et d’autres métaux déjà découvertes. Ceci pour dire qu’en réalité, la Belgique n’a jamais accordé la « véritable indépendance au Burundi, elle lui a tout simplement accordé l’autonomie. Cela est valable au Burundi qu’au Congo. C’est peut être pourquoi tout homme politique Burundais ou Congolais qui pense le contraire, prend ses risques.
Burundi-24 : Vous voulez dire Patrice Lumumba, Prince Louis Rwagasore et autres ?
CJ : Vous n’êtes pas loin.
Burundi-24 : Vous approuvez alors les déclarations du gouvernement burundais ?
CJ: Quelles déclarations ?
Burundi-24 : Que la Belgique est à l’origine des maux qui gangrènent périodiquement la vie politico-sociale burundaise
CJ : Vu de cet angle, on peut mettre la Belgique sur le ban des accusés. De façon générale, tout gouvernement burundais qui maintient les liens de subordination avec la Belgique est épargné de toute sorte de critique. Si alors, maintenant, le Burundi subit la ventilation du mécontentement belge, c’est parce que la Belgique n’a jamais laissé tomber sa velléité coloniale et qu’elle fait face, à son étonnement, au vent nationaliste en poupe des Burundais.
Burundi-24 : peut-on dire alors que c’est une guerre entre le patriotisme burundais et le néocolonialisme belge ?
CJ: Vous savez, diplomatiquement, on dit que la crise au Burundi date de 2015, par la volonté de Pierre Nkurunziza à briguer le troisième mandat, en violant la constitution et les Accords d’Arusha. En réalité, je dirais que c’est comme un iceberg dont la petite partie visible est « la violation de la constitution et les accords d’Arusha » et la grande partie immergée est « l’inquiétude et incertitude belge à contrôler le pouvoir de Nkurunziza ». Sur la constitution, je ne suis pas tout d’accord qu’il y a eu violation, seulement, Nkurunziza a profité de la faille. Même si selon moi, le mot « profiter » reste dans ce sens négatif. Sur les Accords d’Arusha, c’est vrai qu’il y a eu violation car c’est stipulé qu’il devrait faire seulement « deux mandats ». Comme la constitution est une loi supérieure aux autres, quoi dire de plus ? En somme, selon moi, je crois que Pierre Nkurunziza, ne devrait pas se représenter non pas pour des raisons d’inconstitutionnalité, mais pour des raisons de préserver les avancées sociales et démocratiques que le Burundi avait déjà atteintes.
Burundi-24 : Pourquoi pas lui, s’il n’a pas violé la loi suprême qui est la constitution, et que son parti le désigne comme candidat ?
CJ : Vous savez, un homme politique doit prendre une décision en bon escient. Je crois que c’est ce qu’il a fait. Mais quelque fois il faut savoir reculer pour mieux sauter.
Burundi-24 : Quelle selon vous la finalité de cette situation ?
CJ : Vous savez, en géopolitique, on peut être à la fois pyromane et pompier. Et cette formule est fréquemment utilisée par les européens. Regardez bien, plus de 98 % des organisateurs de manifestations contre le 3ème mandat de Nkurunziza sont exilés en Belgique. Sans doute vous comprenez pourquoi ! En plus la Belgique se propose d’être cofacilitateur au près de Benjamin Mkapa, là aussi, vous comprenez le jeu. Ces deux faisceaux indiquent indubitablement sans ambages, le grand rôle de la Belgique dans cette crise burundaise. On a donc d’un coté la Belgique qui a des comptes à régler avec le pouvoir de Nkurunziza et qui doit par conséquent utiliser certainement son influence diplomatique, ses lobbies et ses moyens financiers pour arriver à ses fins. De l’autre coté, le gouvernement de Bujumbura, qui avec cette tempête, a appris à se mettre à l’abri et à esquiver les coups de ses prédateurs, en créant une sorte de résistance qui surprend tout le monde. Le gouvernement burundais met en avant sans ni hésitations ni atermoiements sa souveraineté et son indépendance ce qui réveille d’autres pays africains qui ne voient plus Nkurunziza comme un mauvais, mais comme un résistant, un modèle déterminé à faire face aux « colons ». Donc, franchement, à l’heure actuelle, il m’est difficile de vous dire qui sortira gagnant.
Burundi-24 : Comment vous interprétez les accusations de violations de droits de l’homme ?
CJ: Aaah, vous savez l’on ne peut pas dire qu’au Burundi c’est bien, c’est calme que tout est rose. Bien sûr qu’il y a beaucoup à faire dans ce domaine, mais il faut voir d’où vient ce Burundi. Un pays en perpétuelle crise à chaque fois qu’il y a des élections. C’est un grand chantier, mais il n’ y a que le Burundi. Combien de chefs d’Etat africains qui sont au pouvoir depuis des décennies et qui sont tranquilles alors que même les droits de l’homme dans ces Etats laissent à désirer ? C’est effectivement ce « deux poids, deux mesures » qui irrite et en même temps qui renforce le gouvernement burundais. Comme je vous l’ai dit tantôt, pour coloniser le Burundi et d’autres pays, il fallait argumenter que c’est pour des raisons philanthropiques de civiliser et d’évangéliser les peuples primitifs. Maintenant pour « néocoloniser », il faut créer une situation qui nécessite une réaction. Donc les violations des droits de l’homme et les crimes de guerre sont des slogans à la mode, qui donnent légitimité à une intervention impérialiste.
Burundi-24 : Si ça continue, vous ne craignez pas une rupture nette des relations diplomatiques entre les belges et les burundais ?
CJ: Certainement que ça risque d’arriver. Mais sachez bien que tous les belges ne sont pas des « colons » comme tous les burundais ne sont pas des « patriotes »
Burundi-24 : Merci d’avoir accepté notre invitation
CJ : c’est moi qui vous remercie