L’Europe et l’Afrique face au calvaire libyen

Le sommet Europe-Afrique a accouché de mesures pour lutter contre l’esclavage en Libye. Des opérations d’évacuation seront organisées dans les semaines à venir. Mais la collaboration entre l’Union européenne et les autorités libyennes est toujours décriée.

Violences, torture, détention, conditions inhumaines… Le cauchemar que vivent des milliers d’hommes, femmes et enfants coincés en Libye n’a jamais été un secret depuis le début de la crise migratoire, nombre d’organisations internationales tirant la sonnette d’alarme face à cette tragédie humaine. Un reportage de la chaîne de télévision CNN dénonçant l’esclavage de migrants a jeté une lumière crue sur le quotidien des personnes poussées par la famine et le désespoir sur la route vers « l’eldorado européen ».

La migration s’est donc imposée comme thème central du sommet entre l’Europe et l’Afrique organisé ces 29 et 30 novembre dans la capitale ivoirienne. A l’image de l’électrochoc causé par la photographie du petit Aylan, dont le corps sans vie gisait sur les côtes turques, le documentaire de CNN a provoqué une onde de choc qui a forcé les dirigeants à prendre à bras le corps une réalité bien connue. Les leaders des deux continents ont ainsi souligné leur « engagement fort » pour lutter contre l’immigration clandestine et les drames qui en découlent. « Une action humanitaire doit être menée rapidement » en Libye, « les réseaux de passeurs doivent être mis hors d’état de nuire » et « une enquête (internationale) doit être menée », a déclaré le président ivoirien Alassane Ouattara.

Une « task force » contre les trafiquants

En effet, mercredi, une réunion d’urgence entre l’Union européenne, l’Union africaine, les Nations unies, ainsi que des pays comme la France, l’Allemagne, le Niger, le Tchad ou le Maroc, a été organisée pour trouver des moyens de lutter contre les trafiquants de migrants. Une « task force », réunissant des services de police et de renseignement œuvrera désormais au démantèlement des réseaux de passeurs, tandis que l’Union africaine mettra sur pieds une commission d’enquête. Entre-temps, la Libye a, elle, accepté que les « camps où des scènes de barbarie » ont eu lieu soient identifiés. « C’est difficile de savoir combien de camps il y a dans le pays. Et il est impossible de savoir combien de personnes y sont détenues contre leur gré », nous explique Christophe Biteau, chargé de mission pour Médecins sans frontières en Libye.

Le président français Emmanuel Macron a annoncé que neuf pays européens et africains ont trouvé un accord pour mener des « opérations d’évacuation d’urgence dans les prochains jours ou semaines » des victimes. Encore faut-il savoir vers où. Un soutien « accru » sera accordé à l’Organisation internationale de la migration afin d’aider les migrants « qui le souhaitent » à retourner dans leur pays d’origine. Environ 3 800 devraient être rapatriés d’urgence, a annoncé le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, soulignant que le chiffre global de migrants en Libye se situait « entre 400 000 et 700 000 ».

Aussi, le Haut Commissariat pour les réfugiés de l’Onu prévoit de créer des « centres de transit et de départ », réservés aux personnes qui peuvent prétendre à la protection internationale, à savoir celles originaires de pays comme l’Erythrée, l’Ethiopie ou le Soudan. Madrid, Berlin, Paris et Rome ont par ailleurs réaffirmé leur engagement à réinstaller des migrants depuis la Libye, mais aussi le Tchad et le Niger. Motus et bouche cousue néanmoins sur une quelconque volonté des Vingt-huit à offrir communément des voies sûres et légales vers leur territoire.

« Mais les populations qui pourraient prétendre à l’asile représentent environ 20 % des migrants qui se trouvent en Libye », rappelle M. Biteau. « Et pourquoi se base-t-on sur la nationalité pour identifier les personnes qui ont droit à une protection ? Ces gens qui sont sur la route depuis des mois ont tous vécu l’horreur, la misère et sont tous vulnérables. »

Des politiques ambivalentes

Les mesures annoncées risquent donc de s’avérer insuffisantes, même pour redorer l’image de l’Union européenne. « Il est indispensable de reconstituer un Etat pérenne » en Libye, a conclu Emmanuel Macron. Mais, en attendant, l’Europe n’hésite pas à soutenir les autorités libyennes – celles qu’elle reconnaît, dans un pays déchiré entre deux gouvernements et des groupements armés – pour tenter de contenir les départs vers ses côtes. « L’UE a raison de tenter d’évacuer les migrants de Libye. Mais en même temps, elle collabore avec les autorités libyennes pour empêcher les gens de quitter cet enfer. Le soutien aux autorités libyennes a pour premier objectif d’empêcher ces personnes de venir en Europe, non pas de stabiliser la Libye », regrette Florian Oel, porte-parole d’Oxfam Europe.

Si nombre d’observateurs dénoncent l’ambivalence des politiques européennes, beaucoup voient malgré tout dans ces mesures le signal d’une Europe qui fait ses premiers pas dans la bonne direction pour arracher les migrants au calvaire lybien.

Maria Udrescu
[ SOURCE : http://www.lalibre.be/actu/international/l-europe-et-l-afrique-face-au-calvaire-libyen-5a2056b5cd7095d1cd2df9e9?google_editors_picks=true ]