Il y a presque huit mois, des cas d’insécurité ont été rapportés dans certains coins de Rumonge. Qu’en est-il aujourd’hui ?
C’est vrai. Au mois d’août 2020, il y a des malfaiteurs qui y sont entrés dans le but de perturber la paix et la sécurité. Mais, dans un seul mois, les choses étaient revenues dans l’ordre. Aujourd’hui, la sécurité est là. Mais, il ne faut pas baisser la garde.
C’est à Maramvya que la situation était problématique. Nous avons demandé à la population de se détacher de ces malfaiteurs, de distinguer le bien du mal. Car, quand il n’y a pas de paix, c’est cette même population qui en subit les conséquences. Nous leur conseillons d’ailleurs de ne plus se laisser manipuler.
Lors des dernières élections, des échauffourées entre les jeunes des différents partis politiques ont été signalées. Comment se porte actuellement la cohabitation politique ?
Je pense qu’à Iwacu, peut-être, vous avez reçu des fausses informations. Il n’y a pas eu des accrochages physiques. C’était dans une période électorale où chacun voulait gagner les élections. Je pense qu’en Afrique, c’est toujours comme ça.
Mais, ça ne sert à rien de semer le désordre pour une seule journée, et qu’on regrette pendant 5 ans ou 7 ans. Aujourd’hui, les gens et surtout les jeunes cohabitent pacifiquement.
Rumonge est très jeune et vous êtes nouveau à sa tête. Quels sont vos projets ?
Rumonge est devenue province en mars 2015. Pour son développement, nous sommes à l’œuvre pour essayer de rattraper les anciennes provinces voire les dépasser. Nous sommes en train d’exécuter les projets rassemblés dans un document élaboré par les natifs.
Lesquels ?
D’abord, nous sommes en train de construire un nouveau bureau provincial. Cela sera un bâtiment en étages de deux niveaux. Dans les prévisions, le bureau va coûter environ 1.300.000.000BIF. Mais, le constat est que ça va aller au-delà. Car, quand on a élaboré le projet, les prix de fer à bétons n’étaient pas encore montés. Actuellement, il nous coûtera cher.
Où est-ce que vous allez trouver cette somme ?
L’argent vient premièrement de la population. Le deadline de paiement d’au moins 2000BIF par toute personne de Rumonge, ayant 18 ans, est fixé au 15 mai 2021. Des communiqués ont été faits, des réunions organisées. Le moteur est en marche et nous pensons que personne ne va nous mettre le bâton dans les roues. D’autres fonds viennent des amis de la province. Nous leur disons merci. Des banques nous ont déjà donné un coup de main. D’autres sont en train de le faire.
Mais, on dénonce un recouvrement forcé de ces contributions…
Recouvrement forcé ? Moi je n’ai pas encore entendu cela. Nous passons par des communiqués. Des chefs collinaires ont des reçus de paiement. Les administrateurs ne font que le suivi.
Des rumeurs donc ?
Peut-être. Mais, dans une famille, il peut y avoir un délinquant. Ce qui est normal. Et, en matière de développement, personne ne doit traîner les pieds. Il faut que vous le sachiez. Même vous les journalistes, il faut nous aider. Ceux qui traînent les pieds sont pris comme des ennemis du développement. Dans ce genre de travaux, il n’y a pas de démocratie. Il faut le comprendre. Nous devons nous aligner. Tout le monde doit suivre.
Rumonge semble être une petite ville…
Un projet de son extension est prévu. Ce qui sous-entend l’attribution de nouvelles parcelles. Deux sites sont déjà identifiés : Biremba-Mugomere et Mwange à Kizuka.
Côté éducation, cela fait des années que votre province est classée dernière à l’Exetat…
Malheureusement oui. Dans nos six ans d’existence, nous avons été les derniers pendant trois ans. Une honte. Qu’il pleuve ou qu’il neige, trop c’est trop. Ça ne va pas se répéter. Nous comptons redynamiser ce secteur.
Pourquoi ce mauvais classement ?
Il y a eu un relâchement des administratifs, des éducateurs et même des éduqués. Les apprenants disaient : même si nous étudions, il n’y a pas du travail, d’autres avancent qu’ils sont mal payés, etc.
Qu’avez-vous alors décidé de faire?
Les natifs ont identifié les causes et arrêté des stratégies. Tout le monde doit s’impliquer pour revivifier ce secteur. Les administratifs, de la colline jusqu’à la province, doivent jouer leur rôle.
Concrètement ?
Par exemple, pour les éducateurs, il faut habiter tout près des lieux d’affectation. Ce qui permet un bon encadrement. Les parents doivent suivre de près l’éducation de leurs enfants. Je suis optimiste que cette fois-ci, cette place sera occupée par une autre province.
La RN3 est vraiment en piteux état. Quid de sa réhabilitation ?
Cela figure parmi nos priorités. Le début des travaux approche. Les dernières clauses viennent d’être signées, ce 3 mai. Ceux qui sont chargés des travaux vont commencer. C’est un projet qui a beaucoup d’autres travaux connexes.
Par exemple ?
La construction du port de Rumonge. Les usagers et les habitations environnantes sont déjà informés et préparés. Quatre routes secondaires qui mènent sur les chefs-lieux des quatre communes : Muhuta, Bugarama, Burambi et Buyengero seront construites. Des avenues urbaines seront pavées ou macadamisées.
Dans nos projets, il est prévu également la construction d’un marché transfrontalier.
Les producteurs des fruits enregistrent de grandes pertes. Y aurait-il un projet dans ce domaine ?
Oui. Nous voulons construire une usine de production de jus. Nous voulons limiter ces pertes où des cultivateurs sont souvent obligés de vendre leur production à bas prix. Un seau rempli de fruits qui coûte moins de 5000BIF. C’est une perte énorme. Il faut les transformer sur place pour que le cultivateur ait un bénéfice conséquent.
Nous comptons aussi développer le tourisme côté Lac Tanganyika. Rumonge est riveraine du lac sur une distance d’environ 70 km.
Enfin, il y a un projet de construction d’un grand parking moderne. Nous sommes à la recherche d’un site.
Etes-vous optimistes que ces projets seront réalisés ?
Je suis très confiant. Pour réussir, je demande à tous les natifs de se coaliser, d’être solidaires et d’avoir une seule et commune vision : développer leur province.
Les eaux du Lac Tanganyika ne cessent de monter. Quelle est la situation à Rumonge ?
Très critique. Beaucoup de maisons sont déjà inondées et détruites. Aujourd’hui, nous avons 1650 ménages déjà déplacés. Ils sont éparpillés chez des amis. Nous avons lancé une alerte et certains bienfaiteurs ont déjà manifesté leur volonté d’aider. La plateforme provinciale essaie de se débrouiller. Les cas qui nous dépassent sont envoyés aux autres échelons.
Les pertes sont importantes …
Difficile à déterminer avec exactitude. Le port de Rumonge est inondé. Des bâtiments qui servent de bureaux ne sont pas épargnés. Des maisons que OIM avaient construit pour le port de Rumonge, des bars… sont inondés. Ce qui signifie que les caisses communales ou provinciales sont affectées.
Les sites de pêche ne sont pas à l’abri. Même la production de poisson a baissé. Car, les zones de frayeur qui servent à la reproduction des poissons sont envahies par les eaux.
Existe-il un site pour ces déplacés ?
Dans cette période de Covid-19, nous avions préféré qu’ils se casent dans des ménages. Une façon d’éviter des contaminations. Un site d’accueil est en train d’être aménagé.
Qu’en est-il de l’assistance ?
D’abord, beaucoup de toilettes ont débordées. Nous avons alors fait appel à la Croix Rouge pour la décontamination. Et ce, afin d’éviter des maladies de mains sales.
Certains humanitaires sont déjà venus comme le PAM via la plateforme nationale. Ils ont donné des cahiers pour les élèves, des ustensiles de cuisine, du matériel de couchage, des couvertures, et une aide alimentaire. Nous sommes en train d’élaborer un rapport détaillé pour montrer la situation et les besoins.
Qu’est ce qui fait vivre les gens de Rumonge ?
Ils vivent de l’agriculture et de l’élevage. Ils consomment surtout le chikwangue (uburobe) et le poisson. Ils cultivent du palmier à l’huile, des cultures vivrières tel le manioc, le haricot, les légumes, les céréales, les fruits, etc. D’autres font du commerce et le transport.
Est-ce que vous ne craignez pas qu’avec ces eaux du lac, la production de l’huile de palmier baisse ?
Nous avons vraiment peur. La production va baisser car beaucoup d’hectares de palmier à l’huile ont été envahis par les eaux. Or, quand il y a trop d’eau, les palmiers à l’huile ne résistent pas. Ils deviennent secs.
Le seul cimetière de la ville de Rumonge est presque saturé…
La question est vraiment connue. Ça nous préoccupe beaucoup. L’administration communale est en train de chercher un autre site.
Dans certains coins de Rumonge, des boissons prohibées existent encore. Que faites-vous pour décourager ce commerce illicite?
C’est un combat. Avant, la boisson appelée ‘’Kanyanga ‘’ était très consommée. On dirait même une boisson autorisée. Nous avons décidé que si on la saisit sur une telle colline, ce sont les élus collinaires qui seront emprisonnés les premiers. Nous avons passé à l’acte. Beaucoup d’élus collinaires ont été arrêtés et emprisonnés.
Quels sont les résultats ?
Actuellement, cette boisson est en train de disparaître. Par exemple, à Muhuta, ce sont les producteurs qui abandonnent de leur propre gré. Ils transportent le matériel de production chez le chef de zone ou chez l’administrateur pour leur montrer qu’ils abandonnent ça. C’est une avancée importante. Mais, il reste à faire parce que les récalcitrants existent encore. Ils préfèrent même se déplacer vers les provinces limitrophes comme à Bururi pour la fermentation de cette boisson.
Le concubinage ou la polygamie est souvent évoqué à Rumonge. Est-ce une réalité ?
Honnêtement, il y a beaucoup de cas. Peut-être que c’est lié aux moyens financiers. Ils ont de l’argent. La polygamie est normale pour eux. De notre côté, nous continuons à sensibiliser, à montrer que la polygamie est punissable. Les coupables payent une amende et sont emprisonnés. Une façon de décourager cette pratique.
Rumonge a été beaucoup touchée par la crise de 1972. Quelle est la cohabitation actuelle entre rapatriés et résidents ?
Rumonge a accueilli environs 1500 rapatriés de 1972. Ils ont trouvé d’autres personnes dans leurs terres. Pour la seule commune de Rumonge, il y a 4.550 cas litigieux soumis à la CNTB. Trop de problèmes entre résidents et rapatriés.
Nous essayons de les réconcilier, mais, on ne réussit pas toujours. Il revient aux différentes commissions de prioriser notre province. Car, beaucoup de personnes sont mortes en 72. Que les Burundais apprennent leur passé et se réconcilient pour éviter que de telles tragédies se répètent. Et ce, pour un bon avenir des jeunes générations.
Propos recueillis par Fabrice Manirakiza & Rénovat Ndabashinze