L’Afrique représente pour la Russie un marché très juteux pour la vente d’armes et de matériel militaire. Et Vladimir Poutine profite de la défiance croissante des Africains envers les États-Unis et les Européens pour présenter son pays comme un partenaire alternatif. Avec une arme secrète : ses mercenaires.
En 2019, la ville balnéaire de Sotchi, sur les rives de la mer Noire, a accueilli la réunion inaugurale du sommet Russie-Afrique. Pour l’occasion, le président russe Vladimir Poutine a assuré que son pays « n’allait pas participer à une nouvelle partition des richesses du continent, mais qu’il était au contraire prêt à s’engager dans la compétition pour la coopération avec l’Afrique. […] Nous sommes capables, au minimum, de doubler nos échanges commerciaux au cours des cinq prochaines années. » Le sommet, qui réunissait une quarantaine de chefs d’État africains sur le territoire de la superpuissance soviétique, n’a pas été le succès commercial escompté, mais la Fédération a obtenu quelques juteuses signatures dans un domaine où son expertise est incontestable : l’armement. Et au Kremlin, on en était plutôt fier selon Alexandre Mikheev, le patron de Rosoboronexport, la société publique russe en charge des ventes d’armes: « L’Afrique représente 40% du volume du portefeuille de commandes actuelles à la fois en termes de valeur et de livraisons de différents types d’armes et d’équipements militaires. »
Des armes et des combattants
Deux ans après ce sommet inaugural, et alors qu’une seconde édition est annoncée pour 2022, Moscou n’a pas rejeté dans la défausse sa carte africaine. Mais là où la Chine s’est positionnée en acteur incontournable en finançant de nombreuses infrastructures sur le continent, comme des routes, des ponts ou des barrages, la Russie opte pour une approche difficile à qualifier de soft power. Le pays veut se positionne comme une alternative aux puissances occidentales traditionnelles – France et USA en premier lieu : la Russie veut se montrer capable de maintenir l’ordre dans un nombre croissant de nations africaines. Et les ventes d’armes n’étaient qu’une première étape : Moscou fournit dorénavant les troupes.
Plus tôt cette semaine, diverses sources européennes affirmaient que la junte militaire en place au Mali négociait l’arrivée d’un millier de mercenaires au Groupe Wagner, une entreprise militaire privée très proche du Kremlin. Mais ces soldats à louer, accusés de divers crimes contre les droits humains, sont déjà bien implantés en Centrafrique, où ils servent de garde rapprochée au président. Ces mercenaires sont aussi présents en Libye, où la Russie soutient le maréchal Khalifa Haftar dans la guerre civile.
Défiance face aux vieux empires
Dans de nombreux autres pays africains, l’ingérence des puissances « classiques » dans la région, à savoir les États-Unis, et la France dans son ancien empire colonial, ne passe plus. Au Mali par exemple, les manifestations hostiles à la présence française se sont multipliées avant et après le putsch militaire de mai dernier. Et celui-ci a précipité la décision d’Emmanuel Macron de mettre fin à l’opération Barkhane contre les mouvements jihadistes du Sahel. Si la France ne se retire pas complètement et doit préparer le terrain pour une coalition européenne, il y a quand même un appel d’air qui attire le Kremlin. Or, en Afrique de l’Ouest, on voit parfois, lors de manifestations, des pancartes appelant à des liens plus étroits avec la Russie, au détriment des relations habituellement privilégiées avec la France.
Le protecteur contre les « impérialistes »
Ces derniers mois, Poutine avait déjà signé des accords de coopération militaire avec le Nigeria et l’Éthiopie, les deux pays les plus peuplés du continent. L’un est confronté à la résurgence du mouvement islamiste Boko Haram, tandis que l’autre s’enfonce dans la guerre civile au Tigré. À ces pays, la Russie peut offrir des conseillers militaires et du matériel, mais aussi des hommes prêts à faire le sale boulot sans se soucier des répercussions en termes d’image internationale. Et ce sans le passif colonial qui donne aux interventions occidentales des airs d’ingérence manifeste -pas toujours sans raison. Dans certains pays comme l’Angola, la Russie reprend même le rôle de protecteur face aux agressions « impérialistes » des anciens colonisateurs, que l’Union soviétique voulait incarner dans plusieurs régions du continent.
Évidemment, l’enjeu n’est pas -que- de damer le pion à la France et à l’Amérique. En soutenant militairement des États africains, la Russie s’assure un approvisionnement privilégié en minerais rares, comme la bauxite en Guinée, ou encore le diamant en Angola, ou encore en or en Centrafrique. La Russie s’intéresse aussi aux gisements africains et, dans ce domaine, elle peut offrir son expérience dans l’extraction du gaz ou du pétrole, de même que sa maîtrise de l’énergie nucléaire dans des pays qui se penchent aussi sur leur transition énergétique. Le Kremlin enverra peut-être un jour plus d’ingénieurs que de combattants en Afrique. À moins qu’il ne se heurte aux intérêts de Pékin, qui passent aussi par ce continent.