Pour soulager les mémoires blessées et panser les plaies laissées par différentes crises qui ont endeuillé le Burundi, un processus de justice transitionnelle a été initié pour la restauration du vouloir vivre ensemble. Une tâche difficile sans traitement des traumas.
Une Commission Vérité et Réconciliation est à pied d’œuvre dans sa mission ultime de découvrir la vérité afin d’amener les Burundais à cheminer ensemble vers la réconciliation, un vaste chantier qui demande de faire preuve de tact et de délicatesse.
Face à la détresse et autres traumas qui se sont emparés et pris en otage des milliers de Burundais, victimes de ce passé sombre, avec tous leurs corollaires comme le manque de confiance, l’intolérance, la hantise du passé, des réminiscences obscures, la peur de l’autre, le mal-être, … des voix s’élèvent pour appeler la CVR à tenir en compte la prise en charge psychosociale de ces personnes affectées par les tristes événements ou bouleversements qui ont jalonné l’histoire mouvementée de ce pays meurtri.
Pour la Commission Vérité et Réconciliation, la recherche de la vérité sur ce passé sombre est primordiale comme le stipule son président, Pierre-Claver Ndayicariye.
« Il nous faut tout d’abord connaître la vérité, exhumer la vérité, c’est cela le premier chemin pour détraumatiser les familles éplorées, qui ont perdu les leurs », insiste le président de la CVR.
Au Burundi, confie-t-il, il y a des familles des victimes à qui on a dit que leur papa est parti en Zambie, en Tanzanie, au Malawi, en Ouganda mais lorsque nous avons commencé les travaux d’exhumation, ces familles ont alors découvert que leur papa n’était pas en Zambie, ni en Tanzanie, encre moins au Malawi ou en Ouganda. « Leur papa a été arrêté, tué puis jeté dans une fausse commune ».
Révéler la vérité et laisser les gens pleurer
Pour Pierre-Claver Ndayicariye, le premier remède du traumatisme, c’est la révélation de la vérité et la deuxième recette, c’est de donner à ces familles éprouvées l’occasion de pleurer.
Lors des auditions des veuves et des orphelins, révèle le président de la CVR, nous les gardons pendant une heure et demie et pendant le temps que nous passons ensemble, une bonne moitié, c’est pour verser des larmes, c’est pour pleurer et après, ils nous disent que c’est pour la première fois qu’ils témoignent depuis la disparition ou la perte d’un être cher, le mari, le fils aîné.
« Pleurer participe à la détraumatisation parce que ces familles qui ont perdu les leurs, ne les ont pas pleurés, elles n’ont pas organisé le deuil encore moins la levée de deuil définitive », indique le président de la CVR.
Une autre étape pour détraumatiser les victimes, confie-t-il, c’est au niveau de la loi. « C’est l’indemnisation, la réparation morale, psychologique, matérielle, il y a également la réparation financière quand c’est possible ».
Selon Alexis Nibigira, chargé du programme de prise en charge psychosociale au sein de THARS (Trauma Healing and Reconciliation Services), la gestion et le traitement des traumas doit accompagner toutes les actions de la Commission Vérité et Réconciliation. « En recherchant la vérité, en procédant aux exhumations, cela réveille les mémoires enfouies dans l’inconscient de chaque personne ».
Eviter à tout prix la transmission violente des mémoires
Même si la recherche de la vérité est primordiale pour réconcilier les gens et pour ressouder le tissu social déchiré, fait-il remarquer, la démarche ou le processus retraumatise les victimes et c’est pourquoi, la réparation psychologique doit aller de pair avec la recherche de la vérité.
Pour ce psychologue, le traitement des traumas et leurs séquelles est le parent pauvre de la Justice transitionnelle. D’après lui, ce volet doit avoir sa place dans tout le processus de traitement du passé.
Quand il est question de réparation, explique Alexis Nibigira, les gens ont tendance à voir les réparation symboliques, matérielle, mémorielles et souvent la réparation psychologique, pourtant primordiale est oubliée, négligée alors qu’elle constitue la garantie de non-répétition des crimes.
Au niveau communautaire, note Alexis Nibigira, quand il y a eu stabilisation, quand les victimes ont bénéficié d’un accompagnement psychosocial, chaque membre a confiance en soi et il est facile de se réconcilier avec l’autre.
Même au niveau de la justice, fait-t-il remarquer, quand les gens se rendent compte que c’est tel qui a commis un crime, cela réveille la mémoire.
« Le soutien psychosocial doit être transversal sur tous les piliers de la Justice transitionnelle, souvent cela manque et il y a des conséquences sur la jeunesse », indique ce psychologue.
Selon lui, il y a le trauma individuel, il y a le trauma collectif et il y a le trauma intergénérationnel. « Si l’on n’y prend pas garde, il y a cette transmission violente des mémoires suite aux traumas non traités d’où la nécessité de réserver une place de choix au soutien et à l’accompagnement psychosocial ».
La plupart des observateurs insistent sur ce danger de la transmission violente des mémoires, des traumas. Au Burundi, toutes les crises, même la toute récente, portent des stigmates des crises antérieures non traitées ou mal traitées.