Connue pour ses plages paradisiaques, la Barbade intronisera mardi la présidente Sandra Mason, élue au suffrage universel indirect, comme cheffe d’Etat, en remplacement de la reine britannique Elizabeth II.
Les célébrations de cette transition historique vers le régime républicain, qui incluent fêtes et parades militaires, débuteront lundi soir en présence du prince Charles, héritier de la couronne britannique.
L’avènement d’une république dans ce micro-Etat des Caraïbes indépendant depuis 1966 a fait suite à des années de campagne locale et a ravivé les débats sur les siècles d’influence britannique, marqués par 200 ans d’esclavage.
« En tant que jeune fille, quand j’entendais parler de la reine, j’étais très excitée », se rappelle Sharon Bellamy-Thompson, 50 ans, qui a aperçu lorsqu’elle était enfant, Elizabeth II en visite dans l’île.
« En grandissant, j’ai commencé à me demander ce que cette reine représentait vraiment pour moi et mon pays. Cela ne faisait aucun sens », confie la vendeuse de poissons dans la capitale Bridgetown. « Avoir une femme barbadienne présidente sera super », poursuit-elle.
« Chaînes mentales »
Pour certains militants, comme Firhaana Bulbulia, fondatrice de l’Association musulmane de la Barbade, la colonisation britannique et l’esclavage sont directement responsables des inégalités sur l’île.
« Les écarts de richesse, la capacité à être propriétaire, même l’accès aux prêts bancaires, tout cela est lié aux structures créées sous le pouvoir britannique », soutient la jeune femme de 26 ans.
« Les chaînes physiques (de l’esclavage) ont été brisées et nous ne les portons plus, mais les chaînes mentales persistent dans nos esprits », lance-t-elle.
La Barbade a tenu en octobre la toute première élection présidentielle de son histoire, 13 mois après l’annonce du divorce constitutionnel d’avec la Couronne britannique.
Mais certains habitants pointent l’existence de problèmes plus urgents, notamment la crise économique causée par la pandémie de Covid-19, qui a exposé au grand jour la dépendance du pays envers le tourisme, en particulier issu du Royaume-Uni.
Avant l’émergence du virus, l’île aux eaux cristallines était visitée chaque année par plus d’un million de personnes.
Le calme des rues habituellement animées de Bridgetown, le nombre dérisoire de visiteurs et une vie nocturne moribonde témoignent aujourd’hui des difficultés de cette perle des petites Antilles, qui compte environ 287.000 habitants.
Le chômage atteint près de 16%, en hausse de 9% par rapport aux années précédentes, en dépit de l’augmentation des emprunts gouvernementaux pour financer des travaux du secteur public et créer des emplois.
Le pays vient à peine d’assouplir certaines mesures sanitaires anti-Covid, comme le couvre-feu en vigueur, passé de 21h00 à minuit.
« La hausse du nombre de contaminations au Covid, et la montée d’un sentiment d’anxiété et de peur – je ne pense pas que ce soit le bon moment », pour organiser des célébrations, déplore le chef de l’opposition, l’évêque Joseph Atherley.
« S’en sortir par nous-mêmes »
Des critiques visent aussi l’invitation du Prince Charles par la Première ministre barbadienne, Mia Mottley, qui doit lui remettre la plus haute distinction de l’île, l’ordre de la liberté (« Order of Freedom »).
« La famille royale britannique est coupable d’exploitation dans cette zone, et pourtant, elle n’a présenté aucune excuse officielle ou forme de dédommagement pour les préjudices passés », estime Kristina Hinds, professeur de relations internationales à l’Université des Indes occidentales à la Barbade.
« Donc je ne comprends pas comment quelqu’un de la famille royale peut recevoir ce prix. Ca me dépasse », ajoute-t-elle.
La fin de la souveraineté d’Elizabeth II sur la Barbade est ainsi vue par certains comme une étape cruciale vers des réparations financières pour les conséquences historiques de la traite des esclaves, amenés d’Afrique pour travailler dans les plantations de sucre.
Pour d’autres, c’est simplement une façon d’être en phase avec ce que les habitants souhaitaient depuis de nombreuses années.
Un certain nombre de pays ont depuis leur indépendance choisi de retirer à la reine d’Angleterre la position de chef d’Etat, comme le Guyana (1970), Trinité-et-Tobago (1976) et la Dominique (1978). Mais elle reste la souveraine du Canada ou d’Australie.
« C’est une très bonne chose que nous devenions une république, parce que nous sommes indépendants depuis 55 ans maintenant et il est temps de montrer que l’on peut s’en sortir par nous-mêmes », pointe Derry Bailey, 33 ans, propriétaire d’un commerce de location d’équipements de sport nautique.
AFP