Dans un récent rapport, la Commission nationale Terres et autres biens (CNTB) a affirmé que les terrains se trouvant dans le site Kizingwe-Nyabugete en commune Muha de la mairie de Bujumbura appartiennent à l’Etat. Les propriétaires parlent d’un rapport complètement biaisé et dépourvu de toute valeur juridique. Selon le président de la CNTB, ce n’est qu’un rapport et non une décision.
Dans une lettre envoyée au Secrétaire général du Cndd-Fdd, Révérien Ndikuriyo, les propriétaires des terrains du site Kizingwe-Nyabugete fustigent le dernier rapport produit par la CNTB. Selon eux, cette institution se contredit et viole plusieurs lois. « Ce rapport ne vise que semer la discorde entre les propriétaires et Leta Myeyi, Leta Nkozi. » Ils demandent au Secrétaire général du parti au pouvoir d’interjeter pour eux auprès des autorités habilitées afin que leurs terrains ne soient pas spoliés.
Dans son rapport, la Cntb indique qu’elle a trouvé que les terrains du site Kizingwe-Nyabugete appartiennent à l’Etat et que cette question a été vidée par la Commission foncière nationale (CFN) dans leurs rapports du 15 mars 2018 et 25 septembre 2018 comme le prévoit le Code foncier de 2011.
La CNTB demande aux autorités habilitées de revoir tous les procès concernant ce site et de revoir le contrat de viabilisation du site qui lie le ministère des Travaux publics et l’Association des propriétaires des parcelles de Nyabugete (APPN) signé le 23 février 2010. La CNTB demande également de poursuivre en justice ceux qui se disent propriétaires et qui ont vendu des parcelles dans ce site et de poursuivre aussi certains agents de l’Etat qui ont fait que l’Etat perde beaucoup d’argent et de le rembourser (action récursoire). La CNTB cite les agents de l’urbanisme, Société immobilière publique (SIP) ainsi que des personnes travaillant dans la justice.
« C’est un rapport biaisé »
« Les représentants des Associations des Propriétaires de Parcelles de Nyabugete (APPN I&II ; III, IV&V) sont profondément surpris et consternés de constater que la CNTB, en toute violation de la loi la régissant, vient de produire un rapport non seulement littéralement mensonger, illégal et portant atteinte aux plus hautes institutions de la République du Burundi, avec de très lourdes conséquences socioéconomiques, judiciaires et sécuritaires dans le pays », indiquent ces représentants. Selon eux, ce rapport viole l’ordre juridique, administratif et la Jurisprudence dont celle de la CSTB et de la CNTB elle -même.
Selon ces représentants, ce rapport fait suite à une correspondance du ministère en charge de l’Agriculture et portant comme objet : « Transmission d’un dossier pour traitement ». Selon cette correspondance, poursuivent-ils, il s’agissait d’un dossier relatif aux controverses sur le caractère domanial ou non du site Kizingwe-Nyabugete et la revendication foncière d’un groupe de 9 personnes. « Ces 9 personnes font partie de plusieurs centaines d’autres, dont les titres de propriété acquis frauduleusement dans les années 2000 ont été annulés en date du 15 septembre 2011 par Ordonnance du ministère de la Justice et Garde des Sceaux. Et cela après une double demande officielle du maire de la Ville de Bujumbura et du ministre en charge de l’Urbanisme». Ces représentants affirment que, depuis plus de 10 ans que ces titres de propriété frauduleux ont été annulés, ce groupe de 9 personnes a toujours évité la voie judiciaire, préférant semer continuellement la zizanie entre différentes instances gouvernementales.
Plusieurs autorités et institutions ont traité ce dossier
En 2008, les propriétaires des terrains de ce site ont reçu une indemnisation à raison de 2.500 Fbu/ m². Néanmoins, comme l’ordonnance ministérielle n°720/CAB/304/2008 fixait cette indemnisation à 7.500 Fbu / m², la population concernée a réclamé un ajustement de leurs indemnisations à cette nouvelle ordonnance en vain. « Nous avons porté l’affaire devant des juridictions jusqu’à la Cour Suprême et l’Etat a perdu le procès », confient ces représentants.
L’Arrêt RAA 1095 de la Cour Suprême et l’Arrêt RAA 26000 de la Cour Suprême, Chambre de Cassation du 09/03/2016 (rejet du pourvoi formulé par les Avocats de l’Etat contre l’Arrêt RAA 1095 du 5/9/2014) ont intimé l’ordre à l’Etat à payer les 5000 Fbu / m² qui restaient. « C’est une preuve irréfutable que la question de domanialité du site Kizingwe-Nyabugete a été définitivement vidée par la Haute juridiction nationale. Aucune autre institution dans un Etat de droit, même la CFN ou la CNTB, ne peut mettre en cause ce verdict déjà coulé en force de la chose jugée depuis 2016. » De plus, indiquent-ils, une liste de plus de 200 personnes propriétaires de terrains sur le site Kizingwe- Nyabugete recensées par l’administration pour être indemnisées a été transmise comme preuve à la CNTB.
En avril 2016, le Chef de Cabinet civil du président de la République de l’époque, Général Major Evariste Ndayishimiye qui est aujourd’hui président de la République, a reconnu que l’Etat doit encore 5000Fbu/ m2 aux propriétaires « surtout que le jugement a déjà acquis la force de la chose jugée».
Après avoir été rétablis dans leurs droits, les propriétaires des terrains de Nyabugete I et II se sont constitués en association dénommée Association des propriétaires de parcelles de Nyabugete (APPN). En 2010, cette dernière a signé une convention avec la Direction générale de l’Urbanisme (DGUH). En date du 15 mars 2010, la convention fut approuvée par le ministre de l’Eau, de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et de l’Urbanisme. « Dans cette convention, les deux parties se sont convenues des modalités pratiques de partenariat pour la cogestion et le financement des travaux d’aménagement de ce site. Il était bien spécifié que l’APPN cède 47 % de son terrain à la DGUH, les 53 % restant étant la propriété de l’APPN. Dans cette convention également, il était prévu que les membres pourront construire ou vendre leurs parcelles conformément à la législation en vigueur au Burundi. » C’est ce qu’a écrit Alain Guillaume Bunyoni, alors ministre de la Sécurité publique et de la Gestion des catastrophes au IIème Vice-président de la République. C’était dans une lettre TOP SECRET du 3 juillet 2019. « Cette autorité a rappelé que la question a été analysée à plusieurs échelons du pays, de la plus haute Autorité à la Mairie de Bujumbura en passant par les différents ministères, en plus d’un comité interministériel et de la Cour Suprême dont les conclusions sont unanimes sur la non- domanialité des terres de Kizingwe-Nyabugete. Nous trouvons très surprenant que la CNTB n’ait pas réservé une moindre attention à ce document », s’interrogent les représentants.
D’après eux, il y a également violation de la jurisprudence de la Cour spéciale terres et autres biens (CSTB) et de la CNTB. « Plusieurs décisions de la CNTB ont départagé différents propriétaires de terrains sur ce site de Kizingwe (N°009/2012 du 12/05/2012, N°/REC 662/2016 du 14/10/2016 N°134/BJM/2019 du 29/10/2019, …) Ces exemples parmi plusieurs autres sont rendus sur base des investigations et des débats contradictoires entre les familles qui se disputaient le droit de propriété. Nulle part le caractère domanial de ces terrains n’a été invoqué ni par la CNTB ni par aucune des parties en cause. » Pour eux, cette jurisprudence de la CNTB démontre qu’elle reconnaît elle-même que lesdits terrains appartiennent aux populations.
« Une partie de ces familles a eu gain de cause comme propriétaires devant la CNTB et même la CSTB. Au courant de l’année 2021, le président de la CNTB est descendu sur ces terrains pour superviser en personne les décisions». Si par l’exécution extraordinaire il advenait que ce site soit domanial, confient-ils, le président de la CNTB et toute son équipe seraient les premiers à se voir infligé une action récursoire qu’il propose pour les juges de la Cour Suprême et aux responsables en charge de l’Urbanisme qui n’ont pas soutenu la prétention illégale du groupe des 9 personnes.
Des conclusions de la CNTB tronquées ?
Félicien Nduwuburundi : « Ce n’est qu’un rapport d’enquête et non une décision. C’est aux décideurs de le traiter et de décider quoi en faire.»
« Dans son rapport, la CNTB brille par la non considération des documents administratifs et judiciaires qui tracent l’historique des parcelles du site Kizingwe-Nyabugete. Les seuls documents qui ont intéressé la CNTB sont les rapports de la CFN produits en violation du droit de défense, du principe sacro- saint de séparation des pouvoir, du respect de la chose jugée et du respect de la hiérarchie pyramidale dans l’administration publique », analyse les représentants des propriétaires. Selon eux, les conclusions de ce rapport de la CNTB ne reflètent aucune réalité et par conséquent ne peuvent contribuer en rien à la résolution de la question posée. « Hormis son caractère illégal, ce rapport s’écarte dangereusement de très loin de l’objet idéal recherché par la CNTB, à savoir celui de concilier les objectifs du respect des droits humains, de la loi, de l’équité, de la réconciliation et de la paix sociale. »
Les représentants des propriétaires demandent aux hautes autorités du pays de constater que ledit rapport manque de motivation légale suffisante et d’éléments ou documents nouveaux pouvant remettre en cause tous les actes administratifs déjà engagés par le gouvernement burundais et surtout les Arrêts de la Cour Suprême coulés en force de la chose jugée. Mais aussi d’en mesurer les conséquences socio-sécuritaires et économiques d’une éventuelle mise en application de ses recommandations. Ils les exhortent également à tranquilliser les milliers de citoyens victimes de ces manœuvres spéculatives.
« Ils doivent savoir que ce n’est qu’un rapport d’enquête et non une décision. C’est aux décideurs de le traiter et de décider quoi en faire », réagit Félicien Nduwuburundi, président de la CNTB. Ce dernier souligne que la CNTB ne se dédit pas : « Il faut qu’ils différencient le droit d’exploitation et le droit de propriété. »
Par Fabrice Manirakiza (Iwacu)