« Mon analyse n’est pas à vendre », répond Stef Vandeginste à son détracteur @rib News, 01/07/2014
Cher Monsieur Bamwumva,
J’ai lu avec grand intérêt votre réponse à mon papier “La limitation constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels : une coquille vide ?” sur le site www.tutsi.org et sur le site www.arib.info le 30 juin 2014. Permettez-moi de répondre, à mon tour, à certaines de vos observations. Avant tout, je voudrais vous remercier très sincèrement pour votre lecture attentive de mon papier. Comme vous le dites à juste titre, le silence des acteurs politiques (mais aussi académiques) burundais sur ce sujet est étonnant. Votre réaction constitue donc une importante contribution au débat.
Pour répondre, je reprends des passages de votre réaction (soulignés ci-dessous) et j’insère mon observation.
Pour essayer de manipuler un électorat de plus en plus sceptique, déçu et blasé, il a notamment pris l’option de s’acheter en espèces sonnantes et trébuchantes, dans les quatre coins de la planète, des expertises aussi farfelues qu’injustifiées. C’est ainsi que le président Pierre Nkurunziza vient de trouver un défenseur de sa thèse, un expert juriste belge, un constitutionnaliste connu des internautes burundais, en l’occurrence un certain Stef Vandeginste, chargé de cours à l’Université d’Anvers en Belgique et collaborateur du Professeur Filip Reyntjens.
Tout d’abord, je tiens à clarifier que je n’ai reçu aucune demande et aucun financement de la part du Président, de son parti, de son gouvernement ou de son entourage. C’est une accusation que je rejette donc. Mon analyse n’est pas à vendre. Je constate et je regrette, une fois de plus, qu’une analyse technique est perçue comme étant politique – comme si par définition toute analyse académique était une activité commerciale. Pour vous rassurer, j’ajoute que quand j’ai publié mon analyse précédente («Une nouvelle Constitution pour le Burundi?») – que je vous envoie en annexe – on m’a accusé d’avoir été payé par l’opposition. Avec tous ces paiements imaginaires, je peux me construire de nombreux châteaux malheureusement tout aussi imaginaires.
il fait bien d’annoncer, d’entrée de jeu, que le prescrit de la Constitution en ce qui concerne le mandat du Chef de l’État ne l’intéresse guère : « Le présent papier se limite donc à l’analyse d’une question très précise et ne s’intéresse pas au bien-fondé du principe. Nous n’abordons pas non plus la question complexe de savoir si un mandat supplémentaire (troisième ou, selon certains, deuxième mandat) de Pierre Nkurunziza serait contraire ou conforme à la Constitution ».
Contrairement à ce que vous dites, le prescrit de la Constitution m’intéresse énormément. Pour preuve, voici en annexe un autre papier que j’ai publié en 2012 sur le sujet de l’éventuel troisième mandat de Pierre Nkurunziza. J’y écris qu’une candidature à un troisième mandat serait contraire à l’Accord d’Arusha, mais que le statut juridique de cet Accord en droit constitutionnel peut poser problème. Ayant déjà analysé la question du troisième mandat quant au fond, j’explique donc que, dans ce nouveau papier, je me concentre uniquement sur la procédure et sur les pouvoirs des deux instances analysées. En note de bas de page numéro 7, je renvoie d’ailleurs de manière explicite au papier précédent.
Aussi est-il difficile de comprendre la conclusion de cet expert constitutionnaliste, qui veut que ni « la Ceni, ni la Cour Constitutionnelle, nul ne peut l’arrêter » (la candidature du président Nkurunziza pour son 3eme mandat).
Vous donnez l’impression de me citer, mais vous ne le faites pas. Nulle part dans mon papier, j’aboutis à cette conclusion dans ces termes. Je dis clairement qu’il y a une procédure devant la Cour constitutionnelle (demande d’interprétation de la Constitution) qui permet de jeter de la lumière sur la conformité à la Constitution de son éventuelle candidature.
Si la Ceni a la mission de vérifier la recevabilité des candidatures, pourquoi les membres de cette Ceni, si du moins ce sont des hommes et des femmes intègres et à l’esprit indépendant, ne prendraient-ils pas en considération toutes les exigences de la loi pour évaluer la recevabilité de la candidature du président Nkurunziza?
Voilà la question que j’aborde dans le papier. Je présente trois hypothèses et j’essaie de trouver et d’évaluer des arguments en faveur de ces trois hypothèses. Vous êtes favorable à la troisième hypothèse (« toutes les exigences de la loi »). On peut, en effet, considérer une telle position comme ‘logique’ et ‘souhaitable’, mais en analysant la loi et surtout la pratique de la CENI, je conclus que cette troisième hypothèse est la moins probable. Ceci dit, ce que je pense n’est même pas important. Ce qui importe est de savoir ce qu’en pense la CENI : quelle interprétation fait-elle de ses pouvoirs en relation avec la recevabilité des candidatures ? Il me semble important et opportun de demander à la CENI qu’elle clarifie l’opinion publique sur ce point, ce que je suggère d’ailleurs en note de bas de page numéro 18.
Il ne nous semble pas judicieux de leur exiger de motiver le rejet de sa candidature «sur tous les points de non-conformité à la Constitution et à la présente loi» et ne pas leur reconnaître le droit de recourir à ces mêmes exigences rigoureuses dans l’exercice d’évaluation de son acceptabilité.
C’est effectivement un argument que je mentionne (pages 9 et 10) et qui suggère que la CENI pourrait aller plus loin qu’une simple vérification administrative. En plus, j’ajoute d’ailleurs un deuxième argument en donnant un cas très concret dans lequel la CENI a dépassé le simple contrôle administratif.
L’expert constitutionnaliste nous déclare encore que « la Cour constitutionnelle n’aura pas à statuer sur la recevabilité de sa candidature. Nulle part dans la Constitution, dans le Code électoral ou dans la loi régissant la Cour constitutionnelle, il n’est prévu que la Cour doive confirmer une candidature déclarée recevable par la CENI. Il n’est pas non plus prévu qu’un tiers intéressé puisse contester, devant la Cour, une candidature déclarée recevable par la CENI ». Au regard de cette assertion, l’expert juriste donne à penser que le rôle de la Cour constitutionnelle consiste à statuer sur la recevabilité de la candidature de Nkurunziza. Il en fait une juridiction de recours à la Ceni.
Je n’en fais pas une juridiction de recours, ce n’est d’ailleurs pas mon rôle. Je fais le simple constat que, suivant la loi burundaise, un rejet de candidature par la CENI peut être contesté devant la Cour (article 103), mais qu’en cas d’acceptation de candidature, aucun recours n’est prévu.
Les membres de la Cour constitutionnelle devront se prononcer, en cas de saisine de celle-ci, sur la conformité de cette candidature de Nkurunziza à toutes les exigences de la loi.
Je me permets, à mon tour, de vous poser la question suivante. Vous écrivez «en cas de saisine de celle-ci» : par qui et à travers quelle procédure la Cour sera-t-elle saisie pour se prononcer sur cette question ? Les citoyens burundais intéressés peuvent bien saisir la Cour en rapport avec la constitutionnalité d’une loi, mais nulle part il est prévu la même chose pour la constitutionnalité d’une candidature qu’ils considèrent contraire à la constitution. Serait-ce souhaitable qu’ils puissent le faire ? C’est un autre débat. Je constate tout simplement qu’il y a une lacune dans la loi. J’ajoute que, si l’opposition avait le quart des députés ou des sénateurs requis par l’article 228 de la Constitution, elle aurait pu saisir la Cour pour lui demander d’interpréter la Constitution.
L’article 96 de la Constitution qui parle de deux mandats du Président sera examiné sous tous les cas de figure pour savoir, si oui ou non, il y a eu un exercice effectif des pouvoirs de Président de la république par Monsieur Pierre Nkurunziza pendant deux périodes de cinq ans chacune.
Vous écrivez «sera examiné sous tous les cas de figure». Je vous pose encore la question : par quelle(s) instance(s) et suivant quelle procédure?
En cas de doute, la Cour peut toujours recourir aux travaux préparatoires pour sonder la pensée et l’esprit du constituant et du législateur sur ce sujet. Ces derniers n‘ont pas été muets et la limitation constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels n’est pas une coquille vide.
Vous avez raison de dire qu’une Cour peut recourir aux travaux préparatoires. Voilà pourquoi j’ajoute les travaux préparatoires aux éléments qui ont fait l’objet d’analyse de mon papier publié en 2012 (et annexé). Mais encore une fois, il se pose la question de savoir quelle sera la procédure à travers laquelle la Cour sera invitée à statuer. Une Cour ne statue pas de sa propre initiative.
Avec mes salutations sincères,
Stef Vandeginste