Le professeur d’université et spécialiste en relations internationales estime que le vote du Burundi reflète les tensions qui existent entre le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU et le Burundi liées à la crise de 2015.
A l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies tenue jeudi dernier, le Burundi a voté contre la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’Homme. Quelle conclusion en tirez-vous ?
Les Etats, d’une manière plus classique, sont plus attachés à leurs intérêts qu’aux principes du droit ou de la morale. Le Burundi, comme tous les autres pays dans le monde, vise avant tout la satisfaction de ses intérêts nationaux dans sa politique étrangère.
Prenez l’exemple des États-Unis d’Amérique qui s’étaient retirés de ce conseil en 2018 lors de la présidence de Donald Trump et qui y ont fait leur retour avec la gouvernance de Joe Biden. A l’époque, le pays de l’Oncle Sam s’était mis en retrait du Conseil des droits de l’Homme du fait de la position de cette instance sur l’Etat d’Israël qui est un allié stratégique des USA.
Ce virage démontre que les Etats roulent avant tout pour leurs intérêts plutôt que pour les valeurs des droits de l’Homme. En témoigne qu’en 2018, les USA s’opposaient à la condamnation d’Israël par le Conseil mais aujourd’hui, rangée du côté de l’Ukraine, la première puissance a exigé l’exclusion de la Russie.
Le Conseil des droits de l’Homme est, depuis sa création, perçue comme un outil d’instrumentalisation politique de la part de nombreux Etats. Des pays comme le Burundi qui ont souvent été sur la sellette sur la question des droits de l’Homme, n’ont eu de cesse de manifester leur scepticisme par rapport au Conseil des droits de l’Homme.
Cependant, venant surtout de pays en voie de développement, des voix prônant le dialogue entre la Russie et l’Ukraine commencent à émerger car les conséquences découlant de la guerre en Ukraine se ressentent partout avec l’envolée des prix des produits de première nécessité, les revers des sanctions contre la Russie, …
La forte abstention observée lors de ce dernier vote au Conseil des droits de l’Homme montre clairement que la rigidité n’est pas la solution mais plutôt le dialogue.
Au vu des liens que le Burundi entretient à la fois avec la Russie et l’UE, l’abstentionnisme assumé ou non n’était-il pas la meilleure option ?
Lors de l’Assemblée générale des Nations unies du 2 mars qui a vu la condamnation de l’agression russe en Ukraine, le Burundi qui s’était abstenu, était dans une position de quête d’un dialogue entre les deux parties. C’est comme cela que je l’ai compris.
Pour le vote récent lors du Conseil des droits de l’Homme à Genève, le contexte est complètement différent. Depuis 2015, le Burundi, régulièrement critiqué pour son non-respect des droits de l’Homme, est en froid avec ce Conseil. Et il n’est pas le seul dans cette situation car beaucoup de pays s’insurgent régulièrement contre des prises de position de cette instance onusienne. J’ai déjà cité l’exemple des États-Unis qui s’étaient retirés dudit Conseil en 2018 sans parler de pays comme la Russie et la Chine.
A l’orée du réchauffement des relations entre le Burundi et l’UE très engagée aux côtés de l’Ukraine, un tel vote ne va-t-il pas jeter un froid entre le Burundi et l’Union européenne ?
L’Union européenne ne peut revenir sur sa position quant aux négociations en cours avec Gitega du fait de ce vote du Burundi. C’est une organisation qui, quoi qu’on en pense, sait relativiser la position des Etats à l’échelon internationale.
Même à l’échelle de l’Union européenne, l’unité n’a pas toujours été de mise dans les prises de position des uns et des autres. Ce n’est qu’avec l’invasion de l’Ukraine que les vingt-sept se sont montrés soudés face à l’attaque russe.
Encore une fois, les postures de différents Etats sur la scène internationale répondent plus à des logiques d’intérêts qu’aux principes moraux liés aux droits de l’Homme. C’est la célèbre maxime d’Henry John Temple, ancien Premier ministre britannique, qui s’applique le plus souvent : « L’Angleterre n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents ; elle n’a que des intérêts permanents.»
Remplacez la Grande-Bretagne par n’importe quel pays et vous saisirez la logique d’intérêts nationaux qui a souvent cours dans les relations internationales.
N’est-ce pas déplorable que cette instance onusienne en charge des droits de l’Homme soit autant soumise à des logiques d’intérêts nationaux ?
Le droit est au service de ceux qui dominent. Voyez déjà au niveau de la genèse de l’Etat et vous verrez que ce sont les classes dominantes qui exercent le droit. Certes, la Charte universelle des droits de l’Homme telle qu’elle a été conçue, est un progrès pour l’humanité.
Mais le problème est que les Etats n’ont pas la même perception des droits de l’Homme. Par exemple, au niveau du Conseil de sécurité, la Russie n’a pas la même conception des droits de l’Homme que les USA, de même la Chine a sa conception des droits qui diffère de celle de la France, etc.
Les droits de l’Homme ont leur importance autant que le droit international mais leur perception commune et leur mise en œuvre complète exigent des évolutions des peuples sur une durée assez longue.
Ne sont-ce pas les pays dotés d’une gouvernance autoritaire qui ont un problème avec le Conseil des droits de l’Homme que des gouvernances démocratiques ?
Absolument. Dans les pays autoritaires, le capital politique réside dans l’oppression. C’est-à-dire dans la capacité d’inspirer la terreur pour ne pas que les peuples se révoltent.
Dans les démocraties occidentales, le contournement des principes des droits de l’Homme est plus sophistiqué. Bien sûr, il y a toujours un respect minimum des droits de l’Homme mais on observe des logiques de reproduction sociale plus affermies que dans les pays en voie de développement.
Dans la réalité, il y a une esthétisation des inégalités sociales qui n’est pas toujours perceptible à l’œil nu et qui remet en cause le principe d’égalité souvent martelé dans les discours officiels.
Propos recueillis par Alphonse Yikeze (Iwacu)