UE/LATAFIMA : Eradiquer la pêche illicite pour augmenter la production des poissons

Le projet Lake Tanganyika Fisheries Management (LATAFIMA), financé par l’Union européenne, a appuyé le Burundi dans l’élaboration des mécanismes de lutte contre la pêche illicite dans le lac Tanganyika. Des pêcheurs déplorent l’usage continu des engins illicites de pêche. Selon l’Autorité du Lac Tanganyika, plusieurs activités sont déjà menées pour protéger la biodiversité dans le lac.

Lancé officiellement le 3 décembre 2020, le projet régional de gestion de la pêche sur le Lac Tanganyika (LATAFIMA) est financé à hauteur de 2 millions d’euros par l’Union européenne. Il est mis en œuvre par l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en partenariat avec l’Autorité du lac Tanganyika et couvre quatre pays à savoir le Burundi, la Tanzanie, la Zambie et la RDC. Ce projet s’inscrit dans le cadre global du programme ECOFISH de promotion d’une croissance bleue en Afrique de l’Est, en Afrique australe et dans le bassin de l’Océan indien.

Le projet LATAFIMA a pour objectif l’amélioration et la contribution à une croissance économique équitable par la promotion d’une pêche durable sur le lac Tanganyika. Il vise le renforcement des politiques et cadres institutionnels nationaux et régionaux ainsi que l’adoption d’une série de mesures de renforcement du système de suivi, de contrôle et de surveillance de la pêche de manière à aboutir à la réduction, voire l’éradication de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée.

Sylvain Tusanga Mukanga recommande plus de sensibilisation pour lutter contre la pêche illicite dans le lac Tanganyika

Deux ans après le lancement de ce projet, différentes études et activités ont été menées pour lutter contre la pêche illicite afin de protéger la biodiversité dans le lac Tanganyika et augmenter la production des poissons.
« On a fait une étude sur les principales espèces des poissons du lac Tanganyika les plus concernés par la pêche et les plus commercialisés, dont le Sangala, le Ndagala et les lumpu », explique Sylvain Tusanga Mukanga, directeur exécutif de l’Autorité du Lac Tanganyika.

Selon lui, le projet LATAFIMA a aussi identifié des pratiques de pêche destructrices et des engins illicites de pêche pour les prohiber tout en adoptant des mécanismes appropriés : « On a conduit une étude pour savoir la taille requise pour pêcher chacune de ces trois espèces afin de ne pas les capturer à l’état juvénile. On a constaté que certains matériels utilisés peuvent capturer même des larves ».
Et d’expliquer qu’une autre étude a été aussi menée pour détecter l’impact socio-économique de la pêche illicite, surtout le manque à gagner suite à la pêche des poissons juvéniles.

Après ces études, une charte régionale portant mesures de gestion durable de la pêche au lac Tanganyika et son bassin a été établie dans le cadre du projet LATAFIMA : « Cette charte contient toutes les mesures nécessaires pour protéger la biodiversité du lac de façon à restaurer et améliorer les stocks des poissons dans le lac ». Après l’adoption de cette charte, des campagnes de vulgarisation pour les pêcheurs et les communautés riveraines du lac Tanganyika ont été effectuées.

Le directeur exécutif de l’Autorité du lac Tanganyika explique que d’autres activités ne sont pas encore mises en œuvre, notamment l’appui aux institutions de cogestion du lac Tanganyika. Pour lui, il faut mettre en place un système permanent de collecte des statistiques de pêche.

Des pêcheurs préoccupés par la diminution de la production des poissons

Le président de la fédération des pêcheurs, Gabriel Butoyi, déplore que la production des poissons dans le lac Tanganyika ait constamment diminué. Pour lui, les causes sont, entre autres, l’usage des engins de pêche illicites et la pollution du lac Tanganyika provenant des villes et des centres urbains riverains : « Avec les récents débordements du lac Tanganyika, des habitations y compris des toilettes sur le littoral du lac Tanganyika ont été emportées, ce qui a aussi pollué les eaux du lac ».

Gabriel Butoyi appelle l’Etat à mettre en place des lois spécifiques sanctionnant les usagers des engins de pêche illicites

Il fustige aussi des techniques de pêche qui ne sont pas modernes : « Avec la flambée des prix des produits pétroliers, on n’utilise plus des lampes à pétrole. On a opté pour les ampoules électriques, mais ces derniers ne produisent pas une forte lumière pour atteindre la profondeur où se trouvent les poissons ».
Il demande au gouvernement d’engager des experts pour identifier les causes majeures de la diminution de la production des poissons dans le lac Tanganyika : « Il faut que l’Etat prenne des mesures contre la pollution du lac Tanganyika. La zone tampon de ce lac doit être respectée pour que des activités agricoles n’y soient pas pratiquées ».

L’autorité du Lac Tanganyika dit avoir constaté aussi la diminution sensible de la production des poissons : « Ces dernières années, des pêcheurs pouvaient capturer une grande quantité de poissons. Pour le moment, certains passent la nuit dans le lac et reviennent avec une petite quantité ou bredouilles ».

Pour juguler cette diminution de production des poissons, la charte régionale portant mesures de gestion durable de la pêche au lac Tanganyika et son bassin propose un repos biologique de trois mois chaque année du 15 mai au 15 août pour la reconstitution du stock halieutique. Selon le directeur exécutif de l’Autorité du lac Tanganyika, Sylvain Tusanga Mukanga, cette mesure sera mise en œuvre cette année.

Concernant la pollution du lac Tanganyika, il fait savoir qu’un autre projet Lake Tanganyika Water Management (LATAWAMA) est en cours d’exécution pour la protection des eaux du lac contre la pollution : « L’Union européenne a accordé 27 millions d’euros à la deuxième phase de ce projet pour maintenir les acquis de la première phase et ajouter d’autres activités pour la gestion des eaux du lac ».

L’usage des engins de pêche illicites, un défi à relever

Selon la charte régionale portant mesures de gestion durable de la pêche au lac Tanganyika et son bassin, l’utilisation de certains engins est interdite dans les eaux de ce lac. Ce sont notamment les filets dérivants, les filets monofilament, les sennes de plage de toute sortes ou tout engin raclant le substrat physique au fond du lac ou dans les estuaires, tout filet reposant à plat sur le fond du lac, tout filet ou matière tressée dont la maille étirée est inférieure à 6 millimètres ainsi que les filets maillant encerclant.

Les tailles minimales requises pour la capture des principales espèces de poissons d’importance commerciale sont, par exemple, 260 millimètres (10,2 pouces) de longueur totale pour les gros poissons (Mukeke/Sangala) et 100 millimètres (0,39 pouce) de longueur totale pour les petits poissons (Ndagala).

« Depuis 2012, on a amélioré la lutte contre la pêche illégale avec des engins illicites. Nous avons, jusqu’ici, saisi et brûlé plus de 25 mille engins de pêche illicites », indique Gabriel Butoyi, président de la fédération des pêcheurs au Burundi. Il apprécie la collaboration avec l’administration, les forces de sécurité et la population pour traquer ces engins illicites et leurs usagers.

Cependant, il regrette qu’il y ait encore des pêcheurs qui utilisent ces engins illicites : « Malgré nos efforts, certains pêcheurs continuent de s’approvisionner avec ces engins et de les utiliser en clandestinité ».
Il déplore que des lois sanctionnant l’usage des engins de pêche illicites ne soient pas claires : « Lorsqu’on attrape ceux qui utilisent ces engins, des juges nous disent que le Code pénal ne précise pas cette infraction. L’Etat devrait mettre en place des lois spécifiques pour éradiquer la pêche illicite ».

Pour lui, il est encore difficile pour les pêcheurs d’éviter la capture des poissons juvéniles pendant la pêche : « Lorsqu’on plonge le filet dans l’eau à 200 mètres, on ne peut pas savoir quel type de poisson sera attrapé. Pour nous, tout poisson capturé par un filet légal est suffisamment mûr ».
Selon le directeur exécutif de l’Autorité du lac Tanganyika, la biodiversité du lac n’est pas encore totalement protégée. Pour combattre la pêche illicite, il confie que la commande des bateaux de surveillance dans le lac Tanganyika a été faite, à travers le projet LATAFIMA.

Nécessité de sensibilisation sur la lutte contre la pêche illicite

Selon Gabriel Butoyi, les pêcheurs ne sont pas des bénéficiaires directs du projet LATAFIMA. Cependant, il salue des ateliers et réunions de vulgarisation organisées à l’endroit des pêcheurs pour les sensibiliser à éradiquer la pêche illicite.
« Un atelier de formation des parties prenantes a précédé la vulgarisation de la charte régionale portant mesures de gestion durable de la pêche au lac Tanganyika. On ne pouvait pas inviter tous les pêcheurs, mais leurs représentants ont participé à cet atelier », explique Sylvain Tusanga Mukanga, directeur exécutif de l’Autorité du Lac Tanganyika.

Il indique qu’une rencontre avec les autorités locales, les communautés locales et les pêcheurs pour la vulgarisation de cette charte a été aussi organisée en province Rumonge au sud du pays.
Pour lui, les pêcheurs ont été associés depuis le lancement du projet : « Les pêcheurs sont les premiers bénéficiaires de ce projet. Ils vivent de ce métier. Ces sont les premières victimes de la diminution de la production. Il faut qu’il y ait une grande production de poissons pour que ces pêcheurs et leurs familles en profitent ».

Il recommande une sensibilisation renforcée malgré des moyens financiers limités : « La sensibilisation doit continuer, mais cela peine à se concrétiser convenablement à cause des moyens limités. Nous sommes en train de mobiliser les moyens pour que cette sensibilisation soit accentuée.»
Pour lui, 2 millions d’euros est un budget assez modeste, insuffisant par rapport à la taille du lac Tanganyika. Il précise que LATAFIMA est un projet pilote qui porte essentiellement sur les mécanismes de lutte contre la pêche illicite non déclarée et non réglementée.

Il se réjouit que la durée d’exécution du projet LATAFIMA, qui devrait prendre fin cette année, a été prolongée pour une année afin de mettre en œuvre les activités non encore exécutées.

Le lac Tanganyika constitue la deuxième plus grande pêcherie en eau douce sur le continent africain, après le lac Victoria. Le lac est partagé entre quatre pays riverains : le Burundi au nord, la RDC à l’ouest, la Tanzanie à l’est et la Zambie au sud. Selon les experts de la pêche, le potentiel de production annuelle de poissons dans le lac Tanganyika est passé de 200 mille tonnes dans les années 1990 à environ 120 mille tonnes en 2011.

Par Egide Harerimana  (Iwacu)